Une victoire géopolitique

La Banque africaine de développement (Bad) a un nouveau visage. Et il est mauritanien. En trois tours de scrutin, les 81 actionnaires régionaux et non régionaux de la prestigieuse institution panafricaine ont tranché : Sidi Ould Tah succède au Nigérian Akinwumi Adesina à la tête de la Bad. Une victoire écrasante (76,18 % des voix) qui laisse peu de place au doute, reléguant Amadou Hott, ancien ministre de l’Économie du Sénégal, à une lointaine troisième place (3,55 %).
Une défaite sèche, mais digérée avec élégance. Dans un message empreint de dignité, Amadou Hott a félicité le président élu, remercié ses soutiens et salué l’engagement personnel du président Bassirou Diomaye Faye. ‘’Les actionnaires ont décidé. Je félicite Dr Sidi Ould Tah, président élu, et lui souhaite plein succès’’, a-t-il déclaré sur ses réseaux sociaux. Un fair-play salué dans les cercles diplomatiques, même si la déception transparaît en filigrane.
Une percée stratégique de la Mauritanie
Entré tardivement dans la course, Sidi Ould Tah a su capitaliser sur une dynamique diplomatique parfaitement orchestrée. Ancien directeur de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea) et ex-ministre mauritanien de l’Économie, le nouveau président de la Bad a séduit par sa double légitimité africaine et arabe.
Son élection reflète aussi le rayonnement croissant de la Mauritanie sur la scène africaine et internationale : membre du Comité exécutif de la Fifa, vice-présidence de la Caf et désormais présidence de la Bad. La présidence tournante de l’Union africaine par Mohamed Ould Ghazouani en 2024 a aussi pesé sur la balance.
Mais c’est surtout l’appui discret et puissant de l’Arabie saoudite et des pays de la Ligue arabe qui a donné l’avantage décisif à Ould Tah. Ce dernier s’est présenté comme un pont entre le continent africain et les grands bailleurs arabes, un positionnement qui a fait mouche dans un contexte où l’Afrique cherche à diversifier ses sources de financement.
Un projet ambitieux pour la Bad
Le programme de Sidi Ould Tah, sobrement intitulé ‘’Les quatre points cardinaux’’, se veut à la fois réaliste et audacieux. Il s’articule autour de quatre priorités : réformer l’architecture financière africaine ; transformer le dividende démographique en moteur de croissance ; accélérer l’industrialisation à partir des ressources naturelles et mobiliser des capitaux à grande échelle hors des circuits classiques.
L’homme connaît son sujet. Sous sa direction, la Badea a vu ses décaissements exploser, sa note de crédit grimper jusqu’à AA+ (S&P) et son influence grandir. ‘’La Badea est aujourd’hui une des rares institutions africaines à rivaliser avec les meilleures banques de développement au monde’’, rappelait-il à ‘’Jeune Afrique’’.
À partir du 1er septembre, Sidi Ould Tah prendra officiellement ses fonctions à Abidjan. Il hérite d’une institution en bonne santé – avec 310 millions d’euros de bénéfices nets en 2024 et une capacité de prêt de plus de 300 milliards de dollars, mais confrontée à des défis majeurs : changement climatique, dettes souveraines, insécurité croissante et besoins massifs en infrastructures.
Le président sortant, Akinwumi Adesina, laisse derrière lui une stratégie décennale centrée sur les ‘’High 5’’ (électrifier, nourrir, intégrer, industrialiser l’Afrique et améliorer la qualité de vie).
Reste à savoir comment son successeur s’appropriera cette feuille de route.
‘’La Bad peut faire mieux et doit faire plus’’, affirmait Ould Tah pendant sa campagne. Son pragmatisme, sa connaissance des partenaires arabes et sa vision intégrée du développement africain seront autant d’atouts dans une conjoncture incertaine.
Pour Amadou Hott, l’aventure Bad s’arrête donc ici. Mais son nom, associé à celui d’un ministre réformateur et d’un technocrate reconnu, pourrait revenir dans d’autres sphères de la finance continentale ou au sein d’organisations multilatérales. En politique comme en économie, les échecs d’aujourd’hui sont souvent les tremplins de demain.
La défaite d’Amadou Hott à la Bad : une lecture nuancée d’un processus diplomatique complexe
Face à une telle mécanique bien huilée, la candidature d’Amadou Hott, pourtant compétente et préparée, a semblé manquer d’envergure continentale. Certains analystes évoquent un défaut de timing, d’autres une insuffisante mobilisation diplomatique. ‘’Le Sénégal a certes un président populaire, mais la diplomatie économique demande plus qu’un soutien politique : elle exige des relais constants, des coalitions solides et une stratégie de long terme’’, confie un journaliste présent à Abidjan.
