Publié le 9 Apr 2025 - 11:24
CRISE DIPLOMATIQUE ENTRE L’ALGERIE ET LE MALI

L’escalade de trop ?

 

Les relations déjà tendues entre l’Algérie et le Mali ont basculé dans une crise ouverte, à la suite d’un incident frontalier d'une rare gravité. Le 31 mars 2025, l’armée algérienne a annoncé avoir abattu un drone armé ayant, selon elle, pénétré son espace aérien. Pour Bamako, il s’agit au contraire d’un acte de guerre perpétré sur son propre territoire. Ce différend, désormais élargi à l’échelle de l’Alliance des États du Sahel (AES), a précipité une série de mesures diplomatiques radicales : rappel mutuel des ambassadeurs, fermeture des espaces aériens, manifestations de rue et guerre de communiqués.

 

Tout part d’un communiqué du ministère algérien de la Défense, publié le 1er avril, affirmant qu’un drone de reconnaissance armé a été abattu vers minuit dans la région frontalière de Tin-Zaouatine. L’Algérie parle de "troisième violation de son espace aérien" par un appareil venu du Mali en quelques mois. Bamako, de son côté, soutient que le drone a été abattu à l’intérieur de ses frontières, à 9,5 km au sud de la ligne frontalière. Selon une enquête malienne, le point de rupture de la liaison avec l'appareil et celui où l'épave a été retrouvée sont distants de 441 m, tous deux situés "en territoire malien". Les autorités y voient "une action hostile préméditée du régime algérien".

Diplomatie au bord de la rupture

La tension monte d’un cran le dimanche 6 avril. Le Mali rappelle son ambassadeur à Alger, accusant l’Algérie de "violation de souveraineté" et de "provocation militaire". En réponse, l’Algérie rappelle son propre ambassadeur et gèle la nomination de celui destiné au Burkina Faso. Le lendemain, Alger annonce la fermeture de son espace aérien à tout appareil en provenance ou à destination du Mali. Bamako réplique dans la foulée, évoquant "la réciprocité" et fermant son ciel aux avions algériens, civils comme militaires.

Ce bras de fer diplomatique dépasse désormais le seul cadre bilatéral. Le Burkina Faso et le Niger, membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) aux côtés du Mali, ont décidé de rappeler à leur tour leurs ambassadeurs accrédités à Alger, dans une démonstration de solidarité régionale. Un acte dénoncé par l’Algérie comme "un alignement inconsidéré" sur des "thèses fallacieuses", accusant même le Mali de chercher un exutoire à son "projet putschiste" et à son "échec manifeste".

Une rue malienne en colère

La crise a rapidement trouvé un écho dans la rue. Le 8 avril, des dizaines de jeunes Maliens se sont rassemblés devant l’ambassade d’Algérie à Bamako, à l’appel du mouvement de la société civile Sentinelle debout pour le Mali. Encadrés par les forces de sécurité, les manifestants ont brandi des pancartes dénonçant l’Algérie comme un "État terroriste", accusant Alger de vouloir déstabiliser le Mali. À l’inverse, ils ont encensé l’armée malienne et salué l’unité de l’AES face aux "agressions extérieures".

Ces images, relayées sur les réseaux sociaux, ont renforcé la position des autorités maliennes qui entendent faire de cette affaire un moment de sursaut national. Le régime, issu de deux coups d'État successifs (2020 et 2021), capitalise sur cette tension pour mobiliser l'opinion publique et affirmer sa souveraineté face à un voisin perçu comme ingérant.

De la coopération à la méfiance

Il faut dire que les relations entre le Mali et l’Algérie, bien qu’historiquement marquées par une coopération sécuritaire dans le Nord malien, se sont dégradées depuis l’arrivée des régimes militaires dans la région. Alger, qui a longtemps joué un rôle de médiateur dans la crise malienne, notamment à travers l’Accord d’Alger de 2015, voit désormais son influence contestée.

