Des pistes pour plus de transparence en Afrique*
L’Afrique, grande productrice mondiale de ressources naturelles, peine pourtant à échapper à la pauvreté, aux guerres, accumulant des taux négatifs dans les domaines de la santé, de l’éducation. Selon plusieurs experts, briser cette ''malédiction'' passe par une plus grande transparence dans l’exploitation et la commercialisation des richesses du continent.
Plus de coopération entre États africains ainsi que la renégociation des termes des contrats miniers aideraient à introduire la transparence qui manque dans l'exploitation des ressources naturelles africaines, selon des experts.
En poussant les États ''à adhérer à l'Initiative de Transparence des Industries Extractives'' (ITIE), ''et à être conformes aux exigences de cette initiative'', on pourrait ''mettre en place des cadres harmonisés au niveau sous-régional pour éviter la concurrence entre nos États et pour ainsi créer les conditions pour des négociations de contrats plus profitables'' aux pays africains, a affirmé Moussa Bâ, Coordonnateur régional Afrique de l'Ouest du Programme Oxfam de gouvernance des industries extractives.
Cette démarche globale des pays détenteurs de ressources naturelles aiderait à ''réviser les contrats (miniers) pour plus d'équité dans le secteur en renforçant les capacités de nos administrations'', explique l'expert de l'ONG Oxfam. Sans oublier une juste et équitable promotion des hommes d'affaires locaux.
Oxfam, comme plusieurs ONG et intellectuels africains sont de plus en plus mobilisés pour mettre fin au mode d'exploitation des ressources naturelles africaines, qui en l’état actuel des choses ne profitent aucunement à ces États, encore moins aux populations locales.
Selon Moussa Ba, en ''renforçant les mécanismes de lutte contre la corruption'', et en outillant les sociétés civiles pour le suivi de l'ITIE, il serait possible d'aligner les États africains sur les avancées récentes obtenues par les États-Unis et l'Union Européenne. Ils font désormais ''obligation aux entreprises minières de publier projet par projet ce qu'elles payent à nos États (…) sous peine d'être décotées des places financières comme Londres, Paris et New York''.
Ces mesures, basées sur la volonté politique d'instaurer la transparence dans le secteur des ressources naturelles, consacreraient dans les pays africains concernés, ''le principe de la redevabilité budgétaire'', feraient ''respecter les lois locales notamment par la prise en compte des droits de l'homme, des impacts sociaux et environnementaux'' induits par le bouleversement de l'écosystème local, une mise en œuvre effective de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) en exigeant des compagnies minières de faire plus que ''la construction (symbolique) d'une école et d'un poste de santé (au profit de) communautés dépossédées de leurs moyens de subsistance''. Pendant longtemps, la malédiction des ressources naturelles en Afrique a renvoyé aux liens qui ont pu être établis entre l'exploitation des richesses naturelles et la persistance globale des inégalités sociales et de revenus, la pauvreté, la dégradation continue de l'environnement, sans oublier les guerres de diverses natures.
Dans une tribune publiée récemment dans le quotidien français ''Le Monde'', Winnie Byanyima, directrice générale d'Oxfam, relève un paradoxe : ''En 2010, dit-elle, les exportations africaines de pétrole, de gaz et de minerais s'élevaient à 333 milliards de dollars.''
Pourtant, ''un tiers des personnes les plus pauvres de la planète vivent en Afrique subsaharienne, laquelle compte six des dix pays les plus inégalitaires du monde'', ajoute-t-elle.
En outre, souligne Winnie Byanyima, ''le potentiel du continent (…) est affaibli par l'hémorragie de capitaux – souvent due à l'évasion fiscale et la manipulation des prix de transfert par les sociétés pétrolières, gazières et minières, et ce avec la complicité de fonctionnaires corrompus.''
Pour l'économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé, directeur du Forum Africain des Alternatives, le phénomène de la malédiction des ressources naturelles résulte de ''l'accaparement des richesses comme pétrole, gaz et diamants par des multinationales, de connivence avec certaines élites locales''.
''Corruption''
Dembélé fustige également la ''corruption'' en pointant du du doigt les ''richesses partagées'' entre ''oligarchies locales et multinationales aux ramifications diverses'' alors qu'elles doivent servir à l'émergence de ''véritables économies locales orientées vers la prise en compte des intérêts des populations.''
Selon le Rapport 2008 de l'ONG Transparency International sur les performances des compagnies pétrolières et gazières, ''60% des personnes les plus pauvres vivent dans les pays riches en ressources, particulièrement en Afrique.''
Sur ce plan, la Commission Économique pour l'Afrique (CEA) des Nations-Unies indique que ''la pauvreté touche 70% de la population du Nigeria'', d'une part, et d'autre part, que ''70% de la population de l'Angola vivent avec moins d'un dollar par jour.''
Ces deux pays, Nigeria et Angola, sont pourtant respectivement premier et deuxième producteur de pétrole en Afrique. Pour l'année 2010, par exemple, rapporte le think tank ''Extractive Industries Transformy Initiative'' (EITI), le Nigeria a tiré 38 milliards d'euros de ses exportations de pétrole.
''Transparence et équité''
Pour dépasser les révoltes politiques, sociales ou ethniques engendrées par une redistribution inégalitaire des ressources naturelles, les experts suggèrent plusieurs pistes.
Demba Moussa Dembélé plaide pour une ''remise à plat'' des contrats miniers, pétroliers ou gaziers ''manifestement'' élaborés ''sans la prise en compte des droits et intérêts des populations locales et de l'intérêt des pays africains''. Ce que la dirigeante d'Oxfam appelle ''informer et consulter les communautés locales touchées par les projets d'extraction et leur accorder la possibilité d'approuver ou de rejeter un projet avant le début des opérations''.
Dans le même ordre d'idées, Winnie Byanyima souligne le profit que les pays africains pourraient tirer de la nouvelle réglementation de l'Union Européenne qui exige des entreprises ''pétrolières gazières, minières et forestières de déclarer les sommes versées aux autorités publiques des pays dans lesquels elles opèrent''.
Sur le continent même, deux expériences heureuses peuvent servir de modèle de transparence. Celui du Ghana où une ''loi sur la gestion des recettes pétrolières nationales rend obligatoire la déclaration trimestrielle des paiements et des volumes de production.'' Mais aussi au Liberia où ''l'Initiative volontaire pour la transparence dans les industries extractives (EITI) a désormais force obligatoire.''
*Article publié le 8 juillet 2013 dans allAfrica.com, en partenariat avec la Fondation Reuters