Le cadeau de feu Djily Mbaye se meurt, et l''Etat reste impuissant
Installée à Louga depuis le début des années 80 grâce à l’entregent et la générosité de Feu El Hadj Djily Mbaye, l’usine de confection de la Sotexka a traversé le temps avec les maladresses de gestion commises sous Diouf et Wade. Un sort de vache laitière qui contraste véritablement avec ce pour quoi elle a été mise en place. Aujourd’hui, au-delà des dégâts constatés relativement à différentes expériences malheureuses, un comité d’initiative pour la réouverture de la Sotexka à Louga est né. Des pistes de solution sont brandies, et il ne manque que l’accompagnement de l’Etat dont l’usine reste la propriété.
«Où en sommes-nous pour le développement de la région de Louga ? Dans les gradins ou dans le jeu ?» C’est sur fond de ce questionnement que le Comité d’initiative pour la réouverture de la Sotexka à Louga a convié les populations à une réunion d’information samedi dernier. Cette usine maintes fois fermée et rouverte, et qui a connu trois appellations dans son existence (avec Nsts et Indosen), a une capacité d’emplois de mille cinq cents personnes. Le diagnostic qui a été fait révèle à cet effet que la mauvaise gestion et la politique politicienne l’ont à chaque fois mise à genoux. La réflexion est engagée et les solutions préconisées seront soumises aux autorités nationales.
«Il est possible de rouvrir la Sotexka avec d’autres partenaires, opérateurs économiques ou une société anonyme lougatoise pour régler la question du chômage dans notre région», affirme Macissé Thiam, membre de l'Association pour le développement de la région de Louga (ADEREL). «Pour nous, il s’agit de faire fonctionner la Sotexka de manière pérenne. Le marché existe dans la sous-région et au niveau international. Des partenaires tapent à nos portes pour la reprise. Nous estimons que l’usine ouverte et bien gérée peut aider les populations lougatoises dans la lutte contre la pauvreté», a ajouté M. Thiam, par ailleurs conseiller municipal.
Propriété de l’Etat, l’usine a souvent servi les intérêts des politiciens. Le dernier responsable en date sous le magistère de Wade l’avait prise en location-gérance. Mais, au lieu de donner du travail, ce repreneur politicien s’est juste contenté de la dépouiller. Sur les sept cents machines de confection dont l’entreprise avait été dotée, certaines ont disparu aujourd'hui. «Nous savons combien elles sont, quand est-ce que ces machines ont été enlevées, et par qui... L’Etat est informé de toute cette situation», avertit le président du comité d'initiative. «Quand viendra l'heure de rouvrir l'usine, il sera très facile de demander par des procédures correctes, et pourquoi pas judiciaires, de faire en sorte que le matériel nous revienne.»
Autre préalable à régler pour une reprise normale des activités, c’est le passif laissé par le dernier administrateur-repreneur de l'entreprise. Un passif décliné en termes de charges sociales diverses (arriérés de salaires, cotisations sociales, etc.). S’il n’a pas une idée exacte des montants dus aux anciens travailleurs par cet ancien directeur général, leur délégué Oumar Diop suggère la prise en compte de cette situation à la signature de tout protocole d’accord que l’Etat signerait avec un éventuel repreneur. «Ce sera la garantie d’un bon climat social», a-t-il estimé. Non sans demander une autonomie juridique par rapport à l’usine de Kaolack dont la Sotexka Louga est une composante.
L'INTERVENTION DE FEU DJILY MBAYE
Du Groupe des 4 à Serigne Mboup
Selon Oumar Diop, délégué syndical, l'ex-figure tutélaire de Louga a beaucoup contribué à la mise en place de la Sotexka dans la capitale du Ndiambour. «Feu Djily Mbaye en personne m’avait fait appeler durant la première grève que nous avions déclenchée en 1984 et à laquelle il était opposé. Chez lui, il m'a dit : ''Quand je forçais la main des Toubab (NDLR : Européens) à Genève, j’étais le seul Noir là-bas. Je l’avais fait pour la seule face de Dieu afin d'éviter aux populations de Louga l'humiliation de la main tendue pour du riz ou un billet de 1000 francs... Sotexka, c’est la société textile de Kahone, mais je leur ai imposé d’en faire bénéficier Louga. Et ils ont accepté d’y développer la filière confection. J’avais comme partenaire un ami de Kaolack, un de Richard-Toll et Ndiouga Kébé. On nous appelait le groupe des quatre. Nous avions réuni notre argent et étions devenus actionnaires majoritaires dans le capital de vingt-deux milliards. Si l’usine est donc installée ici, c’est seulement pour les fils de Louga. C’est pour cela que je n’y veux pas de grève.»
