Le grand dilemme !
Entre la pression des médecins et les réalités socio-économiques, le gouvernement du Sénégal peine à trouver la voie la plus appropriée pour faire face à la pandémie, en évitant un chaos social et économique.
Dans sa croisade contre le coronavirus, le Sénégal, à l’instar de nombreux pays africains, semble avoir du mal à trouver une voie propre qui soit conforme aux exigences locales. Depuis mars 2021, le pays s’est engouffré dans une course à la vaccination, dont il ne semble maitriser ni les tenants ni les aboutissants. Plus de quatre mois après le démarrage, la campagne en est encore à ses balbutiements. Selon les chiffres communiqués par le ministère de la Santé et de l’Action sociale, moins de 5 % de la population totale est aujourd’hui vaccinée. Et déjà, ils sont nombreux les Sénégalais qui n’ont pu jusque-là bénéficier de la deuxième dose, alors que leur rendez-vous est arrivé depuis juin.
Au moment où le pays peine à se procurer ses deuxièmes doses, il est de plus en plus agité l’idée d’une troisième dose, au moins pour les couches les plus vulnérables, pour garantir l’immunité au bout d’une certaine période. Autrement dit, dans les milieux scientifiques, ils sont nombreux à envisager la possibilité d’un rappel vaccinal toutes les années pour assurer la protection des individus.
Dans son discours du 12 juillet dernier, il y a quatre jours, Emmanuel Macron disait : ‘’Je veux m’adresser à ceux qui, vaccinés les premiers (c’est-à-dire en janvier et février) verront prochainement leur taux d’anticorps baisser et leur immunité diminuer. Je veux ici les rassurer. Dès la rentrée, une campagne de rappel sera mise en place pour vous permettre de bénéficier d’une nouvelle injection, selon le même système et les mêmes conditions que la ou les premières. Les rendez-vous peuvent être pris dès les premiers jours du mois de septembre.’’ Ce qui dénote une baisse de l’efficacité du vaccin au bout seulement de six mois environ.
L’équation de la vaccination
Dès lors, la question qui se pose est de savoir si le Sénégal, les Etats africains ont les moyens de se payer chaque année des vaccins pour des rappels nécessaires ? Quelles dispositions mettre en œuvre pour une stratégie efficace de vaccination de toutes les populations ? La réalité a montré qu’il sera difficile, pour le pays, de respecter le nombre de doses pour chaque Sénégalais et dans le timing requis pour garantir leur efficacité.
Cela dit, pour les pays qui en ont les moyens, les scientifiques français estiment que les vaccins disponibles dans leur pays permettent se protéger solidement contre le virus, et même du variant Delta. ‘’Ils divisent par 12 son pouvoir de contamination et évitent 95 % des formes graves. L’équation est simple. Plus nous vaccinerons, moins nous laisserons des espaces au virus pour se diffuser, plus nous éviterons les hospitalisations et plus nous éviterons des mutations éventuellement plus dangereuses. Vacciner un maximum de personnes partout à tout moment’’, affirmait le président Macron.
Mais les pays en développement ont-ils les moyens de dérouler les campagnes de vaccination selon les standards ? Telle est la grande question qui se pose aux spécialistes.
Une chose est sûre : l’humanité sera obligée de vivre avec le virus pendant des mois, voire des années encore. Comme c’est le cas avec certaines maladies comme le paludisme et la grippe. Aussi, faudrait-il à la fois de l’endurance et de l’efficience pour une lutte efficace contre la Covid-19. A ce jour, l’Etat semble plus valser entre un attentisme ahurissant et des paradoxes révoltants. Après avoir tenu des rassemblements sur l’étendue du territoire, durant tout le mois de juin, alors même que le virus était en pleine expansion, il revient préconiser la limitation des rassemblements, le télétravail et la limitation des déplacements. D’ailleurs, les détracteurs n’ont pas tardé à tourner en dérision cette posture pour le moins incompréhensible.
Homme politique et ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye s’indigne sur sa page twitter : ‘’Qu’a-t-on fait au bon Dieu pour mériter ça ? Après avoir organisé les déplacements et rassemblements les plus importants depuis trois ans, mettant le Sénégal en campagne préélectorale, son gouvernement (le gouvernement de Macky Sall) demande la limitation des déplacements et rassemblements.’’
Entre paradoxes, mimétismes et impuissance manifeste
Aussi paradoxal que puisse paraitre la démarche, les spécialistes des épidémies s’accordent à admettre que ces deux mesures sont indispensables pour endiguer la propagation exponentielle du virus qui pourrait entrainer le pire. Docteur Cheikh Sadibou Sokhna : ‘’Avec les rassemblements politiques, religieux, sportifs, culturels comme les mariages, baptêmes et funérailles, le non-respect du protocole au niveau des marchés, des mosquées et des transports en commun, la recrudescence de la maladie était prévisible. Il est établi que les rassemblements augmentent les risques de propagation du virus. Il faut donc les éviter au maximum.’’
