''J’ai envie de donner un coup de poing aux gouvernements africains''
Attraction de la 23e édition du Festival panafricain de l’audiovisuel et du cinéma de Ouagadougou (Fespaco), Moussa Touré s'est confié à EnQuête hier, après la projection de son film « La Pirogue ». Le cinéaste engagé charge les gouvernants africains.
Quel message donnez-vous à travers « La Pirogue » ?
Le film traite du phénomène de l’émigration clandestine. Ce n’est pas seulement le Sénégal qui en souffre ; c’est toute l’Afrique. Au lieu de parler aux jeunes, nos gouvernants parlent plutôt à leurs poches ou à leurs voitures.
Que faire pour retenir les jeunes en Afrique ?
Il faut des gouvernements qui puissent quand même les retenir. Il faut de l’espoir. Quand on parle de jeunesse, c’est l’espoir. On naît avec de l’espoir. Mais celui qui le donne, c’est celui qui est en face de vous et qui dirige un peuple, un continent. Ce sont ces gens-là qui peuvent retenir les jeunes, pas d’autres.
Vous êtes en compétition pour l’''Étalon du Yénenga'' et votre film vient d’être projeté. Cela change-t-il quelque chose ?
Pour moi oui ! Nous faisons des films alors que nous n’avons pas de salles de cinéma. Les Africains ne voient pas les films africains. Le Fespaco est le seul endroit où on les visionne. Il faut que nos États se rendent compte de cela. Nos gouvernants préfèrent s’occuper de questions politiques. Puisqu'ils pensent que le cinéma n’est pas une chose politique, ils ne s’en occupent pas. Quand nous, Africains, faisons des films, c’est pour les montrer aux Africains. Or nous n’avons plus de salles. Le seul endroit, qui sied techniquement ou non pour rendre visibles nos films, c'est le Fespaco. A Dakar, ils n’ont pas encore vu mon film parce qu’il n’y a pas de salles.
Le film est particulièrement bien accueilli partout il a été projeté. Pensez-vous que le message est aussi bien perçu ?
Oui, je le crois ! Je reviens du Canada et l’émotion était au rendez-vous. Vous savez, quand on est parmi des personnages et d'autres gens, on se réfère à eux. Souleymane (NDLR : Baye Laye, personnage principal de La Pirogue), on le retrouve en chacun de nous. C’est un film où chaque humain peut se retrouver.
Pensez-vous avoir atteint votre objectif avec ce film ?
Vous savez, l'objectif sera atteint le jour où on verra des salles de cinéma dans nos pays. Ici, la jeunesse a eu la chance de le voir. Il faut qu’ailleurs, en Afrique, la jeunesse puisse le voir, malgré l'inexistence de salles. Même au Burkina, cela pose problème, et pourtant c'était le monument du cinéma africain. Comment peut-on sensibiliser dans ces conditions ? J’ai envie de donner un coup de poing à nos gouvernements de façon générale. Ils ne se rendent pas compte que nous sommes un peuple jeune. Au Sénégal par exemple, nous avons 75% de jeunes de moins de 20 ans et les gouvernants ne se rendent pas compte qu’avec le cinéma, on peut leur parler. Je pense qu’ils doivent penser à construire des salles et arrêter de s’acheter des 4x4. On fait des films qu’on ne montre que tous les deux ans, ici.
Le gouvernement sénégalais prévoit de créer un Centre national cinématographique. Qu'en pensez-vous ?
Je crois que c’est bien. Avec ce nouveau gouvernement , nous avons plein d’espoirs. Mais vous savez, en Afrique, l'espoir tourne vite en désespoir. C’est l'objet même du film. Toutefois ceux qui nous gouvernent actuellement me semblent assez intègres. Nous avions tout récemment un ministre de la Culture Youssou Ndour, mais il a été muté comme d’autres. On a un nouveau (Abdou Aziz Mbaye, j’espère qu’il va faire quelque chose. Je l'ai récemment entendu parler de moyens mais je crois qu’il ne prend pas en compte le cinéma. Il y a une génération qui ne s’est jamais rendue dans une salle de cinéma. Vous vous rendez compte ! Nos gouvernants ont des salles de cinéma dans leurs maisons, ils regardent des films hindous ou américains, je ne sais pas...
Avez-vous d'autres projets en cours de réalisation ?
Je suis en train de monter un nouveau film sur le naufrage du Joola. J’ai tourné pendant 9 ans, là j'en suis montage. Il s’intitule ''Au sommet de la montagne''. Cela va se faire en Éthiopie, au Bénin et, probablement, au Burkina et au Cameroun. C’est une histoire d’amour entre deux peuples. On montre très souvent ceux qui n’habitent pas dans les capitales et qu’on appelle indigènes, oubliant souvent qu’ils ont des histoires d’amour ; c’est ce que je veux montrer. Il s'agit d'une histoire d’amour avec un peuple qui est dans une vallée d’Éthiopie.
PAR BIGUE BOB
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