Ce qui différencie Diomaye 1 des précédentes équipes
L’étude des gouvernements successifs depuis Wade, en 2000, voire au-delà, montre que les premières équipes font très souvent l’unanimité auprès de l’opinion. Mais au fur et à mesure, le parti tend à prendre le dessus sur les alliances et sur l’efficacité. La particularité de Diomaye 1, c’est d’avoir dès le départ mis en avant le parti sur les alliances, tout en ayant le souci de privilégier une approche basée sur les compétences.
Le temps de grâce continue pour le premier gouvernement de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko. Dans l’ensemble bien accueilli chez la plupart des observateurs, Sonko 1 a une large faveur des pronostics. Parviendra-t-il à battre les records de longévité ? La tâche est loin d’être compliquée, si l’on sait que par le passé, depuis 2000, les gouvernements, surtout les premiers qui font suite aux alternances, ont des durées de vie très limitées dans le temps.
Quelques exemples pour l’illustrer : Gouvernement Niasse 1 (3 avril 2000-3 mars 2001) ; Gouvernement Abdoul Mbaye 1 (3 avril 3012-1er septembre 2013)…
À l’instar de Sonko, tous ces gouvernements ont été applaudis à leur nomination. Dans le premier gouvernent de Wade en 2000 dirigé par Moustapha Niasse, il y avait moins de 30 ministres (26 au total, dont deux ministres délégués), peu de membres étaient issus du Parti démocratique sénégalais.
Le ‘’Pape du Sopi’’ avait, en effet, misé sur les fortes têtes des partis alliés de gauche qui l’avaient aidé à conquérir le pouvoir, se passant des jeunes loups du PDS qui n’avaient pas toujours une grande expérience de l’État.
Sur les 10 Premiers ministres dans l’ordre protocolaire, on ne dénombre que deux membres du Parti démocratique sénégalais (Youba Sambou, Forces armées et Pape Diouf, Agriculture et Élevage), pour trois personnalités indépendantes : Makhtar Diop (ministre de l’Économie et des Finances), Mame Madior Boye (Justice) et Cheikh Tidiane Gadio (Affaires étrangères). Tous les autres sont des alliés.
Outre Moustapha Niasse Premier ministre, on avait Landing Savané, Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho, Madieyna Diouf, etc. Venaient ensuite dans l’ordre protocolaire le général Mamadou Niang, ministre de l’Intérieur, Madior Diouf, Enseignement supérieur, Oumar Khassimou Dia au Plan.
Dans l’ensemble, le PDS devait avoir à peine 10 représentants environ dans ce premier gouvernement de la première alternance.
La suite, tout le monde la connait. Très vite, s’instaurent au sommet de la République des clivages qui vont mener au départ de la plupart des ténors de la gauche.
Le deuxième gouvernement de Wade aura la particularité d’être dirigé par une personnalité indépendante, de surcroit une dame, en l’occurrence la magistrate Mame Madior Boye, garde des Sceaux dans l’équipe de Niasse. Dans ce gouvernement de 29 ministres, dont deux ministres délégués, on dénombre déjà quatre femmes, compte non tenu de la cheffe du gouvernement, contre trois dans le premier gouvernement de la première alternance.
Là également, on compte pas mal de personnalités alliées (Bathily, Dansokho, Landing, Yéro Deh…), de fortes personnalités indépendantes comme Mame Moussé Diagne, Penda Mbow, général Niang… Une petite amélioration du quota du PDS avec les entrées d’Aminata Tall, Mamadou Seck, Cheikh Sadibou Fall, Awa Guèye Kébé…
Ce gouvernement durera du 3 mars 2001 au 4 novembre 2002. Il sera emporté par le naufrage du bateau ‘’Le Joola’’ qui va précipiter le troisième gouvernement de Wade dirigé par Idrissa Seck.
