Publié le 7 Mar 2023 - 06:23
HUB AÉRIEN

Un envol timide !

 

Alors qu’il rêvait, depuis l’ouverture de l’aéroport international Blaise Diagne de Diass, de faire 5 millions de passagers en 2025 et 10 millions en 2035, le Sénégal rate son premier but et devra accélérer la cadence pour ne pas rater l’objectif fixé pour 2035.

 

Où en est donc le Sénégal avec son projet hub aérien régional ? Dans sa stratégie de faire de Dakar le premier hub aérien de l’Afrique de l’Ouest, le pays envisageait d’atteindre 5 millions de passagers en 2025 ; 10 millions en 2035. Le moins que l’on peut dire, c’est que pour 2025, l’objectif ne sera pas atteint.

Faisant une présentation à l’occasion d’un atelier de partage organisé par l’Union des inspecteurs de la sécurité et de la sureté de l’aviation civile (Unisac), le directeur de la Sécurité des vols de l’Anacim, Farba Diouf, s’est voulu catégorique : ‘’Cet objectif de 5 millions pour 2025 ne peut pas être atteint. On peut le dire très clairement.’’ Pour étayer son propos, il rappelle qu’en 2019, l’AIBD comptait 2,5 millions de passagers ; 2,6 millions en 2022. ‘’Dans moins de trois ans, nous ne pouvons pas atteindre 5 millions de passagers. Il faudrait une progression régulière d’au moins 40 % par année pour atteindre cet objectif. Cela est impossible’’, s’est-il justifié, avant de plaider pour une accélération des investissements pour relever le défi pour 2035.

Dans le cadre de la mise en place du hub, deux éléments sont essentiels, si l’on en croit les différents intervenants. D’abord, c’est l’infrastructure aéroportuaire, ensuite la montée en puissance de la compagnie nationale qui constitue l’acteur principal du hub. Pour ce qui est de l’aéroport de Diass, il faut rappeler qu’il a été paramétré pour 3 millions de passagers maximums. Les participants se sont tout de même réjouis de l’engagement des autorités de l’agrandir. ‘’Les travaux vont certainement bientôt démarrer, assure le directeur de la Sécurité des vols. Monsieur Diouf ajoute : ‘’Nous sommes en train d’étendre l’aérogare pour au moins doubler la capacité. Il faut terminer cette infrastructure d’extension de l’aéroport qui sera corrélé à la montée en puissance de la compagnie nationale. Bien qu’il y ait des compagnies étrangères qui amènent du monde, si nous voulons réaliser un hub, il faut une compagnie nationale dynamique et efficace.’’

‘’Nous ne pouvons pas atteindre 5 millions de passagers en 2025’’

En ce qui concerne la compagnie nationale, les défis sont encore énormes pour qu’il puisse jouer son rôle dans ce que doit être le hub de Dakar. 

Selon le spécialiste, si Air Sénégal suit un bon plan de redressement, s’il améliore son efficacité, sa ponctualité, en définissant des objectifs et des cibles réalistes, le Sénégal pourrait réussir son pari pour 2035.

L’autre objectif, relève-t-il, c’est la compétitivité. À ce niveau, il préconise : ‘’La compagnie nationale doit essayer d’uniformiser sa flotte pour faire des économies d’échelle. Si vous avez plusieurs types d’avions, vous devez acheter plusieurs types de pièces de rechange, former plusieurs pilotes... C’est augmenter les effectifs, augmenter les pièces de rechange. Or, si vous avez deux à trois max, là on peut faire des économies d’échelle en ayant un nombre d’avions supérieur à 10. Je pense que la compagnie travaille dans cette perspective. Pour le moment, il y a la famille A320 et les ATR 72. Avec l’arrivée de nouveaux avions, il faut faire en sorte que la flotte reste uniformisée pour réussir à faire des économies d’échelle et être compétitifs.’’

Outre l’infrastructure aéroportuaire et la compagnie nationale qui en est le centre, le hub nécessite également des supports comme des organismes de maintenance et de formation. Sur ce plan, Dakar semble sur la bonne voie. 

L’AIBD est, en effet, en train de construire un MRO. Toute la partie maintenance en base et maintenance en ligne pourrait ainsi être assurée sur place. ‘’Si vous n’avez pas d’organisme de maintenance d’envergure dans votre pays, chaque fois qu’il y a une panne, vous êtes obligés d’emporter les avions dans un autre pays. Très souvent en Europe. Ensuite, pour les pièces de rechange, on fait des commandes qui peuvent prendre des jours ou des semaines avant d’arriver. C’est du temps perdu et des couts supplémentaires ; ce qui déteint également sur la compétitivité.’’

Il faudra agrandir l’AIBD pour accueillir plus de 3 millions de passagers par an

Au-delà du centre de maintenance, Dakar va également se doter d’un organisme de formation pour résorber le gap en matière de personnels techniques qualifiés. ‘’Aujourd’hui, se réjouit M. Diouf, l’État a mis en place un organisme qui est en train de former des pilotes et des techniciens de maintenance. C’est une excellente chose. Ce qui va donner du personnel à la compagnie nationale et aux autres avions de la plateforme. C’est important pour faire de Dakar un hub’’.

