Publié le 2 Mar 2013 - 08:05
EN PRIVÉ AVEC MOUSSA SÈNE ABSA

 ''Si Macky ne juge pas Wade, je l’attaque''

Du thème de son film ''Yoolé'' à l’amour qui le lie à sa canne en passant par la crise malienne et la gestion d’Abdoulaye Wade, Moussa Sène Absa n'esquive rien.

 

 

Vous venez de présenter au Fespaco votre film ''Yoolé'' réalisé en 2010. Vous y prédisiez un soulèvement populaire qui s’est avéré. Avez-vous vu venir les choses ?

 

C’est le cas. Abdoulaye Wade a ruiné ce pays. Il est parti en laissant la ruine. Et jusqu’à présent, on a du mal à mettre de l’ordre. Et cela va prendre du temps pour y arriver. Cela prendra une génération pour mettre de l’ordre dans ce désordre.

 

Vous ne nourrissez pas d’espoirs avec ce nouveau gouvernement ?

 

Même avec ce gouvernement, ce n’est pas possible. Ce n’est pas un problème de gouvernement. C’est un problème d’état. L’état de la chose est telle que Wade a détruit les fondamentaux de l’Homosenegalensis. Abdoulaye Wade a détruit ce qui faisait le Sénégalais. Il l’a détruit par l’argent, par la corruption, par l’achat de consciences, en ruinant la jeunesse, en dilapidant les terres et nos ressources. Aujourd’hui, si on amenait Obama, Hollande et tous les présidents du monde pour régler le problème, ils mettront du temps pour y arriver.

 

 

''Yoolé'' est un procès en dénonciation. Qu’est-ce qui explique cette démarche ?

 

Depuis quelques années, j’ai décidé de ne faire des films que pour dire la vérité. C’est tout ce qui m’intéresse.

 

Au début du film, un des témoins parle d’une lettre écrite par un des voyageurs et lue par une voix off. Serait-ce une lettre ramassée ?

 

Non, cette lettre, c’est moi qui l’ait écrite. Je me suis mis dans la peau d’un de ces jeunes et j’ai adressé une lettre à ma mère.

 

Vous avez écouté ces jeunes, vu le choc émotionnel et psychologique subi. Que faire pour eux ?

 

Ils devaient être pris en charge psychologiquement mais on les a laissés totalement à eux-mêmes. On les a menés à l’aéroport Léopold Sédar Senghor, on leur a remis 5 000 F Cfa et dix mille balles. Ils sont rentrés chez eux en larmes devant leurs mamans qui ne les attendaient pas. C’est le plus grand crime qu’Abdoulaye Wade ait commis.

 

Mais à voir ce film, il n’est pas le seul coupable. Les parents sont aussi au banc des accusés.

 

Tout le monde est impliqué. C’est la faute à tout le monde. Mais vous savez, Wade n’est pas n’importe qui, Wade est un intellectuel. La vendeuse de cacahuètes qui veut que son fils réussisse, et lui donne sa tontine pour qu’il parte, ne comprend pas. Mais Wade lui, est un intellectuel. Le problème est que les intellectuels sont les plus dangereux pour l’Afrique. S’il y a une personne qu’il faut juger quelles que soient les conséquences, c’est Abdoulaye Wade. Et tant que Macky Sall n’aura pas jugé Abdoulaye Wade lui-même, je l’attaquerai lui-même.

 

Pourquoi Mack Sall ?

 

Parce qu’il n’aura pas jugé Abdoulaye Wade. S’il ne juge pas Abdoulaye Wade, il m’entendra parce que je prépare un nouveau film. Je suis en train de terminer ''Sangomar'' qui est un secret. Je n’en parlerai vraiment que quand je l’aurai terminé.

 

Ne pensez-vous pas que Macky Sall est aussi comptable de la gestion d’Abdoulaye Wade ?

 

Il l’est bien sûr. Lui aussi est comptable. Il a été avec lui pendant huit ans sur les douze de sa gestion. Donc, tout le monde est comptable. Même moi, je suis comptable de n’avoir pas dénoncé cela à temps, ainsi que tous les intellectuels. Depuis qu’on est là, on n’a pas entendu un seul intellectuel parler de ce qui se passe au Mali. Ce que je dis souvent, c’est que la pensée a déserté le champ de la création. Le créateur, il pense à sa position, mais il ne pense pas à son peuple. Moi, je pense à mon peuple. Et c’est ça qui m’intéresse.

 

Justement, à propos du Mali, quelle analyse faites-vous de la situation ?

 

J’ai été très choqué d’entendre que l’Union africaine, donc tous les Africains réunis, ne pouvaient donner que 10% du budget de la guerre. Donc, vous avez 10% de souveraineté les gars ! Si vous avez 10% pour vous défendre, vous avez 10% de souveraineté. Les 90% sont à ceux qui vous défendent. C’est cela la réalité. Le Mali est un laboratoire extraordinaire pour ce qui va se passer plus tard en Afrique. Et je n’entends pas un intellectuel en parler. Pourtant, c’est à côté. Les Somaliens ont un proverbe qui dit : ''Si on coupe les cheveux de ton voisin et que tu dis rien, la prochaine personne qu’on rase, ce sera toi.'' Et c’est cela qui va se passer. Si on avait un peu de vergogne, régler le problème de 4 000 jihadistes ne poserait pas problème. On ne l’a pas dit mais le problème malien a déjà touché le Sénégal. Il faut regarder les Sénégalais le vendredi. On sent nettement que les jihadistes sont là.

 

Comment combattre cela ?

 

On doit retourner à nos valeurs premières. Mais on ne fait que danser le ''caxagun'' (danse mbalax en vogue ponctué de coup de reins) et suivre la lutte. Tout le monde ne parle que de lutte. Les télévisions en font autant. On voit quatre émissions de lutte sur une seule chaîne de télévision.

 

Vous semblez pessimiste pour l’avenir du pays...

 

Je ne suis pas pessimiste, je suis enragé. C’est très différent. Je suis optimiste parce qu’il y a une jeunesse formidable, des ressources extraordinaires, une volonté des jeunes. Quand je vois ce que font les jeunes Sénégalais, cela me donne espoir. Je me dis que ces gosses ne vont pas se laisser faire comme ma génération s’est laissé faire. On a laissé Abdoulaye Wade faire ce qu’il voulait parce qu’il n’y avait pas de résistance. Il a fallu que des mouvements comme Y'en a marre ou le M23 se lèvent pour que les gens se réveillent. Il y a un travail de sentinelle que les intellectuels doivent jouer pour leur peuple. Des pays comme la Thaïlande, qui étaient au même niveau que nous en 1960, s’en sont sortis aujourd’hui par le travail, la rigueur, l’honnêteté et l’amour de la patrie. Quand on aime son pays, tout est possible. Mais quand on n’aime pas son pays, on est comme Abdoulaye Wade, on cherche le pouvoir et on fait le pire.

 

Vous avez toujours une canne, serait-ce mystique ?

 

Je suis un prêtre et c’est mon bâton de pèlerin. Je l’ai depuis quinze ans. Il s’est cassé et re-cassé et je l’ai réparée. Il ne ressemble plus à rien mais je l’aime.

 

Bigué BOB

 

 

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