Mais avant de partir, Mame Madior avait renforcé le quota des femmes avec les nominations d’Awa Marie Coll Seck, Aicha Agne Pouye, Thiéo Cissé…
Me Wade, le tournant du naufrage du bateau le ‘’Joola’’
Avec Mame Madior qui était une personnalité neutre sans ambition politique, la relation était partie pour être idyllique, après les heurts avec son prédécesseur Niasse. À son départ des suites du naufrage, Wade opère un virage à 180 degrés en décidant de nommer enfin un PM issu de son parti, en l’occurrence Idrissa Seck. On note également une reprise en main du parti sur l’État et un départ massif des fortes personnalités de la majorité présidentielle.
Entre Seck et Wade, c’était un peu comme entre Sonko et Diomaye. À la différence que Wade président avait bien plus de légitimité que son PM Seck. Contrairement à Diomaye président qui a bien moins de légitimité que Sonko PM. Entre Wade et Idy, les choses n’ont pas tardé à virer au clash. Idy est parti le 21 avril 2004, après sa nomination le 4 novembre 2002. Son successeur, Macky Sall, réputé à l’époque de sa nomination bien moins ambitieux que Seck, aura plus de succès en dirigeant l’équipe gouvernementale jusqu’à la réélection de son mentor Wade en 2007, avant d’être remplacé par le technocrate Haguibou Soumaré.
Entretemps, l’équipe a connu des réaménagements profonds, mais avec toujours Macky Sall comme capitaine d’équipe. C’est d’ailleurs l’un des Premiers ministres de Wade qui a le plus duré au poste, du 21 avril 2004 au 19 juin 2007, soit plus de trois ans à la barre.
Avec Macky Sall, le nombre de ministres a explosé pour atteindre le seuil des 40 ministres, dont cinq ministres d’État et cinq ministres délégués. Un gouvernement très politique, pour ne pas dire politicien et qui devait aller à la conquête d’un deuxième mandat de Wade. À la suite de la réélection de Wade, Haguibou succède à Sall qui commençait à prendre des galons. Cette nomination d’un technocrate coïncide avec le retour d’un gouvernement resserré de 29 ministres, dont un ministre délégué, plusieurs ministres d’État, avec une forte entrée de personnalités indépendantes. La débâcle des libéraux aux élections locales de 2009 pousse Wade à faire revenir un politique à la tête du gouvernement.
Cette fois, c’est Souleymane Ndéné Diagne qui est promu capitaine et qui dirigera une équipe d’une trentaine de ministres, moins pléthorique cependant que les gouvernements de Sall.
Si Wade a eu six Premiers ministres et sept gouvernements durant les 12 ans qu’il a faits au pouvoir, Macky aura cinq PM pour environ 10 gouvernements (les remaniements profonds sont considérés comme de nouveaux gouvernements, même si le Premier ministre ne change pas.
Ainsi, sous Wade, seul Macky a pu diriger deux gouvernements successifs.
Sous Macky Sall, Mahammed Boune Abdallah Dionne a eu à former trois gouvernements successifs ; deux pour Amadou Ba). À ces équipes, il faut ajouter celles qui ont été mises en place pendant la suppression du poste de Premier ministre.
Comme Wade qui avait misé sur une forte présence des alliés au début de l’alternance de 2000, Macky Sall a aussi essayé de gouverner dans un premier temps avec une forte présence des alliés. Dans son premier gouvernement dirigé par un technocrate, le banquier Abdoul Mbaye, on note 12 ministres issus des partis alliés, contre 11 de l’APR et deux personnalités indépendantes (la ministre de la Santé Awa Marie Coll Seck et le ministre de l’Économie et des Finances Amadou Kane).
Dès le mois d’octobre, l’équipe connaitra un petit réaménagement avec une bonne dose de techniciens. On note les arrivées de Mankeur Ndiaye, du général Pathé Seck pour le ministère de l’Intérieur, Arame Ndoye, Latif Coulibaly, Abdoul Aziz Mbaye, Mary Teuw Niane… À l’exception du général, tous les autres ont finalement été enrôlés dans le parti au pouvoir.
Abdoul Mbaye débarqué, après 17 mois
Ce réaménagement aura surtout été marqué par l’éloignement de fortes personnalités du parti présidentiel, surtout de celui qui était présenté comme le n°2, en l’occurrence le Premier ministre des Affaires étrangères Alioune Badara Cissé, remplacé après seulement six mois au poste pour délit d’ambitions, selon nombre d’observateurs.
