Publié le 22 Jul 2024 - 09:55
FORTES TENSIONS ET RISQUES DE CONFLIT ENTRE LA CÔTE D'IVOIRE ET LE BURKINA FASO

Les raisons de l’escalade

 

Les fortes tensions entre Ouagadougou et Abidjan risquent de porter un coup sévère aux relations bilatérales entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Les deux pays interdépendants bandent les muscles sans jamais oser aller à un conflit ouvert.

 

C’est une animosité qui, au fil des années, s’est transformée en conflit larvé entre les deux pays. Le refoulement de 168 réfugiés burkinabé aura été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, mardi dernier. Depuis 2021, le nord de la Côte d’Ivoire accueille un afflux constant de réfugiés burkinabé qui fuient les attaques des groupes armés terroristes (Gat) dans leur pays. Le nombre de réfugiés est estimé, selon le HCR, à plus de 59. 000. Près de 12 000 sont des demandeurs d’asile qui vivent dans deux sites d’accueil en territoire ivoirien. Les autorités ivoiriennes dénoncent une pression humanitaire à la frontière avec un afflux massif de réfugiés burkinabé et les risques d’infiltration de groupes terroristes liés à l’État islamique au Sahel (EIS)  et à Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi). 

‘’Ceci a poussé la Côte d'Ivoire à se barricader afin que les terroristes mis en déroute au Burkina Faso ne puissent pas s'installer de l'autre côté de la frontière", a récemment déclaré le ministre ivoirien de la Défense Tène Birahim Ouattara. 

En effet, depuis quelque temps, Ouagadougou accuse Abidjan de vouloir déstabiliser le régime burkinabé. Les experts dénoncent la porosité de la frontière qui a conduit, en septembre 2023, à l'arrestation de deux gendarmes ivoiriens en territoire burkinabé, alors qu’Abidjan détient, de son côté, un militaire et un supplétif des Volontaires pour la défense de la patrie, arrêté en mars 2024 dans le nord de la Côte d'Ivoire.

Des tensions qui se sont accentuées depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahima Traoré qui a renversé le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba réputé proche d’Abidjan et de Paris. L’ancien homme fort de Ouagadougou avait même autorisé l’ex-président burkinabé déchu Blaise Compaoré à rentrer au pays en juillet 2022. Cette autorisation, dans le cadre d’une réconciliation nationale, avait ulcéré les milieux sankaristes et nationalistes burkinabé qui réclament toujours l’extradition de Blaise Compaoré qui a acquis la nationalité ivoirienne après sa chute en 2014. 

Cette visite et la proximité avec la France furent considérées par les experts comme l’une des raisons de la chute de Damiba en octobre 2022. En outre, les postures nationalistes et souverainistes des pays de l’AES n’ont pas aussi facilité les liens entre Ouagadougou et Abidjan perçu avec méfiance du côté du ‘’Pays des hommes intègres’’ comme le porte-avion de la France dans la région. Surtout que le régime de Traoré avait expulsé les forces spéciales Sabre basées à Ouagadougou dans une effervescence et une montée du sentiment anti-français en février 2023. 

Cette montée des tensions pourrait aussi exploser, si les forces américaines expulsées du Niger s'installaient dans le nord de la Côte d’Ivoire pour contrer les groupes djihadistes qui menacent les pays du golfe de Guinée. 

Mais ce redéploiement n’est pas du goût des pays de l’AES qui sont allergiques à la présence de forces étrangères dans la région du Sahel. Même si l'information n’a pas encore été confirmée par Abidjan, son annonce par les médias a fait réagir le capitaine putschiste burkinabé Ibrahim Traoré, qui accuse Abidjan de vouloir renverser son pouvoir. La tension politique entre les deux voisins pourrait avoir de sérieuses conséquences sur la stabilité de la sous-région.

Selon Victor Nana, analyste géopolitique au Centre de recherche pour le Sahel, cette situation ne risquerait pas de déboucher en conflit armé, dans la mesure où les deux pays sont interdépendants sur le plan économique et social, et qu’un conflit risque de nuire aux intérêts des deux pays.  

Sur le plan économique, ‘’la Côte d’Ivoire ne peut pas se permettre un conflit, à l’approche de la Présidentielle de 2025, tandis que la forte présence d'une forte communauté burkinabé et l'enjeu stratégique du port d’Abidjan sont très importants pour le Burkina Faso. En outre, Ouaga détient aussi une participation au sein de la Société ivoirienne de raffinage qui assure une grande part de l'approvisionnement en hydrocarbure du pays. Même si les deux pays semblent vouloir jouer la surenchère nationaliste, il est peu probable qu'ils arrivent à un conflit armé, surtout que l'armée burkinabé a du mal à se départir de l’emprise des groupes armés terroristes’’, affirme l’analyste.

Toutefois, le chercheur est d’avis que la situation devrait rester tendue jusqu'aux élections de 2025.  La visite de Guillaume Soro, le 22 novembre 2023, et le soutien tacite de Laurent Gbagbo et de certains hommes politiques ivoiriens de moindre envergure aux pays de l’AES pourraient ne pas faire descendre la tension entre Abidjan et Ouagadougou.  Depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, le lien n’a pas cessé de s’effilocher. Si Abidjan avait livré, en début 2023, des armes à l’armée du jeune putschiste pour l’appuyer dans la lutte antidjihadiste, les relations sont aujourd’hui glaciales, la coopération en matière militaire et de renseignement est à l’arrêt.

Par ailleurs, pour beaucoup d'experts, ces accusations du régime burkinabé tombent dans une période de fortes tensions au sein du pouvoir burkinabé avec des rumeurs quotidiennes de putsch. Ce regain de nationalisme doit permettre de ressouder la junte autour de la personne du capitaine Traoré.

Les groupes armés terroristes empiètent sur les États côtiers, multipliant les attaques dans les régions septentrionales du Bénin et du Togo. Les groupes affiliés à l’État islamique au Sahel (EIS) et Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) depuis leurs bases dans le Nord-Mali et l’est du Burkina Faso ont consolidé leur présence à la frontière ivoirienne. Même si les autorités ivoiriennes ont renforcé leur dispositif dans le nord de la Côte d’Ivoire, cette partie du pays a connu, en juin 2020, une vague d’attentats organisés par des groupes djihadistes dans la région du Bounkani, frontalière avec le Burkina Faso, qui ont fait au moins 18 morts dans les rangs des forces de défense ivoiriennes. Les localités de Kafolo (11 juin 2020  et 29 mars 2021), Kolobougou (29 mars 2021)  et Tougbo (7 juin 2021)  ont aussi été victimes des Gat avec l’utilisation nouvelle d’engins explosifs improvisés (EEI). Le 12 juin 2021, trois soldats ont péri lors du passage de leur véhicule militaire sur un EEI, sur l’axe Téhini - Togolokaye, près de la frontière avec le Burkina Faso. La Côte d’Ivoire et ses voisins se doivent de collaborer pour la tenue régulière d’opérations militaires et de sécurité, mais aussi l’amélioration de la gouvernance ainsi que le développement dans les zones frontalières afin de freiner l’expansion des groupes djihadistes vers le golfe de Guinée.

Mamadou Makhfouse NGOM

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