«Il faut élever le niveau de la danse hip-hop pour être à l'international»
Danseuse professionnelle et chorégraphe, Gacirah Diagne est la présidente de l'association Kaay Fecc. Elle a étudié plusieurs techniques en France au conservatoire de Versailles, avant d'aller se former à Alvin Ailey Dance Theater Center de New York. Aujourd'hui conseillère en «cultures urbaines» au ministère de la Culture et du Patrimoine, elle revient sur les objectifs de l'association qu'elle dirige, le battle national et la danse de façon générale.
C’est quoi Kaay Fecc ?
C’est une association qui œuvre pour la professionnalisation du secteur de la danse, pour une meilleure qualité des produits issus de la danse, les œuvres chorégraphiques. Elle est aussi née pour donner un meilleur accès au marché de la danse, voir comment faire circuler les bons produits.
Enfin, c’est toute la chaîne, allant de la formation à la diffusion, en passant par la création. Le festival apporte un encadrement aux compagnies, aux artistes, aux chorégraphes danseurs qui essayent de se structurer et qui viennent s’adresser à l’association pour des conseils. Nous sommes une équipe très dévouée qui tente d’être dynamique et efficace.
Et le festival du même nom ?
Nous avons des événements qui sont nationaux et internationaux. Le festival a été initié en 2001 par Jean Tamba, Honoré Mendy, Marianne Niox et Nganti Towo. Au début l’idée était d’avoir un événement ou quelque chose du genre, consacré à la danse pour chasser le vide. Je suis venue après la 1ère édition et j’ai pris le train en marche.
Cela fait maintenant huit ans que nous célébrons le festival. En dehors de Kaay Fecc, nous avons le battle national, mis en place en 2006. Il y avait une édition pilote en 2005 qui a permis de s’ouvrir au mouvement hip-hop. Et c’est en 2006 que j’ai mis en place le battle national, qui est la danse hip-hop.
Je pensais que c’était important de dissocier les choses. Ce n’était pas facile de créer un autre événement pour chercher d’autres sponsors, mais c’était l'occasion de donner toute la place aux danses des cultures urbaines. Parce qu’il y a diverses techniques. Le break danse, la danse debout, les krump. Dans chaque style, il y a des sous danses. Il fallait faire tout cela, surtout par rapport à l’engouement de la jeunesse pour cette danse hip-hop.
Kaay Fecc intègre-t-il tous les styles de danse ?
Kaay Fecc est ouvert à toutes les danses du moment qu’elles sont bien présentées. Pour une certaine qualité, elles peuvent avoir une place sur les plateaux de Kaay Fecc. Cette spécificité, un peu hip-hop, répond aux vœux d’être en phase avec l’environnement.
Vous en êtes à la 7ème édition. Qui sont vos bailleurs ?
Pour l’organisation, on a toujours eu l'appui institutionnel du ministère de la Culture. Au départ, c’était une aide logistique avec la mise à disposition de sites comme la Maison de la culture Douta Seck, le Centre culturel Blaise Senghor, le Théâtre national Daniel Sorano. Le Grand-théâtre vient d’arriver, c’est dans le plan pour les années à venir. On a eu aussi des soutiens avec des fondations et autres.
Ce n’est jamais facile de regrouper les fonds à lever. Maintenant ça commence à devenir plus facile parce qu’on a tenu jusque-là. On a eu nos moments de galère et de découragement, mais l’équipe est assez motivée pour contenir tout cela. Je pense aussi que les résultats sont là. Ce qui est important, c’est qu’on a pu changer les mentalités, le regard que les gens ont sur la danse. Nous avons réussi à montrer que l’image de la danse est positive et que c’est une danse que l’on considère normale.
Qu’est qu’une danse normale ?
Ce que nous, nous appelons la danse normale, c’est une danse de qualité, bien faite, des danseurs qui sont bien formés, créatifs, qui font des recherches, qui s’inspirent de leurs traditions, qui font de l’innovation, qui passent des messages. Ce n’est pas seulement divertir pour divertir, mais aussi danser avec un engagement fort pour en faire un moment d’éveil.
Kaay Fecc est-elle un concours, une compétition ?