L'entrevue avec le milliardaire défunt s'est bien passé, raconte le délégué. «Quand je lui ai dit que nous sommes restés trois mois sans salaires, il m’a signifié qu’il allait nous trouver un financement de deux milliards au niveau de la Banque africaine de développement. C’était lors de la première gestion avec Sidy Diop, qui n’avait que sept cents millions de fonds de roulement pour démarrer. Mais, tant bien que mal, il a tenu avec pendant trois ans. On n’a pas eu de problèmes jusqu’à la quatrième année au moment de la fin du premier financement mis en place.»
La bamboula à tous les étages
Et les périodes de chômage technique arrivèrent, poursuit Oumar Diop. «Entre 90 et 92, le financement attendu est tombé. Sidy Diop remercié, arrive un ancien ministre sous Diouf. Il débarque avec sa famille dont certains sont par la suite envoyés au Maroc pour être formés. A leur retour, il les a dispatchés entre Kaolack, Thiès et Louga.» Pour le délégué syndical, c'est une bamboula à grande échelle qui est ainsi mise en place. «A cette époque, l’adjoint du DG était le président de l’US Rail, et un jeune frère de l'ancien président Abdou Diouf était le président du club sportif Asc Ndiambour», rappelle-t-il. «Chacun d'eux avait pris treize joueurs de son équipe pour en faire des salariés payés 80 000 chaque mois sans travailler. Et cette situation a duré des années. Je l’avais dénoncé partout, mais nombre de Lougatois n’étaient pas d’accord avec moi.»
L'autre mauvaise note de la gestion du DG cité plus haut, ce sont les expatriés recrutés pour donner un standing au club de football. «On leur trouvait un logement dans le Grand-Louga, un véhicule de fonction, et une prise en charge totale sans que leur travail n’impacte en réalité sur la productivité de l’usine», rappelle le syndicaliste. Après une transition avec le dénommé Lamine Ndoye Fall, c'est l'homme d'affaires Ibrahima Macodou Fall qui a pris le relais. «Il ne disposait pas d'une bonne surface financière, (mais) l’usine lui a été donnée grâce à feu Madia Diop (NDLR : ancien patron de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal, CNTS)», se souvient Oumar Diop. Qui poursuit : «à l’époque, les dirigeants de la Savonnerie africaine Fakhry (SAF) voulaient même la reprendre en compagnie du Groupe Tati, et ils semblaient offrir plus de gages de sérieux...»
Pour le Comité d'initiative en faveur de Sotexka, la suite n'a pas sorti l'entreprise du tourbillon de l'échec, malgré les espoirs suscités par l'arrivée de Serigne Mboup, patron du CCBM.
Ce qui a fait entrer Serigne Mboup dans la danse, c’est une location-gérance accordée par l’Etat. Mais cet espoir ne s'est pas concrétisé, l'entreprise ayant été déclarée en état de faillite… »
«Ne plus être en retard»
La levée de boucliers du comité d’initiative pour la réouverture de la Sotexka à Louga laisse transparaître une certaine faillite des autorités locales, politiques surtout, qui ont déroulé le tapis rouge aux conseil interministériel et conseil des ministres décentralisés des 19 et 20 décembre derniers. C’est à croire que parmi les projets pertinents soumis à l’Etat pour financements, la relance de la Sotexka ne serait pas digne de considération. Sinon, comment expliquer sa non prise en compte dans la relance annoncée des activités industrielles de cet outil à portée de main et en mesure de jouer un rôle important dans la résolution des problèmes du chômage et la promotion socio-économique des populations ? se demandent les responsables du comité d'initiative. Il s’y ajoute aussi «un manque d’ambition», si on se réfère aux propos du Premier ministre, lors du conseil interministériel, qui a jugé insuffisante l’enveloppe des projets soumis par la Mairie et le Conseil régional, et demandant par conséquent de travailler à la revoir à la hausse.
Aujourd’hui, moins de deux mois après, comme pour se racheter, elles disent être bien en phase avec le comité d’initiative pour la réouverture de la Sotexka. C’est du moins ce qu’a laissé entendre un de ses responsables. Quant à Momar Lô, ancien député et ministre conseiller sous Wade, il est venu demander sa place dans le comité tout en avouant avoir été de l’équipe qui a fait le travail préparatoire en direction du Conseil interministériel. Qui disait qu’«en politique, il ne faut jamais être en retard» ?
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MOUSTAPHA SECK
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