Ouattara, la tentation d’un 4e mandat et l’ombre portée d’Adama Bictogo

Désigné par acclamation candidat du RHDP pour l’élection présidentielle du 25 octobre 2025, Alassane Ouattara entretient un flou calculé sur ses intentions réelles. À 83 ans, le chef de l’État n’a pas encore officiellement confirmé sa candidature. Derrière cette mise en scène du suspense, le jeu des ambitions s’intensifie, notamment autour d’Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale, dauphin présumé et figure montante du régime. Entre fidélité au chef et manœuvres d’appareil, la guerre de succession semble déjà ouverte au sein du RHDP. ‘’EnQuête’’ lève un coin du voile.
Le 21 juin 2025, à l’issue d’un congrès exceptionnel du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), les militants ont acclamé leur champion. Sans surprise, c’est Alassane Ouattara, président de la République depuis 2011, qui a été désigné candidat à sa propre succession pour l’élection présidentielle prévue le 25 octobre 2025.
Cependant, le principal intéressé n’a pas confirmé sa volonté de briguer un quatrième mandat. Sa déclaration, à la fois évasive et calculée, a maintenu le flou : ‘’Je me prononcerai dans les jours qui viennent.’’
Ce flou, loin d’être un accident de communication, s’inscrit dans une stratégie politique bien connue d’Alassane Ouattara : celle de la maîtrise du temps et des hommes.
En 2020 déjà, c’est à la dernière minute que le président avait officialisé sa candidature, après le décès d’Amadou Gon Coulibaly. Il s’agissait alors de préserver la stabilité institutionnelle. Aujourd’hui, le contexte est différent. Ouattara est au sommet de l’État depuis près de quinze ans. Il a structuré un parti puissant, verrouillé les institutions et assisté à l’éviction des principaux rivaux potentiels : Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Charles Blé Goudé et Tidjane Thiam, tous radiés des listes électorales.
Autant dire que le champ est dégagé et que le RHDP avance en terrain conquis, avec un leader qui peut choisir librement entre la reconduction ou la succession. Mais ce pouvoir de choix suscite aussi des impatiences, des frustrations et fait naître des ambitions dans l’ombre du patriarche.
Adama Bictogo, dauphin assumé ou successeur impatient ?
Parmi les figures émergentes du RHDP, Adama Bictogo, député d’Agboville, maire de Yopougon et président de l’Assemblée nationale depuis 2022, occupe une place de plus en plus centrale. Proche de Ouattara, adoubé par les réseaux économiques et politiques français, présent sur tous les fronts diplomatiques et médiatiques, il apparaît aujourd’hui comme le dauphin naturel.
Depuis plusieurs mois, il multiplie les signaux. Il sature l’espace public : interviews sur France 24, participation à des événements internationaux, rencontres parlementaires avec des homologues étrangers comme Vital Kamerhe (Congo) ou déplacements économiques avec des partenaires comme Gagan Gupta, patron d’Arise. Il s’est même affiché aux côtés de Philippe Labonne, président d’Africa Global Logistics (ex-Bolloré), dont il fut proche dans les années 1990.
Sa proximité avec la France n’est pas anodine. Dans un contexte sous-régional où les régimes anti-français gagnent du terrain (Mali, Burkina Faso, Niger), le régime d’Abidjan reste un partenaire stratégique de Paris. Bictogo, fin connaisseur de la diplomatie d’affaires, se positionne ainsi comme le garant de la continuité pro-occidentale.
Mais ses manœuvres agacent. Certains barons du RHDP y voient un forcing personnel, une opération de communication savamment orchestrée pour précipiter une transition au profit du président de l’Assemblée. D’autres évoquent un scénario coordonné avec Ouattara, pour tester la réaction de l’opinion, baliser le terrain en cas de retrait volontaire du chef de l’État.
Une chose est sûre : Bictogo ne se cache plus et ses ambitions sont de moins en moins voilées.
La guerre froide des prétendants : qui pour incarner l’après-Ouattara ?
