La Bamboula des improductifs
La Sapco est devenue aujourd’hui un gouffre financier. En 4 ans, elle a reçu des subventions cumulées de 16 milliards sans faire de résultat. Ce qui n’empêche pas l’Etat à continuer de soutenir financièrement la structure chargée de l’aménagement de la petite côte. D’ailleurs, dans la loi des finances rectificatives figure un milliard pour les travaux d’embellissement de la route d’accès de Saly Portudal.
Le président de la République veut accorder une place prépondérante au tourisme dans sa politique économique. Et à ce titre, Macky Sall ne lésine pas sur les moyens accordés à la Société d’aménagement de la petite côte (Sapco), bras technique de l’Etat en la matière. Mais le temps est peut-être venu pour le gouvernement de marquer une pause et de revoir le statut, la mission et le passif de l’entreprise dirigée actuellement par Bocar Ly, tant les ressources allouées sont importantes et le résultat quasi nul. Il faut remonter en 2013 pour mieux comprendre cette situation actuelle. En effet, arrivée au pouvoir en 2012, Macky Sall a manifesté une ferme volonté de relancer la Sapco. Et pour cela, il s’est montré généreux à l’égard de cette structure à qui il a accordé des subventions dont le cumul fait un total de 16 milliards en 4 ans, soit une moyenne de 4 milliards par an.
Avant le décaissement des montants, un certain nombre de décisions destinées à libérer la Sapco de toutes contraintes ont été prises. En fait, le régime actuel a trouvé la société dans un contentieux datant de 1989 avec le groupe hôtelier Savana. Il ne s’agit pas du seul problème, puisque en tout, 4 affaires opposaient les deux partenaires avant l’arrivée du nouveau pouvoir. Parmi ces dossiers, il y a celui susmentionné lié à un litige foncier relatif à la liquidation d’astreintes. ‘’Une ordonnance en date du 15 mai 2008 avait liquidé provisoirement l’astreinte à 168 000 000 francs CFA sur la base de la décision du 13 Juillet 2006 qui prescrivait à la Sapco de délivrer un bail emphytéotique à l’Hôtel Savana, sous astreinte de 750 000 francs CFA par jour de retard’’, informe une source proche du ministère du Tourisme.
Voyant que la Sapco ne s’est pas conformée à l’ordonnance, le Tribunal régional hors classe de Thiès a autorisé à Savana, le 27 avril 2012, à inscrire une hypothèque conservatoire sur les droits réels immobiliers de la Sapco, notamment sur le lot n°638/MB. Seulement, le village de Saly se trouve sur ce même titre foncier et n’a jamais fait l’objet d’extraction au profit de la commune de Mbour. Autrement dit, si l’ordonnance est exécutée, tous les habitants de Saly pourraient être expulsés de leurs maisons. Pour désamorcer cette bombe sociale, il a été proposé au chef de l’Etat de reprendre le bail de Saly des mains de la Sapco, afin d’éviter l’expulsion des populations. Une décision prise le 2 octobre 2012 et qui a eu le mérite également de résoudre ‘’l’épineux problème d’hypothèque conservatoire et du paiement de 168 000 000 francs CFA d’astreinte’’. Le 29 octobre 2012, deux assiettes foncières destinées à la Sapco sont créées à Pointe Sarène et Mbodiène pour respectivement 110ha 31a 40ca et 504ha 09a 60ca (TF 1316/MB et TF 1325/MB).
L’affaire est dès lors prise en charge au plus haut sommet de l’Etat. En l’espace d’un mois (23 janvier 2013 et 22 février 2013), le président de la République a abordé la question en conseil des ministres. Il demande une réflexion sur l’avenir de la société. Le Premier ministre d’alors, Abdoul Mbaye, dans une note datée du 22 février 2013, instruit le ministre du Tourisme de l’époque ‘’d’engager la nouvelle direction générale de la Sapco à prendre toutes les dispositions nécessaires pour décliner cette vision en programmes et déterminer pour chaque programme, le coût et la durée’’. Le chef du gouvernement ajoute qu’il attend ‘’sans délai’’ que le document lui soit parvenu pour une complète information du Président Macky Sall. C’est donc parti pour un soutien inconditionnel.
Assiettes foncières de Pointe Sarène et Mbodiène
En 2013, la Sapco qui avait perdu le bail du lot 368/MB (source de son financement) bénéficie de 500 millions de francs CFA pour son fonctionnement et de 852 millions destinés aux projets de requalification de Cap Skiring, Saly, Mbodiène, Pointe Sarène, Delta du Saloum, Joal-Finio, la Zone Nord et Kafountine /Abéné. ‘’Le Ministre de l’Economie et des Finances avait mis à la disposition de l’entreprise une seconde inscription de 4 241 915 000 francs CFA sur la loi de finances rectificative 2013’’, ajoute une source. Pour formaliser tout cela, il a été signé une convention entre l’Etat et la Sapco le 21 novembre 2013. Elle permet à cette entité ‘’de mettre en pratique la réforme annoncée dans son Plan d’action 2012-2017 et de disposer d’assiettes foncières sous forme de titres fonciers’’.
Les assiettes foncières ainsi créées en 2012 seront affectées par l’Etat à la Sapco le 27 mars 2014 à raison de 5 000 Francs CFA le mètre carré. Ce qui donne un montant de 5 515 700 000 francs CFA pour les 110ha de Pointe Sarène et 25 204 800 000 pour les 504ha de Mbodiène. Soit un total de 30 720 500 000 F CFA. Quant aux 385 impactés, ils ont reçu une indemnisation d’un montant de 1 841 597 619 francs disponibles déjà dans le budget de 2015.
