«Je ne suis dans aucune alliance bâtie autour de ‘’Macky dégage’’ !»
En attendant de transformer le Mouvement patriotique pour le développement (MPD) en parti politique dès novembre prochain, Aliou Sow, ancien ministre et figure de l’ex régime, s’affirme plus que jamais déterminé à aller au sommet de l’Etat un jour. Dans cet entretien accordé hier à EnQuête, il en explique les fondements et la nécessité, non sans dégager des positions fortes liées aux actualités politiques de l’heure structurées autour de Macky Sall, avec en toile de fond ce respect quasi divin qu’il dit éprouver à l’endroit d’Abdoulaye Wade.
Depuis un certain temps, on parle de retrouvailles entre Wade et Macky Sall. En tant que membre de la famille libérale, qu’est-ce que vous pensez de cette initiative ?
Officiellement, personne n’a la confirmation qu’il y a une volonté ou une démarche de retrouvailles de la famille libérale. Dès la prise de fonction du Président Macky Sall, Abdoulaye Wade, en aîné, a voulu participer à l’apaisement du climat politique du Sénégal. Il avait pris une décision extrêmement sage pour dire qu’il ne posera aucun acte dans le sens de gêner l’action du Président Sall. Il avait sommé l’ensemble des membres de son dernier gouvernement de se mettre à la disposition du nouveau chef de l’Etat pour l’accompagner.
Donc, sa position était claire. Macky et son gouvernement n’ont pas saisi la balle au rebond. Au contraire, ils ont passé leur temps à persécuter, à diaboliser, à discréditer tous les membres de l’ancien régime en les faisant passer pour des voleurs, des incapables. Comme si on n’a rien fait pour ce pays. Or, les plus grandes complicités de Macky Sall ne se trouvent pas dans cette coalition (Benno Bokk Yaakaar).
Elles se trouvent où alors ces complicités dont vous parlez ?
Au niveau de l’opposition (le PDS) avec qui il a cheminé et avec qui il a vécu des moments difficiles jusqu'à ce que leurs chemins se séparent. La dimension humaine peut participer à l’apaisement de ce climat très délétère. Par contre, je ne veux pas tomber dans des déductions médiatiques ou politiciennes dont l’objet n’est pas clair. Que le Premier ministre ait des échanges de civilité avec le Président Wade, son aîné, son doyen, c’est tout à fait normal.
C’est ce qu’on attend d’un homme responsable. Qu’un Saleh (Mahmout) aille rendre visite au Président Wade n’a rien d’extraordinaire… Même le Président Sall, en dépit de la situation politique, aurait pu chaque Tabaski aller rendre visite à son prédécesseur qui l’a formé en politique. Cela n’enlève en rien les divergences politiques. Maintenant, si cela doit déboucher sur des retrouvailles et je ne sais sous quelle forme, il n’appartient pas à l’opposition d’en être l’initiatrice.
Pourquoi ?
L’opposition a été battue. Un camp est au pouvoir. Le chef de l’Etat définit sa politique et a la latitude de choisir des hommes et des femmes avec qui il va gérer ce pays. C’est à lui d’aller vers les gens ; de provoquer des initiatives de retrouvailles, s’il le désire. Mais, si l’opposition le fait, cela devient une démarche de transhumance honteuse, ou d’aveu de culpabilité.
Aujourd’hui, si les relations sont tendues entre l’opposition et le pouvoir, c’est dû à la traque des biens supposés mal acquis. Faudrait-il faire passer par pertes et profits cette traque pour privilégier ces retrouvailles ?
Absolument pas. Ce serait très grave ; ce serait une injure faite à la justice sénégalaise. Une trahison par rapport au peuple sénégalais. Nous avons toujours été contre les méthodes utilisées pour embastiller des gens en les privant de leur droit. Pour moi, aucune négociation sur le dos des Sénégalais ne doit être envisagée concernant leurs biens. On doit arrêter en Afrique de confondre la fin d’un régime à la descente aux enfers. Il faut que les gouvernants comprennent que leur tour viendra. Par conséquent, mieux vaut prendre des mesures concrètes par rapport aux carences et errements passés pour verrouiller le système afin qu’aucun pervers où corrompu ne puisse commettre une forfaiture. J’ai peur qu’un autre régime continue ces mêmes règlements de compte et finalement le pays ne bougera pas. (…)
Pensez-vous que le rapprochement entre Wade et Macky peut influer sur le procès de Karim Wade ?