Le battle national est une compétition. Il y a des crews parce qu’il y a des jeunes danseurs qui s’y activent. Au total, il y a 2 volets : le volet break dance et la danse debout. Cette année, on a ajouté le volet krump parce qu’il y a des jeunes qui organisent des événements krump et qui ont demandé à être associés au festival. C’est aussi, une manière de les accompagner. Je peux dire que c’est une compétition parce qu’il y a une certaine émulation.
Quant au battle national, c’est un événement de danse hip-hop qui est sous-régional qui s’appelle organisation b-boy en partenariat avec africultururban. L’objectif était que le vainqueur national aille en semi international et sous régional et ensuite s’ouvre vers les compétitions internationales. C’est un peu ça la logique.
Comment se fait la sélection pour le festival ?
Chaque région organise ses compétitions internes pour que la sélection se fasse de manière transparente. Ensuite, le meilleur de chaque région vient prendre part au battle national. A la fin des compétitions, la région gagnante va représenter le Sénégal à l’étranger en break dance et en debout. A noter que jusque-là, on a réussi à faire le côté break dance parce qu’on ne peut pas tout faire. Nous encourageons les jeunes aussi à organiser ces genres d’événements pour qu’il y ait une diversité.
Les danseurs du mbalax se débrouillent mieux que ceux du hip-hop en matière de gains. Comment font les b-boys pour survivre ?
Pour l’instant c’est plus difficile de notre côté. Il y a certains qui gagnent leur vie, je pense notamment aux danseurs mbalax, certains en tout cas, pas tous. Pour les danseurs contemporains, ils commencent à tourner, mais c’est encore difficile.
Pour les danseurs hip-hop, certains ont gagné le battle pour le cypher Sénégal qui est une sélection pour le championnat du monde solo. Certains sont déjà allés en Afrique du Sud, d’autres en Jordanie, au Maroc. Il faut aussi avoir le niveau. Pour la danse hip-hop, il faut vraiment élever le niveau pour pouvoir aller au niveau international. Il y a des jeunes qui sortent du pays et qui sont maintenant reconnus à l’échelle international
Les résultats enregistrés en danses sont-ils satisfaisants ?
Il y a des choses qui se passent, mais on ne les identifie pas. Il faut que l’on puisse mesurer l’impact au sortir de chaque événement. Il faut aussi que le public national ait accès aux événements de danse. C’est un gros travail.
Êtes-vous satisfaite des styles de danses développés au Sénégal ?
Je ne juge pas, je ne suis pas là pour dire que c’est bon ou c’est mauvais, je laisse le public le faire. Ce que je peux faire, c’est proposer, encadrer pour qu’il n’y ait pas de dérives. On se donne certains critères d’excellence, une qualité reconnue. Bref, ce que je voudrais surtout, c’est faire de sorte que ce que l’on montre corresponde aux attentes du public. C’est ce qui va faire que certaines choses disparaissent naturellement.
La danse contemporaine nécessite-t-elle une formation ?
Ah oui, même la danse hip-hop. On ne peut pas danser sans faire une formation parce qu’il y a plusieurs techniques, divers styles, divers genres qui l’accompagnent. La danse contemporaine est une évolution (car) les gens sont partis d’un point A pour arriver au point B. Contemporain correspond à l’époque de maintenant. Parce que l’on danse dans les contextes de maintenant, c’est cela qui est contemporain.
La danse de Louis XIV, c’était contemporain à l’époque de Louis XIV, et ça devient la danse classique puis la tradition finalement. La danse moderne est une rupture de la danse classique. Ce sont des cycles, des évolutions. La façon dont on danse en village est différente de celle en ville. C’est la même chose que chez nous. Nos danses traditionnelles on les préserve mais elles évoluent aussi en fonction du contexte. Chacun trouve sa place, l’essentiel est qu’il y ait la qualité.
Des danseurs populaires sont vus comme des modèles mais sans aucune formation. Qu’en pensez-vous ?
On est en train de travailler pour voir comment faire émerger les jeunes danseurs du hip-hop pour qu’ils deviennent des leaders. Jadis, plus on était bon, plus on devenait un modèle de réussite avec un statut à conserver. Il faut une certaine somme d’expériences avant de pouvoir juger quelqu’un. C’est d’ailleurs la fonction des jurys qui, après avoir dansé toute leur carrière, voient plus clairement les choses.
MARIÉTOU KÂNE