Publié le 15 Nov 2022 - 18:55
DÉRIVES DÉMOCRATIQUES ENTRE POLITIQUE ET MÉDIAS

Le Sénégal, un État semi-autoritaire ? 

 

Sous ses airs de pays démocratique où la liberté d’expression est garantie par les institutions, le Sénégal n’échappe pas à la logique de beaucoup pays subsahariens francophones où la censure est exercée de manière très subtile.

 

C’est à Dakar qu’elle le disait, lors du dernier Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique. Niagalé Bagayoko, Présidente de l'African Security Sector Network (Réseau africain du secteur de la sécurité) abordait les raisons du recul démocratique observé dans beaucoup de pays africains, ces 15 dernières années. "On a trop souvent assisté, y compris du côté des organisations multilatérales africaines telles que l’Union africaine ou la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) à des politiques qui sont apparues comme étant de deux poids, deux mesures ou des régimes civils eux-mêmes ont contribué à trahir les principes qu’ils étaient censés porter’’, estima la docteure en science politique, diplômée de l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris. 

Rien qu’en Afrique de l’Ouest, le Mali, la Guinée et le Burkina Faso ont connu des coups d’État militaires au cours les cinq dernières années. Si la Côte d’Ivoire n’a pas vécu cet extrême, la troisième candidature du président sortant, Alassane Ouattara, a causé de violents troubles politiques qui ont fait plusieurs victimes lors de la Présidentielle de 2020. Le Sénégal a connu une alerte, en mars 2021, avec l’arrestation du principal opposant Ousmane Sonko qui a provoqué des émeutes lors desquelles 14 personnes ont été tuées. Toutes ces crises sont liées à l’apprentissage délicat, par les États africains, de la démocratie et des principes de libertés.

Après les manifestations politiques régulièrement interdites au Sénégal, la presse et la liberté d’expression sont plus que jamais menacées avec l’affaire Pape Alé Niang et celle du contrat d’achat d’armes entre le ministère de l’Environnement et un trafiquant d’armes douteux.

‘’La censure reste d’actualité en Afrique francophone’’

Dans son œuvre intitulée ‘’Censure de l’information en Afrique subsaharienne francophone : la censure dans les régimes semi-autoritaires’’ (2016), Marie-Soleil Frère décèle la stratégie de quelques États loups encagoulés avec des peaux d’agneau. Cela pour montrer que ‘’la censure reste d’actualité en Afrique francophone, alors même que les pays de la région ont connu, ces deux dernières décennies, une ouverture démocratique libéralisant le secteur des médias et la gouvernance politique’’.

Maître de recherche en sciences de l’information et de la communication à l’Université libre de Bruxelles, la chercheuse estime que dans cette zone, ‘’la grande majorité de ces États peuvent être qualifiés de régimes «semi-autoritaires», de «démocraties libérales», d’«autoritarismes électoraux» ou de «régimes hybrides». Ces termes désignent tous une même réalité : celle de régimes qui présentent l’apparence de la démocratie (à travers, essentiellement, un dispositif institutionnel inspiré des démocraties occidentales, une société civile pluraliste, des médias privés et l’organisation régulière d’élections), mais tout en conservant des caractéristiques de régimes dictatoriaux (violations des Droits de l’homme et impunité, mécanismes informels qui rendent impossible l’alternance)’’.

Au plan politique, le Sénégal s’est illustré, cette dernière décennie, par différentes arrestations d’opposants et l’interdiction massive de manifestations défavorables à l’État. Le Comité des Droits de l’homme de l’ONU considère que le droit de Karim Wade, condamné en mars 2015 pour enrichissement illicite, à un procès équitable a été violé par la justice sénégalaise. La Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a rendu en 2018 un arrêt très critique vis-à-vis de la procédure judiciaire initiée contre l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall, en jugeant que ‘’le droit à l’assistance d’un conseil des requérants a été violé et la responsabilité de l’État du Sénégal doit être engagée’’.

