Souleymane Ndéné Ndiaye, ou le refus du rétroviseur
Après douze ans dans le pouvoir, l'ancien Premier ministre constate soudain que l'Assemblée nationale est un nid de nullités qui ne mérite pas de profiter de ses lumières.
L'ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye a donc décidé de démission de l'Assemblée nationale, laissant du coup son mandat de député à son suppléant sur la liste nationale du Parti démocratique sénégalais (PDS), le Pr. Iba Der Thiam. Justifiant son retrait de la scène parlementaire, le maire de Guinguinéo égrène ses «désillusions» qui ont pour noms «insultes», «invectives, chahuts et quolibets», «absence de débat de fond», «temps de parole réduit». En gros, relève l'ancien chef du gouvernement sénégalais, cette Assemblée nationale est devenue une institution qui fait «appel aux plus bas instincts de nos concitoyens, les plus destructeurs de notre substrat culturel, pour divertir le peuple des vraies urgences de son quotidien...» Il se dit d'autant plus révolté que «dans les grand-places, les cars rapides, autour des 'trois normaux' de thé et surtout sur les réseaux sociaux, est donnée à voir au monde une image pitoyable du Sénégal...»
La question préjudicielle – pour parler comme les juristes - que l'on peut se poser dans l'urgence est la suivante : de quelle planète est revenu Souleymane Ndéné Ndiaye pour constater aujourd'hui, et aujourd'hui seulement, que l'Assemblée nationale dysfonctionne ? Pour ceux qui ont suivi l'histoire de cette Assemblée nationale pendant les deux mandats d'Abdoulaye Wade, la parade brandie par l'ancien Premier ministre, pour justifier ce qui sied à un abandon de poste pur et simple, paraît tout de même ultra-légère. Car c'est justement pendant que lui et ses «frères» libéraux exerçaient le pouvoir entre 2000 et 2012, avec une arrogance jamais démentie, que le Sénégal a vécu et supporté les deux législatures les plus épouvantables de l'histoire parlementaire de notre pays, avec le vote sans état d'âme aucun de lois plus scélérates les unes que les autres. Où était M. Ndiaye lorsque qu'Abdoulaye Wade faisait passer la loi Ezzan qui amnistia la totalité des crimes politiques auxquels l'ancien président et certains de ses compagnons n'étaient manifestement pas étrangers ?
Ce qui s'est passé mercredi dernier dans l'hémicycle lors de l'examen de la motion de censure du Pds n'a pas été beau à voir, et Souleymane Ndéné Ndiaye n'est pas le seul à s'en émouvoir. Mais on a vu pire dans l'ancienne législature où l'arrogance et l'inculture de députés-talibés de Me Wade ont trop souvent transformé les débats en émeutes verbales. Il paraît que Macky Sall est un «ami» de Souleymane Ndéné Ndiaye, mais entendait-on ce dernier quand l'autre, replié à l'Assemblée nationale, devait y subir la guerre des Wade et de tout l'appareil d'État ? Le 23 juin 2011, devant l'Assemblée nationale assiégée par des centaines de défenseurs de la forme républicaine de l'État du Sénégal, a-t-on entendu Souleymane Ndéné Ndiaye protester contre cette forme d'agression de la Constitution sénégalaise choisie et mûrie par les Wade ?
L'ancien PM a le droit de fixer sa propre trajectoire professionnelle en toute souveraineté. Mais il reste constant qu'abandonner, pour des motifs si peu solides, un mandat populaire pour on ne sait quelle orientation relève d'une certaine forme de trahison face au peuple électeur. On peut bien faire le pari de soutenir que si Me Wade, par extraordinaire, avait été réélu au soir du 25 mars 2012, on n'en serait pas aujourd'hui à cette forme extrême de désertion du champ politique. Si l'Assemblée est jugée si minable, pourquoi ne pas faire en sorte d'en être une figure d'exception si l'on sait que le peuple reconnaît toujours les siens ? Si les débats y sont si bas de gamme, pourquoi ne pas initier les démarches idoines transpartisanes pour en faire un lieu d'excellence ? Si l'institution manque de crédibilité, les électeurs, eux, méritent d'être respectés.
La modernisation de la vie politique nationale passera fondamentalement par des actes de courage disséminés dans le temps, de la part de tout le personnel politique ou considéré comme tel. Critiquer une Assemblée, dont tout le monde connaît déjà les tares, et s'en éloigner de manière si cavalière ne fera que renvoyer à l'opinion l'image d'un «sujet» wadiste qui s'en va, sous d'autres cieux, fructifier et profiter des largesses que l'ancien président lui aura faites. La République donne tout à (certains de) ses fils. Mais ceux-là, que lui donnent-ils en retour ?
MOMAR DIENG
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