Le 29 mai 2025, l’élection à la présidence de la Banque africaine de développement a vu la victoire du Mauritanien Sidi Ould Tah, avec 76,18 % des voix. Le candidat sénégalais, Amadou Hott, a terminé en troisième position, derrière le Zambien Samuel Munzele Maimbo (20,26 %). Cette issue a suscité des critiques, certains y voyant un échec de la diplomatie du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko.
Cependant, une analyse approfondie révèle une réalité plus nuancée, reposant sur des facteurs structurels et temporels indépendants de la nouvelle gouvernance sénégalaise.
Une candidature initiée avant le changement de régime
La candidature d’Amadou Hott à la présidence de la Bad a été lancée bien avant l’élection présidentielle sénégalaise de mars 2024, qui a porté Bassirou Diomaye Faye au pouvoir. Les démarches diplomatiques, la constitution du dossier technique et les premières approches stratégiques auprès des pays membres avaient été initiées entre septembre 2023 et mars 2024. Ainsi, le nouveau régime a hérité d’une dynamique électorale déjà largement façonnée.
Par ailleurs, les campagnes électorales dans les institutions internationales, telles que la Bad, s’étalent généralement sur 18 à 24 mois. Le travail de terrain, la constitution des alliances durables et les négociations bilatérales approfondies nécessitent ce temps long. Bien que disposant de 13 mois, la nouvelle équipe a dû composer avec des contraintes structurelles déjà établies.
En outre, le système électoral de la Bad pondère les votes selon la participation au capital. Le Sénégal, avec environ 1,8 % des droits de vote, a vu son candidat obtenir 3,55 % des voix, soit une mobilisation diplomatique dépassant de près de 100 % le poids économique naturel du pays. Ce résultat témoigne d’un travail diplomatique effectif, malgré les défis rencontrés.
Une mobilisation diplomatique significative du nouveau régime
Malgré les contraintes héritées, le président Bassirou Diomaye Faye a personnellement effectué plus de 40 appels téléphoniques aux principaux dirigeants africains, délégué 15 émissaires de haut niveau dans les capitales stratégiques et mobilisé l’intégralité du réseau diplomatique sénégalais sur cinq continents, révèlent certaines sources.
Dans la foulée, entre avril 2024 et mai 2025, l’administration Faye-Sonko a organisé 12 rencontres bilatérales de haut niveau, spécifiquement dédiées à la candidature, mobilisé 8 millions d’euros pour la campagne diplomatique, déployé 25 diplomates en mission spéciale et coordonnée avec la diaspora sénégalaise dans 35 pays.
En 13 mois d’exercice, la diplomatie Faye-Sonko a obtenu des résultats notables : préservation de l’unité de la CEDEAO face à la crise de l’AES, médiation réussie dans le conflit Gambie - Guinée-Bissau, renforcement des partenariats avec les pays du Golfe, attraction de 2,3 milliards d’euros de nouveaux investissements, signature de 18 nouveaux accords économiques et commerciaux…
Pour beaucoup d’observateurs, la défaite d’Amadou Hott à la présidence de la Bad ne saurait être interprétée comme un échec de la diplomatie sénégalaise actuelle. Elle résulte d’un ensemble de facteurs structurels et temporels ainsi que de dynamiques géopolitiques complexes.
La Mauritanie, nouvelle puissance douce africaine ? Le succès de Sidi Ould Tah à la tête de la Banque africaine de développement (Bad) ne doit rien au hasard. Il s’inscrit dans une montée en puissance discrète, mais stratégique de la Mauritanie sur la scène diplomatique continentale. En moins de cinq ans, Nouakchott a su habilement combiner capital technocratique, diplomatie multilatérale et réseaux culturels pour s’imposer comme un acteur clé du Soft Power africain. Plusieurs facteurs expliquent cette percée : · Proximité culturelle et linguistique : Située au carrefour du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, la Mauritanie bénéficie d’un double ancrage qui facilite le dialogue aussi bien avec les pays arabes qu’avec les États d’Afrique noire francophone. · Un candidat légitime et expérimenté : Sidi Ould Tah n’est pas un outsider. Son passage remarqué à la tête de la Badea (Banque arabe pour le développement économique en Afrique) pendant dix ans a renforcé son profil de bâtisseur crédible et d’unificateur naturel entre Afrique et monde arabe. · Un réseau diplomatique renforcé : Sous l’impulsion du président Mohamed Ould Ghazouani, qui a présidé l’Union africaine en 2024, la Mauritanie a consolidé ses alliances, notamment avec l’Arabie saoudite, le Koweït et les pays du Maghreb, tout en conservant une image de neutralité appréciée. · Présence continentale renforcée : Membre du Comité exécutif de la Fifa, Vice-présidence de la Caf, Désormais présidence de la Bad, l’une des plus grandes banques multilatérales. |
AMADOU CAMARA GUEYE