Le rejet de l’accord de paix par les autorités maliennes en 2023 avait déjà tendu les relations. Le départ des forces françaises et onusiennes, suivi du rapprochement avec la Russie, avait brouillé davantage les cartes. L’Algérie, qui continue de privilégier une solution négociée avec les groupes armés du Nord, voit d’un mauvais œil la volonté du pouvoir malien d’imposer une solution strictement militaire. Cette divergence stratégique est désormais doublée d’un conflit frontalier potentiellement explosif.

Une impasse inquiétante

La fermeture mutuelle des espaces aériens entre deux pays frontaliers n’est pas sans conséquence. Au-delà du symbole politique, elle perturbe les liaisons civiles et les éventuelles opérations humanitaires ou sécuritaires transfrontalières. Elle est aussi révélatrice d’une profonde perte de confiance entre deux États pourtant liés par des décennies de coopération.

La virulence des communiqués, l’embrasement populaire à Bamako, la solidarité automatique des partenaires de l’AES, tout indique une dynamique d’escalade. Pourtant, ni le Mali ni l’Algérie n’ont intérêt à une rupture durable. L’un comme l’autre fait face à de lourds défis internes : instabilité sécuritaire, crises économiques et isolement diplomatique relatif. Leur confrontation, si elle se prolonge, pourrait accentuer les vulnérabilités régionales.

Une crise à haut risque : réactions croisées et perspectives d’escalade

L’incident du 31 mars 2025, marqué par la destruction d’un drone malien à proximité de la frontière algérienne, a rapidement enflammé les relations diplomatiques entre l’Algérie et les pays de l’AES. Mais au-delà de l’échange de communiqués cinglants, c’est une rupture de confiance durable qui se dessine, avec des implications géopolitiques potentiellement graves.

Pour Ahmed Kateb, expert algérien en relations internationales, la crise trouve sa source dans une volonté ‘’malsaine’’ de Bamako de déplacer les responsabilités de ses propres échecs. ‘’Le Mali cherche à entraîner le Niger et le Burkina Faso dans un bras de fer inutile et erroné contre l’Algérie. Depuis le 1er avril, l’Algérie a clairement annoncé que le drone avait pénétré son espace aérien de deux kilomètres. Ce que les autorités maliennes avaient reconnu implicitement’’.

L’analyste pointe du doigt la stratégie du régime d’Assimi Goïta, qu’il accuse de chercher des boucs émissaires pour justifier l’impasse politique et sécuritaire dans laquelle se trouve le Mali. ‘’Plutôt que d’organiser un retour à l’ordre constitutionnel ou de relancer le dialogue avec les groupes touaregs et arabes du Nord, Bamako semble vouloir détourner l’attention sur l’extérieur’’

L’analyste algérien va plus loin : il accuse le Mali d’avoir rompu un équilibre fragile, notamment par son retrait du Comité de suivi de l’Accord d’Alger (CSA) et par l’entrée en scène d’acteurs comme le groupe Wagner, désormais intégré à l’armée russe.

Au Mali, les réactions sont à l’unisson du discours officiel. Sékou Tangara, directeur de l’information à Africable, parle d’’’indignation nationale’’. Partis politiques, syndicats, société civile, tous dénoncent l’attitude d’Alger. ‘’Les communiqués du RPM ou de l’Union pour la République et la démocratie réitèrent leur soutien aux autorités maliennes et appellent à la désescalade. Mais sur le fond, la solidarité avec le gouvernement est totale’’.

Mais derrière cette unité de façade, des voix appellent à la prudence.  Pour Sékouba Konaré, journaliste et analyste politique malien, ‘’il faut éviter que les braises du nationalisme ne s’enflamment totalement’’. Il reconnaît que des mouvements spontanés de protestation sont en gestation devant l’ambassade d’Algérie à Bamako, ce qui pourrait compromettre tout retour au dialogue. ‘’Nous sommes à la lisière d’un point de non-retour’’.

