Publié le 16 Aug 2023 - 23:13
INTERVENTION MILITAIRE AU NIGER

Une indécision qui profite au statu quo 

 

Face aux menaces de la CEDEAO, la junte au Niger multiplie les actes de défiance. Alors que l’organisation a activé sa force en attente, les militaires nigériens annoncent des poursuites contre le président déchu pour ‘’haute trahison’’.

 

Réunie en sommet le jeudi 10 août à Abuja (Nigeria), la CEDEAO a ordonné le déploiement de sa force en attente, sans préciser dans l'immédiat la forme et le rôle de ce dispositif. Pour restaurer l'ordre constitutionnel au Niger, le président ivoirien est prêt à envoyer entre 850 et 1 100 hommes aux côtés des soldats du Nigeria et du Bénin, ainsi que ceux "d'autres pays".

Selon Alassane Ouattara, si les putschistes décident de partir, il n’y aura pas d’intervention militaire. Mais tout dépend d’eux. Nous sommes déterminés à réinstaller le président Bazoum dans ses fonctions. Le Sénégal a annoncé son intention de participer à l’intervention militaire, si elle doit s’exécuter.

Alors qu’une rencontre était prévue samedi dernier, les chefs d’État-major de la CEDEAO se réuniront jeudi 17 et vendredi 18 août au Ghana pour évoquer une possible intervention militaire au Niger. Plus d’une semaine après l’expiration de l’ultimatum lancé par l’organisation sous-régionale pour un retour en place du président renversé, le statu quo demeure.

Poursuites contre le président Bazoum

Les putschistes, eux, menacent désormais de poursuivre le président Mohamed Bazoum. Dans un communiqué lu à la télévision nationale, le colonel-major Amadou Abdramane a  déclaré que "le gouvernement nigérien a réuni à ce jour les preuves pour poursuivre devant les instances nationales et internationales compétentes le président déchu et ses complices locaux et étrangers, pour haute trahison et atteinte à la sûreté intérieure et extérieure du Niger".

Une sortie qui n’a pas été du goût de la CEDEAO, qui a assuré que cette déclaration ‘’constitue une nouvelle forme de provocation et contredit la volonté prêtée aux autorités militaires de la République du Niger de rétablir l’ordre constitutionnel par des moyens pacifiques’’.

Après une visite d’une délégation de religieux à Niamey, ce weekend, les autorités militaires s’étaient montrées ouvertes à une résolution pacifique de la crise.

Le président nigérien a été renversé par un putsch militaire le 26 juillet 2023. Toutes les offres et les avertissements lancés par la CEDEAO se sont montrés improductifs.  Si les militaires au pouvoir multiplient les actes de défiance, c’est qu’ils sont conscients qu’une intervention militaire au Niger reste très impopulaire auprès de la majorité des populations.

Alors que la CEDEAO est poussée dans ses derniers retranchements, les parlementaires des pays composant l’organisation sous-régionale restent majoritairement contre une intervention militaire aux conséquences potentiellement incontrôlables.

Les députés de la CEDEAO contre la guerre

Samedi dernier, ces députés se sont réunis en session extraordinaire virtuelle, impliquant des membres du Parlement nigérien. Ces derniers, ainsi que d’autres participants, ont majoritairement rejeté l’idée d’une intervention militaire au Niger. Leur rencontre s’est terminée sur l’idée de poursuivre la recherche d’une solution pacifique, avec l'envoi de nouveaux émissaires à Niamey. Dans son propre pays, le président nigérian, président en exercice de la CEDEAO, fait face à des résistances au Sénat, contre l’envoi de l’armée dans une guerre ‘’impopulaire’’ et dangereuse.    

Député à l’Assemblée nationale du Sénégal, Thierno Alassane Sall partage ces craintes. En visite, ce weekend, chez le khalife général de Médina Baye, Serigne Mahi Ibrahima Niass, le leader de la République des valeurs prévient qu’une fois l’assaut lancé, "il y aura un déferlement de réfugiés dans toute la sous-région, mais parmi ces réfugiés il y aura aussi des terroristes, des djihadistes, des activistes qui vont se promener dans toute la sous-région. De plus, ces opérations ne peuvent pas être menées sans l'apport des pays occidentaux... Cela veut dire que nous nous transformons en tirailleurs encore une fois...".

Alors que la CEDEAO tergiverse, la junte au pouvoir déroule son action. Après avoir mis en place le Conseil national pour le salut de la patrie (CNSP), le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte, a nommé un Premier ministre civil.

Malgré les appels à rendre le pouvoir, les militaires ont formé un gouvernement composé de 21 ministres, dont des militaires désignés aux postes de ministres de la Défense et de l’Intérieur, et nommé un secrétaire général du gouvernement, Mahamane Roufai Laouali.

La junte sollicite l’aide de la Guinée

Une délégation de la junte s’est rendue, ce weekend, à Conakry. Reçus par les autorités militaires guinéennes, elles aussi issues d’un coup d’État militaire, les Nigériens ont demandé "un soutien renforcé pour affronter les défis à venir". Le chef d'État guinéen, le colonel Mamadi Doumbouya, n’a pas encore officiellement affiché son soutien militaire aux putschistes nigériens, comme l’ont déjà fait les militaires au pouvoir au Mali et au Burkina Faso.

Toutefois, le colonel Doumbouya a assuré à ses hôtes que ‘’quand nos peuples ont des problèmes, nous sommes toujours présents. On sera toujours là et c’est ce qui a été le cas pour nos frères du Burkina, du Mali, du Niger. Pour nous, il n’y a que nous qui pouvons trouver des solutions à nos problèmes. Notre position, elle, est claire, c’est vraiment faire face aux problèmes de nos peuples’’.

Pendant ce temps, le sort du président Bazoum inquiète ses ex-homologues de la CEDEAO. Des informations partagées par l’ONG Human Rights Watch qui affirme s’être entretenue avec lui et qui assure que le chef d’État et sa famille ne disposent plus d’électricité depuis le 2 août ni aucun contact humain depuis une semaine.

Le président de la Commission de l’Union africaine s’indigne même de cette situation. ‘’Un tel traitement d’un président démocratiquement élu à travers un processus électoral régulier est inadmissible. L’ensemble de la communauté internationale doit rassembler concrètement tous ses efforts pour sauver la vie et l’intégrité morale et physique du président Mohamed Bazoum’’, appelle Moussa Faki Mahamat.

Il a ensuite exprimé son soutien aux décisions de la CEDEAO. Selon les spécialistes, s’il est reconnu coupable des accusations portées à son encontre, l’ex-président nigérien risque la peine de mort.

Lamine Diouf 

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