L’hypothèse d’un retrait d’Alassane Ouattara — même s’il reste peu probable — ouvre la boîte de pandores. Car si le président n’est pas candidat, il lui faudra désigner un héritier et ce choix pourrait fracturer le RHDP.
Outre Bictogo, plusieurs noms circulent dans les cercles du pouvoir : Téné Birahima Ouattara, frère cadet du président et actuel ministre de la Défense, incarne une option discrète, mais influente, reconnue pour sa loyauté sans faille. Le vice-président Koné Meyliet, quant à lui, bénéficie d’un profil institutionnel solide et d’une image modérée, bien qu’il souffre d’un manque d’ancrage populaire. Patrick Achi, ancien Premier ministre, reste apprécié pour sa technocratie rigoureuse, mais sa légitimité politique a été affaiblie par son éloignement du gouvernement. Enfin, Mabri Toikeusse, président de l’UDPCI, pourrait jouer un rôle clé dans une stratégie d’élargissement de la coalition, notamment en cas de recherche d’un consensus régional ou politique plus large.
Ces personnalités politiques incarnent autant de sensibilités que de stratégies. Certains misent sur la continuité sécuritaire (Téné Birahima), d’autres sur l’équilibre régional (Achi), d’autres encore sur la légitimité électorale ou le consensus (Koné Meyliet). Mais dans cette valse d’options, aucun n’a l’exposition ni le relais d’Adama Bictogo, aujourd’hui en pole position dans la guerre des successeurs.
Le paradoxe ivoirien est là : alors que le président Ouattara dispose d’un appareil redoutable et d’un champ politique déblayé, il se retrouve confronté à une lutte sourde dans son propre camp, où chaque faction se prépare à tous les scénarios, quitte à affaiblir l’édifice.
Entre verrouillage institutionnel et fragilité démocratique
Le processus électoral ivoirien de 2025 s’inscrit dans un climat apaisé en surface, mais tendu en profondeur. Lors de son dernier échange avec le président français, Alassane Ouattara a promis que l’élection se déroulerait dans des conditions transparentes et pacifiques. Mais l’absence d’opposition sérieuse — les principales figures ayant été radiées — et la centralisation extrême du pouvoir inquiètent certains observateurs.
L’éviction de Gbagbo, Soro, Thiam ou Blé Goudé pose la question de la crédibilité démocratique du scrutin. Quelle légitimité pour une élection où les opposants sont neutralisés, les alliances verrouillées et la majorité toute puissante ?
La candidature même de Ouattara, s’il la confirme, poserait un problème symbolique majeur : un quatrième mandat, alors que la Constitution avait été réformée en 2016 pour instaurer une nouvelle république.
Ce contexte rend d’autant plus sensible la désignation d’un dauphin, si tel est le choix final. Car celui-ci devra non seulement être adoubé par le parti, mais incarner une rupture contrôlée, un renouveau sans basculement, une continuité rassurante sans être suspecte.
Adama Bictogo, en multipliant les apparitions, cherche à incarner cette synthèse. Mais sa proximité avec les milieux d’affaires, ses alliances anciennes avec Bolloré et sa communication parfois arrogante pourraient le desservir. Face à lui, d’autres candidats plus discrets, mais tout aussi stratèges affûtent leurs armes.
À ce jour, le président Ouattara détient seul la clé de l’énigme. Sera-t-il candidat à sa propre succession, conforté par une machine électorale toute acquise à sa cause ? Ou choisira-t-il, pour la première fois depuis 2010, de transférer le pouvoir sans y participer ?
Dans un pays marqué par les tensions postélectorales, les transitions difficiles et les rivalités anciennes, ce choix pèsera lourd. Il ne sera pas seulement une affaire de parti ou de personnes, mais un tournant pour la stabilité et la démocratie en Côte d’Ivoire et toute la sous-région.
Dans cette attente, chacun joue sa partition. Le RHDP s’organise, les opposants s’indignent, les prétendants avancent à couvert. Et Adama Bictogo, entre ambition assumée et loyauté affichée, incarne déjà le futur qui s’impatiente.
AMADOU CAMARA GUEYE