Côté algérien, le silence de la classe politique tranche avec la virulence des institutions. Cherfaoui Zine, rédacteur en chef de J’arrive ! Radio Afriqiya, explique que ‘’seuls les services du ministère des Affaires étrangères ont réagi pour l’instant’’. Il estime que ‘’la crise pourrait se résoudre rapidement avec le Niger et le Burkina, qui ont été entraînés par solidarité, mais avec le Mali, c’est plus profond. Les accusations sont trop graves’’.

L’un des tournants majeurs de cette crise réside dans son caractère multilatéral désormais affirmé. Ce n’est plus seulement un contentieux bilatéral entre Alger et Bamako. L’AES, par un communiqué conjoint, a affirmé que l’agression présumée contre le Mali engageait la responsabilité collective des États membres, conformément à leur traité fondateur.

Ce principe de solidarité, inspiré de l’article 5 de l’Otan, donne une nouvelle dimension à l’affaire. ‘’L’Algérie n’a plus affaire à un État, mais à une confédération soudée autour de valeurs de souveraineté et de résistance à l’ingérence étrangère’’, commente Tangara. Cela limite les marges de manœuvre diplomatiques et rend toute médiation régionale beaucoup plus complexe.

L’usure d’une relation historique

Au Mali, la tension s’appuie aussi sur un sentiment de trahison historique. Comme le rappelle Tangara, ‘’la région de Gao a servi de base arrière au FLN pendant la guerre d’indépendance algérienne. Tous les accords avec les mouvements touaregs ont été signés sous l’égide d’Alger’’.

Pourtant, depuis la reprise de Kidal par l’armée malienne en novembre 2023 et le retrait unilatéral de Bamako du processus d’Alger, la confiance est rompue. Alger, perçue comme proche des séparatistes de l’Azawad, est désormais considérée avec suspicion par une partie des Maliens. Ce retournement de perception alimente la crise.

Pour de nombreux citoyens, l’Algérie est passée du statut de médiateur bienveillant à celui d’acteur partial, voire hostile. Ce basculement émotionnel pèse lourd dans la capacité des deux États à renouer le fil du dialogue.

Risques géopolitiques

Les effets concrets de cette crise pourraient rapidement s’aggraver. La fermeture de l’espace aérien algérien complique les déplacements diplomatiques, militaires et logistiques. Elle réduit les marges d’action du Mali, déjà isolé par les sanctions de la CEDEAO et prive potentiellement l’AES de corridors aériens vitaux. Elle met aussi en péril les efforts de coordination régionale contre les groupes djihadistes, en particulier dans les zones frontalières du Nord-Mali et du Sud algérien.

Politiquement, la crise affaiblit les canaux de médiation traditionnelle. Alger pourrait refuser d’être à nouveau un acteur du dialogue intermalien, ce qui compliquerait tout processus futur de réconciliation au nord du Mali. Enfin, la méfiance croissante pourrait favoriser l’ingérence d’acteurs extérieurs, notamment la Russie, qui renforce ses positions via ses partenaires sécuritaires au Sahel, ou d’autres puissances concurrentes dans le jeu d’influence africain.

Et maintenant ?

L’heure est à l’apaisement, mais aucun des deux camps ne semble prêt à faire un pas en arrière. Bamako réclame des excuses pour ce qu’il qualifie d’agression, tandis qu’Alger exige le respect de son espace aérien et de sa souveraineté. Les appels à la retenue émanant de certains cercles diplomatiques africains restent timides. L’Union africaine, jusqu’ici silencieuse, pourrait tenter une médiation, à moins qu’un acteur tiers – comme la Mauritanie ou le Tchad – ne se décide à jouer les bons offices.

En attendant, le ciel reste fermé, les diplomates rappelés et la tension palpable. La crise entre le Mali et l’Algérie illustre à quel point les dynamiques régionales au Sahel sont désormais dominées par la défiance, la fragmentation et les logiques de blocs. Et cette nouvelle fracture pourrait s’avérer durable.

AMADOU CAMARA GUEYE

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