C’est contre toute attente qu’Abdoul Mbaye sera débarqué le 1er septembre 2013, après 17 mois.
Promue Première ministre, Aminata Touré, qui gérait la Justice avec beaucoup de panache au point de faire de l’ombre au président, aura la lourde tâche de mener la barque vers les élections locales de 2014. Elle sera d’ailleurs limogée à la suite de ces élections, alors même qu’elle jouissait d’une bonne réputation auprès de l’opinion. Sa défaite à Dakar a été le prétexte pour la limoger. Certains en avaient déduit que sa promotion même était un piège, car elle commençait sérieusement à être gênante pour son chef.
Son gouvernement a été marqué par un recours accru aux techniciens comme Amadou Ba, Mouhamadou Makhtar Cissé comme ministre délégué chargé du Budget, Papa Abdoulaye Seck, Sidiki Kaba, Maimouna Ndoye Seck. La particularité des personnalités indépendantes sous Macky Sall, c’est qu’elles finissent toutes par rejoindre le parti présidentiel.
Mimi sera remplacée par Mahammed Boun Abdallah Dionne, ancien ministre chargé du PSE, le 6 juillet 2014.
Réputé très complice avec son mentor de l’époque, feu Mahammed Boune Abdallah a, de 2000 à nos jours, été le Premier ministre qui a le plus duré à ce poste. Il doit sa nomination le 6 juillet à la suppression du poste de PM au mois de mai 2019, soit presque cinq ans. Seuls Abdou Diouf en tant que PM de Senghor et Habib Thiam en tant que PM de Diouf ont fait mieux.
Nommé le 29 avril 1991, Habib Thiam a dirigé le gouvernement du Sénégal jusqu’au 3 juillet 1998, soit plus de 7 sept ans. Quant à Diouf, il a fait plus de 10 ans au poste, de son rétablissement en 1970 à la démission de Senghor en 1980. Sous Macky Sall, Mimi est la PM qui a le moins duré au poste avec seulement 10 mois. Même Moustapha Niasse a pu faire mieux avec une espérance de vie de 11 mois.
Il faut noter que sous les socialistes, les gouvernements étaient bien plus stables avec seulement deux Premiers ministres pour Senghor (Mamadou Dia en tant que président du Conseil jusqu’en 1962, puis Diouf de 1970 à 1980). Le poste a été supprimé entre 1962 et 1970.
Avec Diouf, on compte trois Premiers ministres, Niasse de manière éphémère, Habib Thiam ami intime de Diouf et Mamadou Lamine Loum vers la fin de règne du président Diouf.
Dans son premier gouvernement, Diomaye a donc suivi la tradition de ses successeurs consistant à mettre en place une équipe resserrée, ne dépassant souvent pas 30 ministres. Contrairement à Wade et à Macky Sall cependant, l’équipe mise en place se caractérise par une faible représentation des alliés, une forte domination du Pastef, avec plus de 60 %, une bonne présence des techniciens.
À l’épreuve de la longévité
Au moment où les deux précédents chefs d’État ont donc commencé par des équipes avec de faibles représentations de leurs partis pour ensuite monter en puissance dans l’appareil d’État, Diomaye a choisi de démarrer avec une équipe partageant avec lui le même projet, la même trajectoire.
De fortes appréhensions pèsent ainsi sur son gouvernement quant à sa longévité, mais surtout par rapport au poste de Premier ministre avec la ‘’concurrence’’ de légitimité au sommet.
Par ailleurs, l’autre constance des gouvernements qui se sont succédé depuis 2000, c’est une relative stabilité en ce qui concerne certains départements stratégiques comme les Forces armées, la Santé, les Affaires étrangères, l'Intérieur, l’Économie et les Finances, l’Agriculture, notamment sous Abdoulaye Seck à l’Enseignement supérieur sous Macky Sall, bref, la plupart des départements de souveraineté.
MOR AMAR