Cette cession se fera dans des conditions particulièrement avantageuses pour la société. En effet, à la place de bail, l’Etat a opté pour une cession définitive, permettant à la Sapco ‘’de céder en toute propriété aux investisseurs les lots qu’ils auront mis en valeur’’. Il est accordé à la Sapco un différé de paiement qui court jusqu'au 1er janvier 2015. À partir de cette date, la société devra progressivement verser le prix de cession, au fur et à mesure de ses ventes. Un paiement à effectuer auprès du Chef du bureau des Domaines de Mbour. Autre avantage, un paiement de 15% du montant du prix de chaque transaction sur ces deux assiettes foncières jusqu'à paiement complet du montant dû à l'Etat.
‘’Toutefois, la Sapco-Sénégal est tenue, dans la première quinzaine de chaque trimestre, de déposer auprès du Bureau des Domaines de Mbour, un état détaillé de toutes les reventes faites sur les deux terrains, en précisant les noms des acquéreurs, le prix de cession et le projet porté par le bénéficiaire de la vente’’, précise une source. Il faut nécessairement la quittance de paiement de la quotité due à l'Etat pour qu’il y ait mutation au livre foncier de la propriété de chaque parcelle de terrain cédée. Les modalités étant fixées, la Sapco peut dérouler son plan d’action. Le 27 octobre 2014, un protocole d’entente (MOU) est signé à Johannesburg entre la Sapco et le groupe Sud-africain NTONGA portant aménagement du site touristique de Pointe Sarène sur 102 ha pour 28 milliards francs CFA. Ledit site devait être opérationnel le 31 décembre 2016. D’autres investisseurs potentiels s’étaient engagés. Mais le contrat finira par tomber à l’eau après le limogeage du directeur Paul Faye.
Perfusion financière permanente
Quant à l’Etat, il continue de soutenir financièrement la Sapco. Dans la loi des finances rectificatives figure un milliard pour les travaux d’embellissement de la route d’accès de Saly Portudal. Cependant, l’ancien ministre Abdoulaye Diouf Sarr est accusé d’avoir réduit l’enveloppe de moitié pour financer ses activités politiques. Officiellement, l’argent est destiné à alimenter le Fonds d’impulsion des activités touristiques(FIAT) logé dans son cabinet. Au total, en 2014, c’est 3 milliards 059 millions alloués à la Sapco. Un an auparavant, c’était 4 milliards 670 millions, et en 2015, c’est 5 milliards 059 millions. Soit un total de 12 milliards 789 millions. En 2016, c’est 2,5 milliards. Si l’on y ajoute les 929 415 000, cela fait un total de 16 milliards 188 millions. Malgré tous les avantages, la société n’est pas parvenue à voler de ses propres ailes. ‘’La Sapco-Sénégal est devenue une entreprise qui ne vit que de subventions de l’Etat et est actuellement dans l’incapacité absolue de vivre d’une manière autonome de ses ressources propres’’, déplore un ancien conseiller au ministère du tourisme.
En vérité, il importe à l’Etat du Sénégal de régler certains préalables. Il s’agit d’abord du statut juridique de la société. Alors que le Contrôleur financier de la présidence de la République estime que la Sapco est régie par la loi de 90-7 du 26 juin 1990, le DG lui est convaincu qu’elle est régie par l’Acte uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique. Lorsque l’un veut que les décisions du conseil d’administration soient validées par la Présidence, l’autre rejette. De ce fait, malgré les efforts de l’Etat qui continue à maintenir la Sapco sous perfusion financière, les dirigeants de cette société qui multiplie les pertes se permettent une augmentation de salaires, notamment ceux du Pca à 2 millions et du DG à 3 millions. Décision prise lors du conseil du 30 décembre 2013. Sans compter la hausse des jetons de présence des administrateurs de 25 000 Francs CFA à 150 000 CFA en 2013, puis à 200 000f CFA par séance depuis l’année 2015.
Jetons de présence
Mais il faut croire que le flou enrage toutes les parties prenantes, car, une source révèle que le représentant du Contrôleur financier profite du vide juridique pour bénéficier lui aussi de jetons de présence, alors qu’il n’est pas administrateur. ‘’A la constitution de Sapco-Sénégal SA, le 15 octobre 2009, le Contrôleur financier de la Présidence, représentée par Mme Mbaye Seynabou Badiane, Contrôleur d’Etat, n’était pas comptée parmi les administrateurs ainsi que Monsieur Ndiaga Sarr, Directeur de KPMG, commissaire aux comptes. Or, dans les états financiers de 2015, le nom d’Ousseynou Ba figure parmi les administrateurs de la société, ramenant ainsi le nombre à 11 en lieu et place des 10 reconnus officiellement’’, renseigne un informateur.
Ensuite, l’Etat doit se pencher sur les conflits de compétence avec la Société d’aménagement des sites touristiques (SAST), deux sociétés qui ont le même objet social, c'est-à-dire l’aménagement touristique. De la même manière, il urge de s’attaquer aux rivalités entre la Sapco et certaines directions du ministère du Tourisme, indique-t-on. Particulièrement la Direction des études et de la planification (DEP) et la Direction des investissements et de la promotion touristique (DIPT) dont les missions principales d’élaboration des plans d’aménagement et de recherche d’investisseurs sont aussi celles de la Sapco.
‘’On assiste aujourd’hui, outre les conflits de compétences entre les services, directions et agences, à un véritable empiètement et une totale dilution des compétences de la Sapco-Sénégal au profit de structures inopportunes et à missions redondantes’’, regrette une source qui accuse les différents ministres de tutelle d’avoir entretenu ces ‘’guerres fratricides’’.
MAME TALLA DIAW