Dantec remporte le pari
Autre endroit, même réalité, sinon pire. À l'Hôpital Aristide le Dantec, le service des urgences est à l’intérieur, tout au fond à gauche de l’entrée principale après le service urologie. Patients et accompagnants sont assis, certains dans la salle d'attente de l’intérieur, et d'autres dans celle de l’extérieur. Chacun attend son tour impatiemment. ''Trop c'est trop!'' lance Mariétou Diène. ''Mais il faut entrer!
L’enfant est très fatigué. Il faut le signaler'', lui conseille un monsieur assis à ses côtés. ‘’On est en urgence. Elle n'a pas à signaler quoi que ce soit. Ils devaient le prendre sur-le-champ quand il est arrivé'', rétorque Sylvain Ndiaye qui attend son malade. 'Tout à l'heure, j'ai failli en venir aux mains avec cet arrogant'', ajoute-t-il.
Ali Ndour (7ans) n'arrête pas de pleurer. Des pleurs qui irritent son père. Il se lève d'un coup et fait irruption dans une chambre où se trouve le médecin. ''Mon fils n'arrête pas de pleurer. Nous sommes ici depuis 35 minutes et personne n'est venu nous voir'', s’époumone-t-il. ''Vous avez trouvé des gens ici. Ce n'est pas à toi de nous dire ce que nous devons faire'', objecte le médecin. Pour ne pas perdre du temps, le père de famille part avec son enfant à l’hôpital principal.
Une scène qui a soulevé l'ire des gens sur les lieux. Chacun explique les souffrances qu'il endure aux Urgences de l'hôpital A. Le Dantec.
''C'est partout. Mais Dantec est pire. Dans les autres hôpitaux, les médecins parlent au moins avec les patients. Mais ici, c'est nul, très nul même. Ce n'est pas normal qu'un malade passe plus de 20 minutes à attendre. Et si le patient meurt ils n'auront que leurs gros yeux pour regarder. L’état doit prendre des mesures strictes pour lutter contre cette injustice'', fustige Salimata Diarra.
Porter plainte contre les médecins
''Quand je suis arrivé, personne n'est venu me parler. Les médecins m'ont vu et ils me dépassent sans s’enquérir de ma situation. Ce n'est pas de cette façon que le pays pourra se développer. Il faut que les Sénégalais aient l'habitude de porter plainte contre les médecins en cas de décès. Cette ignorance des patients explique le nombre élevé de décès dans les urgences'', croit savoir Salif Diaby. A côté de lui, Yves Mendy déguste ses cacahuètes, histoire de tromper sa faim.
Pour ce quadragénaire, la prise en charge aux urgences n'est jamais parfaite. ''Surtout à Dantec. C'est du n'importe quoi. Ils jouent trop sur la santé des gens. On peut passer plus d'une heure à attendre pour qu'on vous prenne en charge. Ce n'est pas normal. A cela s'ajoute le favoritisme. Si le patient a de l'argent, on le traite facilement. Moi, je crois que c'est l'argent qui les intéresse le plus'', affirme M. Mendy.
L’hôpital principal ne déroge pas à la règle, même si par ailleurs il affiche un bien meilleur visage. Juste à l'entrée de ce service, un tableau sur lequel sont notés les critères d’accueil et de prise en charge des patients est fixé à droite sur le mur. En face, se trouve la cellule d’accueil. Dans ce bâtiment, la prise en charge se fait par ordre de priorité. C'est-à-dire du plus urgent au moins urgent. Tout ceci est visible sur le tableau.
Pour la prise en charge, les médecins se basent sur certains paramètres. Il y a l'urgence absolue. C'est-à-dire les malades qui ont des saignements, ou des crises d’asthme. Ensuite l'urgence potentielle qui concerne les malades dont la maladie peut se compliquer d'un moment à un autre. Puis l'urgence différée. Elle concerne les malades qui prennent les premiers soins et qui peuvent attendre. Et en fin l'urgence dépassée c'est-à-dire les cadavres.
