«Il y a nécessité de rendre justice au peuple spolié...»
Un an de gouvernance vu par l'analyste politique Mame Less Camara. Aux questions d'EnQuête, il va droit au but dans un tour d'horizon articulé à l'action du gouvernement. De la traque des biens mal acquis à l'agriculture en passant par la crise scolaire dans notre pays.
Cela fait un an que Macky Sall est à la tête du pays. Quel regard portez-vous sur son bilan ?
Le bilan sanctionne normalement l’action, une fois que celle-ci est arrivée à son terme. Il ne peut donc s’agir que d’un bilan d’étape, à la fois prématuré et conventionnel comme celui des cent jours ou des six mois d’exercice du pouvoir. Toutefois on peut souligner que la réalité est nettement plus difficile que ce qui avait été envisagé durant la campagne. En attestent les problèmes encore persistants de coût de la vie, de sécurité, d’éducation avec l’inscription des bacheliers à l’université et les grèves qui reprennent dans l’espace scolaire. Non seulement le président Macky Sall n’a pas bénéficié de période de grâce mais il a hérité dès le lendemain de sa victoire du contentieux cumulé par son prédécesseur douze ans durant. Le président Macky Sall va devoir adopter à son tour la phrase du philosophe Kierkegaard que son devancier Abdou Diouf aimait citer : «Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin».
On a l’impression que les choses ne bougent pas dans ce pays où l’économie est comme grippée. Macky Sall a-t-il l’équipe qu’il faut ?
Cette idée date de la période de l’ancien régime. Mais elle est recyclée à l’usage du nouveau pouvoir, non pas comme une accusation mais comme une marque de son incapacité à relancer la machine à satisfaire la fameuse demande sociale. On en revient à l’optimisme excessif du programme de l’ancien candidat Macky Sall à qui une partie de l’opinion, affolée par une opposition particulièrement présente et agressive, reproche de ne pas faire suffisamment de résultat. Il est vrai que le redémarrage de l’économie est la clé de tout. A ce propos, il est vrai aussi que la question de la compétence de l’équipe gouvernementale est la clé de tout. Mais cette équation est rendue plus compliquée par la crise financière mondiale qui rend moins généreux les partenaires traditionnels comme l’Union européenne, elle-même confrontée à des difficultés qui remettent en cause sa propre existence. Et cette situation est jugée nettement prioritaire par les institutions financières internationales qui trouvent de moins en moins de ressources pour l’Afrique et les pays du tiers-monde.
«Le président Macky Sall n’a pas bénéficié de période de grâce mais il a hérité dès le lendemain de sa victoire du contentieux cumulé par son prédécesseur douze ans durant.»
Le chômage des jeunes demeure un casse-tête pour le pouvoir. Macky Sall a-t-il les moyens de ternir ses engagements en matière d’emploi ?
Le président de la République n’a naturellement pas les moyens d’une telle solution. Sous les socialistes déjà, le règne de l’Etat entrepreneur et créateur d’emplois avait pris fin. Le président peut seulement veiller à la mise en place par son gouvernement des conditions qui renforcent le secteur privé et le rendent apte à se redéployer, donc à créer des emplois. L’une des conditions est le règlement de la dette intérieure dans des proportions suffisamment significatives pour permettre une relance du secteur. Le gouvernement devra également diversifier les filières pouvant créer de l’emploi. Les espoirs suscités par l’agriculture peuvent se concrétiser si le travail préparatoire adéquat est mis en œuvre afin de réconcilier les jeunes avec le travail de la terre. Il faut rappeler que l’exode rural a résulté de la volonté de jeunes des campagnes d’échapper au statut de paysan. Il faut renverser cette vision.
De plus en plus, les chômeurs s’organisent pour prendre leur destin en main. Constituent-ils une bombe à retardement comme le craignent certains ?