Les nouveaux visages de la censure

Jusqu’ici, les médias étaient en apparence ‘’épargnés’’ par les magouilles politiciennes. C’est le président de la République Macky Sall qui l’avait promis lui-même : ‘’Vous ne verrez jamais sous ma gouvernance un journaliste mis en prison pour un délit de presse.’’ Le placement sous mandat de dépôt de Pape Alé Niang, du site d’information Dakarmatin, vient relativiser ces propos du chef de l’État. D’autant plus que les menaces du ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique, dimanche, à l’encontre de journalistes ayant révélé  un contrat soupçonné de surfacturations, lèvent un voile sur l’attitude du gouvernement.   

Dans son œuvre, Marie-Soleil Frère relève qu’en réalité, la censure politique exercée dans le champ médiatique a adopté de nouveaux visages en Afrique subsaharienne francophone : ‘’Diverses stratégies permettent d’exercer des pressions pour éviter que les médias ne se penchent sur des sujets délicats, mais sous couvert d’une intervention tout à fait légitime (en tout cas au point de vue formel) des pouvoirs publics dans le secteur des médias. Nous avons précédemment montré comment de tels moyens «démocratiques» peuvent être mobilisés pour limiter l’espace d’expression libre, à travers des dispositifs «présentables» aux yeux des partenaires financiers et ambassades étrangères parfois tatillons quant au respect des droits fondamentaux. Un premier moyen réside dans la manipulation du cadre légal. Si, dans les années 1990, la plupart des États africains ont adopté de nouvelles lois sur la presse qui entérinent la liberté d’expression, certains maintiennent des dispositions répressives importantes. En outre, dans des pays où l’indépendance de la justice ne constitue qu’une fiction, des énoncés flous comme ceux d’«atteinte à la sécurité de l’État» ou d’«atteinte à la personne du chef de l’État» permettent aux magistrats d’infliger des peines très lourdes aux médias ou aux individus que les puissants souhaitent faire taire.’’

Au Sénégal, l’adoption d’un nouveau Code de la presse et les promesses du chef de l’État n’ont pas empêché le maintien de dispositions liberticides dans la législation sur la liberté d’expression. Que ce soit dans le Code de la presse ou dans le Code pénal, la notion de ‘’secret défense’’ reste un interdit au droit de regard des journalistes. Mais il n’y a pas que les textes répressifs qui veulent être observés. ‘’L’autocensure connaît sans doute sa forme la plus aboutie au sein des médias dits «publics» qui sont, de fait, des organes au service du gouvernement et même de la présidence de la République’’, renseigne la chercheuse de l’Université libre de Bruxelles.

‘’Des termes flous pour faire taire les médias’’

Marie-Soleil Frère explique ce phénomène par le fait que ‘’les médias d’État constituent un outil de légitimation indispensable pour les régimes semi-autoritaires qui ne se perpétuent pas seulement par la manipulation des institutions démocratiques, mais aussi parce qu’ils véhiculent une image positivement appréciée par une partie des citoyens. Issus de la période du parti unique, ces médias ont, dans de nombreux pays d’Afrique francophone, connu une période de mutation suite à la libéralisation du secteur audiovisuel : il s’agissait alors de transformer les médias gouvernementaux en institutions de «service public», en modifiant à la fois leur statut et leur ligne éditoriale. Toutefois, ces changements se sont, une fois encore, souvent limités à des modifications terminologiques, sans que la réalité en soit affectée. Car derrière les effets de discours, un régime semi-autoritaire ne peut se résoudre à voir «ses» médias donner la parole à l’ensemble des composantes de la société, y compris l’opposition politique ou les mouvements sociaux’’.

Le manque d’accès à la chaîne nationale (RTS) est largement dénoncé par les politiciens membres de l’opposition, tout comme les événements critiques à l’encontre du gouvernement ne sont que rarement couverts par la chaîne. L’on se rappelle qu’au cours des émeutes du mars 2021, la RTS n’a pratiquement fait aucun élément sur le sujet, lors de son ‘’Journal de 20 h’’.

Lamine Diouf 

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