''Trois box pour les examens, c'est très peu''
Il est 20 heures à notre arrivée dans ce service d'urgence. L’infirmier de garde n'y était pas. Des patients sont assis sur les deux bacs, attendant d'être pris en charge. Un vieux assis à côté semble être fatigué. Il respire de toutes ses forces. À côté de lui, le petit Cheikh engouffré dans sa demi-saison de couleur marron porte sa main droite. Il est tombé pendant qu'il jouait au football. Quelques minutes après, l'infirmier de garde sort d'un des box. ''J'aidais le médecin à faire les premiers examens. C'est ce qui explique mon absence'', se justifie-t-il. Jérôme Gning, puisque c'est de lui qu'il s'agit, met un thermomètre sous les assailles du vieux qui se tordait de douleur et, entre à nouveau dans le box.
Un autre malade arrive accompagnée de sa femme. Cette dernière se dirige vers la cellule d’accueil et ne voit personne. Le médecin Sougouti Ibrahima et Jérôme sont en train de faire les soins. ''Mais il n'y a personne pour accueillir les malades ? Qui est là? demande-t-elle. Jérôme sort et l’accueille. Il est débordé dans son travail. Il s'essouffle. Le vieux ne parvenant pas à s’asseoir se couche sur le banc. Il y avait du monde dans les box et un seul médecin fait les premiers soins. Ce qui ralentit le travail.
A 21 heures 2 minutes, le vieux est amené dans le box pour des examens. La maman de Cheikh s'impatiente. Elle commence à se plaindre. ''La lenteur, c'est ce qui m'énerve dans cet hôpital. Les urgences sont plus fréquentes la nuit et il n'y a qu'un seul médecin et un infirmier pour faire les premiers soins et les premiers examens. C'est anormal ça'', fustige-t-elle. Selon la dame, il n'y avait pas longtemps son fils souffrait d'appendicite. Mais la lenteur dans le travail a allongé l’attente. ''Trois box pour les examens, c'est très peu. Ils doivent augmenter le nombre'', suggère-t-elle.
A un moment donné, son frère qui est médecin dans un hôpital de la place arrive. Il demande à Jérôme la fiche de son neveu et l'amène à l’hôpital où il travaille. ''La dame n'a fait que 30 minutes ici. Nous prenons les urgences par priorité. Elle est arrivée avant le vieux. Mais le vieux est plus fatigué que son fils. Son fils ne présente pas une urgence vitale. Vous-même vous l'avez constaté. Donc la priorité, c'est le vieux'', explique-t-il, avant d'ajouter due cette dame est coutumière des faits. ‘’Quand elle vient, elle appelle son frère médecin qui vient les prendre ici. Nous, nous faisons notre travail comme il se doit'', dit Jérôme Gning.
Un seul médecin pour les consultations
A 22 heures, les patients arrivent au compte-gouttes. Ils attendent que les box se libèrent pour faire les premiers examens. Certains sont compréhensifs, mais d'autres restent catégoriques. C'est le cas de ce vieux qui a amené sa femme qui souffre de maux de ventre. Ce dernier qui parle sous l’anonymat déplore l’insuffisance de box et du personnel.
'' Trois box pour tout un monde. C'est minime. En plus, il y a un seul médecin qui fait les consultations. Ce n'est pas suffisant. On devrait mobiliser plus de personnes la nuit. L'infirmier et le médecin sont débordés. Ils ne peuvent pas faire le travail tout seul'', déplore t-il. Selon lui, les rideaux attachés sur les box sont sources de microbes. ''Il devrait y avoir des portes et non des rideaux. En plus, il n'y a pas de draps sur les lits de consultation. C'est anormal ça'', clame notre interlocuteur.
De 19 heures à 23 heures, Jérôme Gning et Sougouti Ibrahima ont reçu 13 patients. ''Nous recevons plus de malades la nuit. La plupart, c'est des urgences vitales, c'est-à-dire absolues, que nous recevons'', confie-t-il. Cette équipe du soir est constituée de trois médecins et quatre infirmiers. Un seul médecin et un infirmier se chargent de l'accueil et des premiers examens des patients. Les autres sont à l’intérieur, faisant d'autres tâches.
Viviane DIATTA