Un parfum “d’indépendance”
Le général Brice Oligui Nguema doit être déclaré président de « transition » moins d’une semaine après le putsch. A Libreville, la vie a déjà repris son cours.
Au lendemain de la chute d’Ali Bongo Ondimba, chassé par des militaires du pouvoir qu’il détenait depuis quatorze ans, les rues de Libreville, la capitale du Gabon, ont retrouvé leur effervescence habituelle, entre parfum « d’indépendance » et vigilance pour l’avenir.
Abou, jeune commerçant du quartier Batterie 4, a repris sa place derrière le comptoir de sa petite épicerie très fréquentée, dont la devanture rouge était demeurée fermée mercredi, après que des militaires ont renversé le président à peine proclamé réélu dans un scrutin que les putschistes estiment truqué.
Sardines, presse, transferts d’argent, pots multicolores remplis de sucreries, c’est le rendez-vous de nombreux habitants du quartier que ces derniers ont agréablement retrouvé jeudi, après l’annonce par les putschistes d’un retour à la vie normale.
Le jeune homme, qui n’a pas donné son nom de famille, confie sa « satisfaction » de voir s’éteindre la « dynastie Bongo » après cinquante-cinq ans de pouvoir entre les mains du père Omar Bongo puis du fils, et de reprendre le travail. Il dit toutefois attendre de voir comment « les choses vont tourner ».
« Content et dubitatif »
A l’image de cette échoppe, c’est toute la ville qui a retrouvé son ardeur. En témoignent les fortes odeurs de gaz d’échappement émanant du boulevard du Bord-de-Mer, l’un des plus fréquenté de la capitale, qui se mêlent à la chaleur humide, un prémisse du retour prochain de la saison des pluies.
Non loin de là, il flotte un parfum d’euphorie dans le quartier « derrière la prison » où coiffeurs, garagistes et laveurs de voitures ont quasiment tous repris le travail. Et ici, le fumet délicat de légumes grillés et de coupé-coupé, une recette à base de viande de bœuf, s’échappe d’un fumoir.
Près du quartier administratif, installée avec des amis à la terrasse d’un « maquis », un sobriquet désignant les débits de boissons et restaurants de quartier, Josée Anguiley dit avoir « deux sentiments » contradictoires : « on est content de cette situation, et légèrement dubitatif, on craint un peu en même temps » pour la suite, explique la jeune commerçante de 36 ans entre deux gorgées de Régab, une bière locale particulièrement appréciée.
« Les militaires ne peuvent pas diriger un pays, on veut qu’un civil prenne le pouvoir. Il faut que la situation actuelle ne dure pas longtemps, que la transition se fasse rapidement », abonde Jasmine Assala Biyogo, la propriétaire des lieux, qui assure avoir voté en faveur du principal rival d’Ali à la présidentielle, Albert Ondo Ossa.
« Vous nous avez sauvés ! »
Dès l’irruption d’un policier manifestement habitué des lieux, la jeune femme de 35 ans lui saute au cou : « Merci, vous nous avez sauvés ! » s’exclame-t-elle. Le fonctionnaire, souriant, se prête volontiers au jeu.
Dans les rues, les vendeuses de légumes ont elles aussi repris place et le manioc, le safou (un fruit très consommé en Afrique centrale), les piments verts et rouges, cohabitent à nouveau sur les nappes de fortune multicolores. Avec une certaine excitation, chacune se passe et se repasse les téléphones dans lesquels les images des célébrations de la veille tournent en boucle.
Hormis quelques contrôles et fouilles de véhicule justifiées par le fait que « certains partent avec des valises », selon une gendarme, le dispositif policier n’avait rien d’extraordinaire, hormis la présence de quelques véhicules et blindés devant les lieux du pouvoir (ministères, institutions), et particulièrement autour du palais présidentiel, dans le quartier Bord de Mer.
Lundi, le nouvel homme fort du Gabon, le général Brice Oligui Nguema, sera déclaré président d’un pouvoir de « transition » à la durée encore indéterminée, tandis que l’opposition exhorte les putschistes à reconnaître plutôt la « victoire » d’Albert Ondo Ossa.
Le Monde avec AFP