La CEDEAO à la croisée des solutions
La décision des Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO demandant à Yahya Jammeh de céder le pouvoir au vainqueur de la présidentielle gambienne du 1er décembre, Adama Barrow, traduit la nouvelle approche préventive pour laquelle l’organisme a opté. Depuis sa création, ses interventions ont été nombreuses avec des résultats en dents de scie.
Créée le 28 mai 1975, la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) accomplit une intégration économique satisfaisante dans l’ensemble pour les quinze pays ouest-africains qui la composent. Mais pour ce qui relève de la question sécuritaire, elle est encore loin de ses performances économiques. Les différentes crises politiques ont amené la structure, sous l’impulsion du Nigeria notamment, à sortir de la diplomatie économique et institutionnelle pour l’intervention militaire. Pour mener à bien cette mission qui, du reste, est délicate, le protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de la CEDEAO fut signé à Abuja le 10 décembre 1999 par les chefs d'Etat et de gouvernement membres.
‘‘Considéré comme la colonne vertébrale de l'ambition de sécurité collective, ce mécanisme permet à la CEDEAO d'intervenir en cas de risques importants de désastre humanitaire, de menaces à la paix, à la sécurité de la sous-région et de tentatives de renversement d'un régime démocratiquement élu dans un Etat membre’’, soutient le licencié en Relations internationales de l’Université de Bukavu, Winnie Tshilobo Matanda, dans son mémoire. L’Ecomog (Ecowas cease-fire monitoring group, Ndlr : groupe monitoring du cessez-le-feu de la CEDEAO) est la force armée communautaire qui devra mener à bien les tâches d’ordre militaire. La mère de ses interventions demeure la guerre civile au Liberia.
En août 1990, face à des exactions meurtrières, les Etats ouest-africains créent un précédent en envoyant une force de maintien de la paix au Liberia sans l’aval des Nations unies ou des Etats-Unis. Après trois ans de mission, les résultats de cette mission furent très mitigés. Selon le rapport 1993 de Human Rights Watch, le nettoyage ethnique a bien cessé en automne 90 avec l’intervention de la force régionale, mais la non-prise en compte d’autres facteurs a embourbé la force ouest-africaine dans un conflit qui la dépassa, au point qu’elle afficha un parti pris contre le Front patriotique national du Liberia (FNPL) de Charles Taylor.
‘‘Depuis l’attaque du FNPL en octobre 1992 sur Monrovia, l’Ecomog s’est aligné de manière officieuse sur deux factions guerrières que sont les Forces armées du Liberia (AFL) et le Mouvement de libération uni pour la démocratie (ULIMO), elles-mêmes responsables de graves atteintes aux droits de l’Homme’’, estime le rapport de HRW qui fait état des violations de droits des civils et de la neutralité médicale par les bombardements de la force régionale dans les zones contrôlées par Taylor. C’est finalement après sept ans d’intervention, en 1997, que les 20 000 soldats de l’Ecomog ont mis fin à ce conflit.
Liberia, Mali, Côte d’Ivoire
L’intervention au Liberia à peine terminée, c’est au tour de la Sierra Léone voisine de recevoir les forces. En mai 1997, l’Ecomog s’est redéployé dans sa grande majorité dans ce pays en proie à une guerre civile depuis 1991. Le contingent nigérian de l’Ecomog a chassé de Freetown une junte militaire (1997-1998) puis rétabli le président Ahmad Tejan Kabbah au pouvoir. Début 1999, les soldats nigérians se sont opposés à une offensive rebelle sur la capitale. L’Ecomog, qui a compté jusqu’à 11 000 hommes, a cédé la place en 2000 à une mission de l’ONU.
Les succès relatifs de l’Ecomog ont-ils entamé sa crédibilité ? En tout cas, l’intervention de la mission de la CEDEAO en Côte D’ivoire (Miceci) en 2003, avec 1 300 militaires, a vite fait d’être ‘‘phagocytée’’ un an plus tard par l’Opération de l’ONU dans le pays (Onuci), après la rébellion de septembre 2002 qui a scindé le territoire en deux parties. Chez le voisin malien, en proie à un soulèvement armé de groupes djihadistes du Nord, la CEDEAO est intervenue à la 25e heure, après notamment que l’armée française a aidé le pays à repousser une invasion qui allait inexorablement s’accaparer de la capitale Bamako.
Le 11 janvier 2012, après le lancement par l’armée malienne, avec le soutien de la France, d’une contre-offensive pour repousser l’avancée des islamistes, le président de la CEDEAO autorise l’envoi immédiat de troupes dans le cadre de la Misma (Force internationale de soutien au Mali) pour aider l’armée malienne à défendre l’intégrité du territoire. Les premiers éléments de la Communauté se mettent en place, sous la direction du général Nigérian Shehu Abdulkadir, dont le pays a fourni environ quelque 600 hommes. Le Niger, le Burkina Faso, le Togo et le Sénégal ont annoncé l’envoi chacun d’un bataillon d’environ 500 hommes.
Prendre les devants en Gambie
Selon le licencié de l’université de Bukavu, Winnie Tshilobo Matanda, une disposition légale en début de millénaire est venue renforcer les carences d’une option qui laissait l’Organisation dans la réaction plus que la prévention. ‘‘Etant donné que le protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité privilégie plus l'approche curative qui fait qu'il n’est déclenché qu'après l'existence d'un conflit, la CEDEAO, avec une vision anticipative, a été contrainte, le 21 décembre 2001, d'adopter un protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité qui privilégie l'approche préventive et a pour objectif de prendre en compte les causes politiques profondes des conflits, de l'instabilité et de l'insécurité’’, avance-t-il.
Dans le litige postélectoral gambien en cours, la structure ouest-africaine qui veut se rattraper des vives critiques sur son implication tardive au Mali a assumé ses responsabilités en demandant non seulement à Yahya Jammeh de quitter le pouvoir, mais en prenant fait et cause pour le vainqueur de la présidentielle du 1er décembre 2016, Adama Barrow. Pour cette fois, elle a affiché une position aussi tranchée. Habituellement dans la réaction plus que dans la prévention ou l’intervention des crises dans cet espace, l’organisme a visiblement tiré une leçon de ses précédentes expériences.
La 50e session ordinaire des Chefs d’état et de gouvernement tenue dimanche dernier à Abuja a convenu d’une présence de tous les présidents de la zone lors de l’investiture et de la prestation de serment du nouveau leader gambien, le 19 janvier 2017. Mais l'organisme n’a apparemment pas abordé la question qui pourrait fâcher, à savoir la démarche à suivre si le natif de Kanilai persistait dans son refus.
OUSMANE LAYE DIOP