''La clé du problème des artistes sénégalais...''
''3 bouches'', c’est le titre du cinquième album du musicien Jules Guèye attendu dans les bacs sous peu. Ancien professeur de musique au conservatoire de Dakar, il est l’instrumentiste du cuivre en activité le plus en vue de la musique sénégalaise. Muni de sa trompette, l’auteur de ''Niom'' se soumet à l'inquisition de EnQuête.
Et si vous nous parliez de votre parcours musical ?
Je dirais que je suis venu dans la musique par rapport à une ambiance familiale avec mes frères et beaux-frères qui étaient de véritables mélomanes. Je me rappelle que chaque jour après le déjeuner, on sortait les baffles et l’électrophone, on mettait des disques pour écouter la musique. C’était l’époque où la musique latine, le rock et une certaine musique africaine dominaient avec des musiciens tels que Fela Kuti, King Sunny Ade, Hugues Massekela, Elvis Kemayo, des groupes comme le Xalam et le Bembeya Jazz National de la Guinée Conakry. La musique de cette époque mettait en exergue les cuivres qui ont toujours été importants dans la musique africaine. Quelques années plus tard, j’ai décidé d’arrêter mes études pour passer le concours pour accéder au conservatoire. Après avoir réussi au concours, je suis donc venu à Dakar où j’ai eu la chance d’être encadré par d’excellents professeurs de musique d’origine russe durant douze ans. C’est avec eux que j’ai fait ma première médaille de solfège, c'est-à-dire les sept clés. Par la suite, on m’a mis en rapport avec Sam Sanders, un saxophoniste américain. J’ai travaillé avec ce grand musicien de jazz pendant trois ans pour faire mon prix d’excellence. Ensuite, j’ai eu à voyager en Europe, en Amérique Latine et aux USA. C’est à mon retour de tout ce long périple que j’ai été retenu comme professeur au conservatoire de Dakar où j’ai enseigné quatre années durant avant de me retirer pour vivre ma passion pour la musique. J’ai pratiquée aussi la musique latine avec de grands noms comme Laba Sosseh et Pape Fall. J’avais obtenu une bourse qui m’avait permis de voyager avec eux à La Havane. Mais au lieu de rester là-bas, j’ai préféré rentrer au Sénégal. A partir de ce moment, j’ai travaillé avec l’Orchestre national, des artistes comme Kiné Lam, Alioune Kassé, des orchestres de variété à Mbour... Cette aventure m’a beaucoup appris en expérience. Finalement, j’ai monté mon groupe pour produire mes albums sur fonds propres.
A quand date votre premier album ?
Ma première production, intitulée ''Niom'' est sortie en 2002. Ensuite, il y a eu les albums ''Teranga sénégalaise'', ''Afro-Cuba'' et ''Guissané''. Jusque-là, j’ai fait en tout quatre albums.
Parvenez-vous donc à vivre de la trompette, votre instrument de prédilection ?
Je rends grâce à Dieu. Avant tout, je joue pour me faire plaisir et partager ma musique avec les autres. Actuellement, je travaille sur un nouvel album qui s’intitulera ''3 bouches''. C’est un album qui n’aura ni guitare, ni percussions. Nous aurons juste des voix et une trompette bouchée. C’est dans ce style que je travaille. Il va sortir bientôt.
Pourquoi ce choix ?
J’estime que l’artiste doit toujours être animé d’un esprit de créativité. On doit évoluer pour ne pas stagner au même niveau. Les choses doivent évoluer. Chacun de mes albums a une particularité et c’est ce qui fait la différence. Pourtant, il y a un écart de trois ou quatre ans qui les sépare. Que ce soit la musique classique, africaine ou le jazz, j’ai eu un parcours. Et par le fait de mes origines léboues, j’ai grandi dans une ambiance de sabars et des sonorités rythmées ; c’est une symbiose que je propose. Les gens qui pensent que je fais du jazz ne comprennent pas. Ma musique est beaucoup plus métissée. Je n’ai pas une inspiration figée parce que j’ai toujours travaillé à tourner autour de plusieurs formes de musique. J’ai même fait de la musique religieuse en travaillant des chorales lors du séjour du pape Jeans Paul II au Sénégal. C’est nous qui avions interprété l’hymne du Vatican. Je fais toutes les musiques sans frontière. Cela dit, je ne présente que mes albums dans les soirées que j’anime avec mon groupe au Radisson, Just4U, etc.
Que pensez-vous de l'état actuel de la musique sénégalaise ?
Il faut avouer que ce n‘est pas facile en ces temps qui courent. Avant, il y avait ce tonus dans la musique. C’est vrai que la crise a rendu les choses difficiles. Mais je crois que l’artiste ne doit pas avoir des problèmes avec la crise s’il est passionné. Avec la passion comme priorité, l’artiste a toujours envie de jouer pour faire plaisir à son public. Un passionné n’a pas de problème avec la musique. Par contre, ceux qui sont venus dans la musique pour se faire un nom, voyager ou gagner de l’argent, ont un problème avec la crise. Tous les grands noms que vous entendez dans la musique ont supporté le fardeau de la galère pour en arriver là où ils sont aujourd’hui. La passion a toujours dominé chez eux. La musique est le métier le plus accessible et le plus démocratique. Une personne peut créer sa propre mélodie en partant de rien. Il se trouve des musiciens pour l’accompagner. Ensuite, il se fait enregistrer au BSDA (Bureau sénégalais des droits d'auteur). C’est un artiste parce qu’il a créé quelque chose. Maintenant, tout dépendra du jugement que chacun aura sur son travail.
Comment appréciez-vous le volet culturel dans la déclaration de politique générale du Premier ministre, Aminata Touré ?
Je l’ai déjà dit à des journalistes, l’artiste n’a pas besoin de discours. On est dans un monde pragmatique et ce sont les actions qui sont importantes. Chaque fois, c’est des discours alors que les gens savent ce qui se passe. Il faut mettre les artistes à la place qu’il faut plutôt que de prendre des gens qui sont profanes dans l’art pour leur donner certaines responsabilités. Il faut responsabiliser les artistes, c'est-à-dire leur permettre de monter leur propre bureau, élire leur président pour gérer leurs propres biens. C’est ça la clé du problème. On doit beaucoup insister sur la formation des artistes.
Almami Camara