Vous savez, le rapprochement Wade et Macky, ce sont des spéculations.
Mais quand le Premier ministre transmet un message du président de la République à Wade, c’est un signal fort.
On revient à la normalité ! Ce qui est anormal, c’est cette persécution et cette diabolisation d’un homme qui a fait 26 ans d’opposition, 12 ans au pouvoir. Pour changer de politique, il faut changer d’homme. Depuis que le chef de l’Etat a nommé Dionne (Premier ministre) qui est connu comme un homme courtois, un grand commis de l’Etat, les choses bougent et changent.
Comment parler de pacification si la pomme de discorde, en l’occurrence Karim Wade, est toujours en prison ?
C’est quand même réducteur que de résumer tout le combat du PDS, de l’opposition, à l’affaire Karim Wade. Quand vous allez en prison, ils sont vraiment nombreux.
Au PDS, on ne parle que de l’affaire Karim Wade. La preuve : le congrès ne s’est pas tenu jusqu’à présent malgré la sortie des cadres libéraux qui réclament la restructuration du parti.
Karim Wade est un ami, un frère dont je partage les difficultés.
Lui avez-vous rendu visite ?
Oui, plusieurs fois. J’ai rendu visite à toutes les personnes avec qui j’ai partagé une histoire. Je suis parti voir Samuel Sarr. Je ne fais pas trop de bruit. J’ai échangé avec Karim Wade longuement, et de la façon la plus fraternelle. En dépit de tout, toutes les dignités se valent. Par conséquent, je refuse de réduire un combat au sort d’un ou des individus.
Ce qui m’intéresse, c’est le Sénégal, le sort du peuple. Si vous suivez le procès de Karim, vous vous rendez compte qu’il n’est pas un homme abattu. Cela montre encore une fois tout son désir de laver son honneur et montrer au peuple sénégalais qu’il a fait l’objet de persécution. Ceux qui veulent l’aider, doivent l’aider à sortir par la grande porte et non par des portes dérobées basées sur des négociations ou de retrouvailles.
Vous parler de persécution contre Karim. Donc, vous pensez qu’il est blanc comme neige ?
Je ne parle pas de persécution contre Karim, mais contre l’ensemble des membres de l’ancien régime. La prison ou la soustraction de votre liberté est moindre par rapport au noircissement de votre honneur, de votre dignité. Nous allons tous mourir. En prison ou pas, pour avoir occupé de hautes fonctions, on parlera de nous, à nos fils, à nos petits-fils.
D’après certaines informations, vous vous apprêtiez à rejoindre le pouvoir. Est-ce le cas ?
Je ne sais pas commenter les rumeurs. Mes activités tournent autour de trois choses : mes recherches à l’université, la gestion de mon cabinet de consultance ici comme à l’étranger et la préparation de mes ambitions nationales pour le Sénégal qui m’a tout donné. Ma différence avec les autres, c’est que l’élection de Macky Sall ne fait pas saigner mon cœur, ne me fait pas gambader de joie non plus. Je ne suis pas dans une logique haineuse, non dans le refus d’acceptation du destin. Au PDS, j’ai toujours dit que tout le monde contre Macky Sall, je soutiens Macky Sall. Ce dernier face à Wade, je choisis Wade parce que je lui dois tout.
Quand je quittais le gouvernement en 2007, personne ne m’a viré. On m’a proposé le poste de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, mais c’est dans le bureau de Macky Sall que j’ai pris la décision d’aller décliner l’offre de Hadjibou Soumaré (ancien Premier ministre). Si on m’a viré de la commission des Affaires étrangères (à l’Assemblée nationale), c’est parce que j’ai suivi Macky Sall. Si j’ai refusé de signer la pétition, c’est parce que je l’ai suivi.