En tout cas, malgré les discours alarmistes des uns et des autres, il est des mesures qui ne semblent plus possibles à mettre en œuvre depuis le mois de mai 2020, quand le président de la République avait pris l’option jugée réaliste d’inviter les Sénégalais à apprendre à vivre avec le virus. C’était suite à deux mois d’intenses luttes où toute l’économie était à l’arrêt ou presque. Ce qui n’avait pas manqué de provoquer un désastre sur les plans économique et social. Au mois de mai, le président s’adressait à ses populations en ces termes : ‘’Après deux mois de mise à l’épreuve, nous devons sereinement adapter notre stratégie, en tenant compte une fois de plus de notre vécu quotidien. J’ai consulté, à cet effet, une équipe pluridisciplinaire d’éminents experts nationaux. Il ressort de leur analyse que, dans le meilleur des cas, c’est-à-dire si nous continuons d’appliquer les mesures édictées, la Covid continuera encore de circuler dans le pays jusqu’au mois d’août, voire septembre.’’
C’était pour montrer qu’il est impossible d’exiger certains sacrifices au Sénégal. Deux mois, c’était déjà largement suffisant. ‘’Ces projections, insistait-il, montrent que l’heure ne doit pas être au relâchement, mais à l’adaptation. Plus que jamais, l’Etat continuera de veiller à l’application des mesures de contingentement de la maladie. Mais plus que jamais, la responsabilité de chacun est engagée. Dans cette nouvelle phase qui va durer non pas quatre semaines, mais au moins 3 à 4 mois, nous devons apprendre à vivre en présence du virus, en adaptant nos comportements individuels et collectifs à l’évolution de la pandémie.’’
Dans la foulée, ont été levées ou allégées plusieurs mesures restrictives des libertés. Il en fut ainsi de l’allégement du couvre-feu, de la réouverture des lieux de culte et des marchés, de la levée de l’interdiction sur les transports, de l’annonce de la reprise des cours dans les écoles et universités, entre autres… C’était la fin d’une ère, le début d’une nouvelle dans la lutte contre la pandémie mortelle. Malgré les critiques acerbes, l’histoire a montré que, face à la Covid-19, il n’y a pas d’autre choix possible que l’adaptation, de s’adapter en fonction des moyens à disposition. Ceci est d’autant plus valable dans le continent africain où les conditions économiques et sociales ne permettent pas la mise en place de certaines mesures.
Au mois de juin 2020, alors que les cas continuaient de flamber, l’Etat prend la décision de lever le couvre-feu, au grand dam de certains médecins aux discours alarmistes.
La revanche de l’économie sur la santé
Avec la nouvelle vague de coronavirus, la panique reprend sa place, mais l’Etat semble résolument se résoudre à laisser l’économie et les activités suivre leur cours. Ceci était d’ailleurs l’une des motivations principales de la première levée des mesures restrictives. A l’époque, le chef de l’Etat assumait : ‘’Il nous faut adapter notre stratégie de façon à mener nos activités essentielles, en faisant vivre notre économie, en veillant à la préservation de notre santé et celle de la communauté. Au regard de ces considérations, j’ai décidé de l’assouplissement des conditions de l’état d’urgence.’’
Lors de sa dernière réunion hier, le CNGE, après avoir constaté une hausse importante du nombre de cas de contamination à la Covid-19, a pris un certain nombre de recommandations dont la limitation des rassemblements. Mais, à ce jour, cela reste une simple invite, puisque les actes sous-jacents n’ont pas encore été pris pour les rendre obligatoires. Nous sommes loin de la tonalité empruntée par le président au soir du 23 mars, pour proclamer l’état d’urgence pour la première fois. Quand il disait : ‘’Le virus gagne du terrain. A ce jour, il n’y a ni vaccin ni médicament homologué contre le Covid-19. Ce soir, mes chers compatriotes, et je vous le dis avec solennité, l’heure est grave. La vitesse de progression de la maladie nous impose à relever le niveau de la riposte. A défaut, nous courrons un sérieux risque de calamité publique. En conséquence, je déclare l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national.’’
Paradoxalement, à l’époque, il n’y avait que 71 cas sous traitement pour zéro décès, avec des taux de positivité relativement faibles. Comme quoi, la logique économique a bien pris sa revanche sur celle de la santé.
MOR AMAR