 À ce jour, souligne le directeur de la Sécurité des vols de l’Anacim, 60% des pilotes d’AIR Sénégal sont des étrangers ; 4/5 pour Transair ; 100 % pour Heliconia. ‘’Cela montre que le Sénégal, à l’instar de beaucoup de pays dans le monde, a des difficultés à avoir des pilotes. Heureusement, l’État est en train d’en former, mais il faut du temps pour qu’ils sortent de l’école et acquérir l’expérience nécessaire pour prendre les avions de la compagnie nationale’’.

À terme, estime le directeur, il s’agit de faire de l’aéroport international Blaise Diagne un point de collecte de passagers. ‘’C’est-à-dire des avions plus petits doivent prendre des voyageurs dans de courtes destinations : Conakry, Bissau, Banjul et les acheminer à Dakar qui est le point de collecte. Avec des avions plus grands, on les achemine vers les destinations plus longues comme Paris, New York, Montréal… C’est ça le hub’’.

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Le défi de la sécurité

Malgré un nombre d’accidents moins élevé, l’Afrique est cinq à six fois plus accidentogène que le niveau mondial. Le Sénégal a des efforts énormes à faire dans le domaine de la sécurité.

Dans la perspective du hub, la prise en charge de la sécurité est aussi fondamentale. Dans cet ordre d’idées, toutes les parties prenantes - les compagnies aériennes, les organismes de formation, les organismes de maintenance aéronautiques, les organismes d’assistance en escale - doivent se mettre à niveau, dans la mesure où avec le hub, il faut envisager une démultiplication des activités. Et du point de vue de la sécurité, l’Afrique a encore d’énormes efforts à faire. Farba Diouf : ‘’Entre 2019 et 2021, le nombre d’accidents a considérablement diminué dans le monde. On est parti de 114 accidents dans le monde en 2019 à 48 accidents en 2021. Au niveau de l’Afrique, on est passé de quatre à deux accidents. Vu sous cet angle, on a l’impression que l’Afrique s’en est bien sorti, mais il faut relativiser. Quand on prend le taux qui reflète le nombre d’accidents par million de vols, on se rend compte que l’Afrique est cinq à six fois plus accidentogène que le niveau mondial. Ce qui interpelle non seulement les autorités d’aviation civile que nous sommes pour assurer une meilleure supervision des compagnies aériennes, mais aussi l’État qui a en charge de mettre à la disposition de l’autorité des ressources humaines et financières qu’il faut, afin qu’une bonne supervision puisse être assurée.’’

Dans le cas du Sénégal, en termes de sécurité, le pays est à 67 % de conformité, selon l’OACI. Dans la perspective du hub aérien avec la démultiplication des activités, des efforts restent à faire.

Selon le président de l’Unisac, le Sénégal a des atouts indéniables, avec notamment des personnels de qualité, mais aussi un aéroport qui répond aux standards internationaux. Il déclare : ‘’Maintenant, il faut tout mettre en œuvre pour que les passagers puissent profiter de cet aéroport, pour que les acteurs puissent aussi en profiter. Il faudra aussi travailler pour que la connexion entre l’AIBD et les aéroports régionaux qui sont en train d’être réhabilités puisse être effective. L’ambition est de faire en sorte que le Sénégalais puisse quitter Matam, venir à l’AIBD pour regagner sa destination en des temps raisonnables.’’

Avec 40 à 50 inspecteurs pour le moment, c’est-à-dire les personnes chargées de veiller sur l’application des règles à l’instar des policiers et gendarmes sur terre, le Sénégal est obligé de se renforcer dans la perspective du hub. ‘’Si on veut que Dakar soit un hub aérien, un lieu de transit où tous les aéronefs passent, cela suppose une augmentation des personnels.  Si véritablement l’Anacim n’a pas les moyens de sa politique en termes d’effectifs, on ne peut parler de hub. Les compagnies, pour qu’elles puissent venir à Dakar, il faut qu’elles s’assurent que l’autorité de l’aviation civile est une autorité forte, qui a des personnels compétents et qualifiés, qui comprennent la réglementation’’.

Embouchant la même trompette, le directeur général a magnifié le travail des inspecteurs, avant d’annoncer des investissements importants pour améliorer les conditions de travail. Le budget alloué à la formation, informe-t-il, a été augmenté de 20 % cette année et qu’un plan de développement triennal des ressources humaines a été élaboré afin de résorber le déficit.

‘’Soyez rassurés qu’au-delà de ces formations, je ne ménagerai aucun effort pour vous garantir de meilleures conditions de travail, comme l’exige d’ailleurs les dispositions réglementaires, afin de rendre plus attrayant votre corps aussi précieux, mais surtout pour vous faciliter à respecter votre code de déontologie’’, a souligné le directeur général de l’Anacim.

MOR AMAR

 

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