Mais vous l’avez ensuite lâché…
(Il coupe). J’arrive. J’ai été cohérent avec moi-même. J’avais dis à Macky : ‘’Tous contre toi, je te soutiens. Mais si c’est contre Abdoulaye Wade, je soutiens ce dernier’’. Au nom de quoi je devais accompagner Macky Sall dans la création d’un parti qui devait faire le tour du Sénégal pour faire tomber Abdoulaye Wade ? Je n’allais pas le faire.
Avec le recul, regrettez-vous votre choix ?
Je n’ai absolument aucun regret. J’assume toutes mes options et mes choix.
Aujourd’hui, êtes-vous prêt à travailler avec Macky Sall ?
Mon ambition, je vous l’ai dit, c’est d’être président du Sénégal. Je travaille à ça.
Donc, vous êtes candidat en 2017 ?
Mon projet, mon ambition, c’est de préparer une candidature crédible, définir un projet de société clair pour un jour assumer les fonctions présidentielles au Sénégal afin d’apporter des changements que je sens au plus profond de moi-même. Que Macky Sall fasse un mandat ou deux, cela ne me choque pas. Par contre, je ne suis dans aucune alliance bâtie autour de ‘’Macky dégage !’’. Que ceux qui aspirent à diriger le pays et qui ont des solutions plus crédibles que celles mises en œuvre s’affirment, proposent, créent des débats sur les questions majeures. Comme le disait Abdoulaye Wade : ‘’il ne faut jamais dire jamais.’’
Si on vous comprend bien, vous n’excluez pas de soutenir la candidature de Macky Sall en 2017 ?
Ma position est claire : Dès lors qu’Abdoulaye Wade n’est plus candidat à la présidentielle, mes ambitions, après avoir été pendant 10 ans membre du gouvernement, avoir été deux fois membre du Parlement, avoir été élu dans ma localité, avoir fait ma formation et obtenu tous mes diplômes prévus dans ma spécialité, avoir été dans tous les coins et recoins du pays, avoir vécu la détresse des populations, avoir vécu le monde d’en haut et être décomplexé de toutes sortes de choses grâce à Dieu, je pense encore pouvoir avec Son assistance, sa Guidance, sa Bénédiction, achever les ambitions que j’ai pour ce peuple-là.
En attendant, si Macky Sall faisait appel à vous dans son gouvernement, accepteriez-vous ?
Que Macky Sall cherche d’abord à apaiser le climat social ; à normaliser ses relations avec cet homme qui nous a tout donné, Abdoulaye Wade.
Vous n’avez pas répondu à la question.
Comment je peux me prononcer sur une chose dont je ne connais ni la forme, ni les modalités ? Ce que je peux vous dire, c’est que si Macky Sall a besoin de moi pour discuter, par respect à l’institution, je répondrai.
Vous avez des ambitions présidentielles. Qu’est-ce qui explique votre absence aux élections locales de juin dernier ?
Pour les raisons que voici : j’ai été ministre des Collectivités locales pendant 3 ans, l’essentiel du personnel a servi sous mon autorité ou je les ai fait nommer. Je ne veux pas recevoir des courriers de mes anciens collaborateurs. J’ai des ambitions présidentielles. Toutefois notre mouvement (MPD/Liggeey) a soutenu beaucoup de candidatures dans le pays. Ce qui nous a valu aujourd’hui des dizaines de conseillers et des adjoints aux maires.
C’est quand même important de se jauger ?
Il n’y a aucun lien entre gagner des locales et devenir président du Sénégal. Wade n’a jamais été maire de Kébémer, ou maire de Point E. Diouf, pareillement. Niasse et Tanor n’ont jamais perdu chez eux, pourtant, ils n’ont pas été élu président.
Avez-vous obtenu votre récépissé ?
C’est le 15 novembre prochain que nous allons tenir l’assemblée générale de création du parti officiel. Nous allons transformer le MPD (Mouvement des patriotes pour le développement) en parti politique et engager la structuration du parti. Je pense que l’Etat ne va pas retarder le processus.
Comment voyez-vous l’avenir du PDS ?
PAR IBRAHIMA KH. WADE & DAOUDA GBAYA