C’est le chômage qui est en soi un ferment de révolte parce qu’il est un facteur de marginalisation qui crée un sentiment d’injustice. Les jeunes qui constituent la principale composante démographique sont aussi les principales victimes du chômage. L’un dans l’autre, cette situation constitue effectivement un cocktail explosif dont les effets peuvent être déstabilisateurs pour le pouvoir politique. C’est une situation perceptible dans presque tous les pays du monde mais elle est renforcée au Sénégal par le contenu du programme électoral du président qui a dû revoir à la baisse de manière drastique le nombre des emplois promis durant la campagne. D’où la nécessité d’ouvrir le dialogue avec les secteurs intéressés, que ce soit le patronat, les syndicats de travailleurs, les collectivités locales et les organisations de la société civile pour l’attribution aux jeunes de terres à usage d’agriculture. Il faut une mise en œuvre visible d’une politique de l’emploi qui, à défaut de donner du travail à tous, lance une dynamique qui, à côté des efforts fournis par le gouvernement, change les mentalités en réhabilitant le travail agricole et en incitant à l’auto-emploi.
«C’est la première fois au Sénégal qu’un gouvernement va aussi loin dans la traque aux biens mal acquis. Il doit donc se frayer son propre chemin sans aucune jurisprudence véritable pour l’éclairer.»
L’école sénégalaise est toujours en crise. Les concertations nationales sur l’enseignement sont-elles la panacée ?
La crise de l’école sénégalaise est l’un des plus vieux problèmes sociaux et politiques du Sénégal. L’ancien président Abdou Diouf en avait hérité à son arrivée au pouvoir et avait tenté en vain d’y apporter une solution avec les Etats généraux de l’Education et de la formation en 1981. Les recommandations de ces assises n’ont jamais été réellement appliquées. Il serait donc avisé de la part du président Macky Sall qu’il s’assure que la volonté politique et les moyens financiers existent avant de convoquer des travaux dont les conclusions connaîtront le même sort que celui des Etats généraux. Mais il est clair que le président devra s’orienter vers des assises de cette nature qui soient ouvertes dans leur élaboration, leur déroulement et leur suivi. Sinon le système d’éducation qui est sur une pente savonneuse va poursuivre sa dégringolade jusqu’à la chute et à la dislocation. Il faudra aussi prendre des décisions courageuses concernant la limitation des syndicats dans le secteur et le réancrage de l’enseignement dont la mission fondamentale est de former les élèves et les étudiants et non de les utiliser comme éléments de négociation pour obliger le gouvernement à respecter ses engagements.
La traque des biens mal acquis a occupé l’actualité durant la première année de Macky Sall. Comment en appréciez-vous la gestion ?
Si des indices raisonnables existent quant au détournement de deniers publics à des fins d’enrichissement personnel, il serait criminel que pour une raison ou une autre, le gouvernement renonce à poursuivre d’éventuels délinquants. Le tout est de respecter la présomption d’innocence et d’éviter la politisation. Sinon le traitement me semble normal. C’est le profil des personnes en cause qui change la perception que l’opinion a d’une procédure que les médias mettent abondamment en spectacle.
«Il faudra prendre des décisions courageuses concernant la limitation des syndicats dans le secteur éducatif et le réancrage de l’enseignement dont la mission fondamentale est de former les élèves et les étudiants et non de les utiliser comme éléments de négociation pour obliger le gouvernement à respecter ses engagements.»
On a l’impression que le gouvernement tâtonne dans cette affaire au regard de ses nombreuses maladresses. Par exemple, la polémique autour de la médiation pénale qui a opposé Latif Coulibaly et Mimi Touré.
C’est la première fois au Sénégal qu’un gouvernement va aussi loin dans la traque aux biens mal acquis. Il doit donc se frayer son propre chemin sans aucune jurisprudence véritable pour l’éclairer. D’où le risque de trébucher. Mais les différences de points de vue quant à la procédure me semblent de moindre intérêt que la nécessité de rendre justice à un peuple spolié et, surtout, de mettre un terme, par une répression exemplaire, à une conduite honteuse qui est à l’œuvre depuis l’indépendance du Sénégal.
Le président Macky Sall tergiverse encore sur la réduction de son mandat de 7 à 5 ans. Pensez-vous qu’il va respecter ses engagements ?
Le président est dans l’obligation morale de respecter cet engagement. Il ne peut pas revenir sur son engagement sans porter atteinte de manière définitive à sa dignité en tant que président de la République et en tant qu’individu. Le problème est dans la procédure de réduction de la durée du mandat. Il me semble qu’un respect du parallélisme des formes suffit. L’Assemblée nationale qui avait voté l’allongement de la durée du mandat du président de la République à sept ans pourrait aussi bien faire le contraire en la ramenant à cinq ans.
PAR DAOUDA GBAYA