20 ans après, la France monétaire toujours puissante
Parmi les instruments de souveraineté des États, la monnaie renseigne sur le degré de leur influence. 54 ans suite aux indépendances, le Cfa a toujours cours dans deux zones en Afrique au sud du Sahara. Il y a 20 ans, un 11 janvier, la France venait rappeler à ses anciennes colonies que c’était toujours elle qui détenait les cordons de la bourse : malgré l’opposition farouche de la plupart des dirigeants de 14 pays africains, l’ancienne puissance coloniale décide de changer la parité du Cfa par rapport au Franc français, ancêtre de l’Euro. Cette année est chargée. La dévaluation a lieu un 11 janvier, mais dès la fin de ce mois, les premiers effets commencent à se faire sentir.
Un peu partout sur le continent africain, de petites « révolutions » ont lieu. 1994. C’est au cours de cette année que Nelson Mandela deviendra le premier président noir d’Afrique du Sud ; que 120 pays créent à Genève l’Organisation mondiale du commerce (Omc) ; que l’abominable génocide du Rwanda va avoir lieu et que Yaya Jammeh prend le pouvoir en Gambie. Mais la bourrasque monétaire vient de Dakar…
La fine fleur du gotha présidentiel de l’ancien pré-carré français en Afrique se réunit ce 11 janvier au Méridien-Président de Dakar. Officiellement, c’est pour se pencher au chevet de la défunte compagnie aérienne multinationale « Air Afrique ».
Mais qui est qui est fou ? Sont présents beaucoup de chefs d’Etat africains qui ont des compagnies aériennes nationales (le Gabon notamment). Président du conseil des ministres de la zone Franc, le camerounais Antoine Ntsimi sera chargé de lire la fameuse déclaration qui mettra un terme à 46 an de parité fixe entre le franc Français et le Cfa ; le gouverneur de la Bceao, l’Ivoirien Charles-Konan Banny n’a que ses yeux pour pleurer.
La dévaluation est de 50% pour les pays de la Bceao et de la Beac (Afrique centrale) alors que La Banque centrale des Comores est « ajustée » à hauteur de 33%.
« Les chefs d'Etat et de gouvernement de la zone Uemoa et Beac ont marqué leur accord pour modifier la parité du franc CFA, qui s'établit désormais à 100 F Cfa pour 1 FF, à compter du 12 janvier 1994 à 0 heure », lâche le ministre Camerounais, envoyé de Paul Biya qui n’a pas voulu faire le déplacement, retranché dans son palais d’Etoudi, sachant déjà de quoi il s’agirait dans la capitale sénégalaise.
Sont aussi présents, Michel Camdessus, le patron du Fonds monétaire international ; et surtout, Michel Roussin, alors ministre français de la Coopération. L’ancien gendarme (ancien des services secrets) est venu faire « le sale boulot » pour d’aucuns, « une opération de nettoyage » pour d’autres. Seuls le Bénin et le Burkina-Faso sont favorables à l’opération.
Nettoyage car les économies de la zone franc sont tenues à bout de bras par l’ancienne puissance coloniale qui entrevoit en ces moments la transition vers la monnaie unique et que ses alliés –notamment allemands- lui disent qu’ils ne peuvent plus supporter ses charges africaines. L’aide publique au développement est alors la principale source de financement alors que les « Toubabs » eux-mêmes tirent la langue.
En ces temps, il y avait comme une sorte de mise en demeure : coupler l’ajustement de l’économie réelle à l’ajustement monétaire. Il fallait lutter contre la forte contraction des recettes d’exportation, la chute des recettes budgétaires, l’incapacité des gouvernements de la zone Franc à réduire les dépenses budgétaires, le creusement des déficits et le recours à l’endettement extérieur excessif. En termes clairs, dépenser ce que l’on pèse…
Selon des experts de l’Umeoa, institution justement créée après cette dévaluation, « le retournement des cours des principales matières premières exportées par les pays africains de la Zone franc, conjugué à la dépréciation du dollar monnaie dans laquelle sont cotées et facturées l'essentiel de ces ressources avait mis un terme à une longue période de croissance soutenue ».
Il s’agissait de rétablir la compétitivité externe des pays concernés par l’ajustement monétaire, de redresser leur balance commerciale ; de réduire les déficits budgétaires et faire redécoller la croissance du produit intérieur brut alors en berne.
Face à l'échec des mesures d'ajustement réel, les institutions de Breton-Woods ont suspendu leur aide aux pays de la Zone franc, à l'exception ceux destinés au Bénin et au Burkina Faso qui étaient parvenus à respecter leurs engagements vis à vis du Fmi.
Blaise Compaoré et Mathieu Kérékou étaient, eux, favorables à la dévaluation. Quelques mois auparavant, en septembre 1993, la France avait assujetti son soutien financier à l’adoption d’accords avec le Fmi. Si au plan social, les gouvernements africains ont du faire face à des crises sociales en raison du renchérissement des prix, la mesure d’ajustement a permis de relancer la compétitivité de beaucoup d’entreprises exportatrices.
Alors que dans les conseils des ministres des gouvernements africains beaucoup prédisaient le pire, l’opération a donné des résultats quelque peu positifs. Alors que le président Abdou Diouf doit faire face à une grande tension politique, l’économie redécolle. Le pays renoue avec la croissance dès 1994 soit 2,9%, mais l’inflation grimpa de 40%, conséquence naturelle de l’ajustement. Les classes moyennes et les bas revenus sont particulièrement affectés.
La dévaluation produit des effets pervers : la perte du pouvoir d’achat de l’ordre de 40% en moyenne et le renchérissement de la dette extérieure. Pour les atténuer, la France consentit des remises de dette : 25 milliards de francs français à l’ensemble des pays de la Zone franc.
Toutefois, la poussée de l’intégration régionale est un acquis de la dévaluation. L’Union économique et monétaire ouest-africaine en est l’une de ses acquisitions. Seulement, un fort sentiment partagé est que le destin de millions d’africains a été « réglé » par une tornade organisée ailleurs.