Le Colonel Goïta, un « mal » pour un bien ?
Derrière un double coup de force au Mali en moins d’un an, le nouveau président Malien ne cesse tout de même de clamer les meilleures intentions à l’endroit du peuple malien.
« Je jure devant Dieu et le peuple malien de préserver en toute fidélité le régime républicain (...) de préserver les acquis démocratiques, de garantir l'unité nationale, l'indépendance de la patrie et l'intégrité du territoire national ». Par cet engagement, le Colonel Assimi Goïta a prêté, hier, serment, au Centre international de conférence de Bamako (CICB), devant un parterre d'officiels civils et militaires, avant d’être investi président de la période de transition censée ramener les civils au pouvoir. L'ancien commandant de bataillon des forces spéciales a réaffirmé sa volonté d'organiser « des élections crédibles, justes, transparentes aux échéances prévues », le 27 février 2022.
Une décision rassurante pour un pays en proie à une crise institutionnelle, politique et sécuritaire, depuis plusieurs années. Principal acteur d’un premier putsch, en aout dernier, le Colonel Goïta avait fait arrêter le président de la transition ainsi que le Premier ministre, ce 24 mai, dans ce qui s’apparente à un second coup de force. Cela a installé un doute sur un retour à la normale de la marche démocratique, dans neuf mois.
Spécialiste des relations internationales, bien au fait de la situation au sahel, Thierno Souleymane Diop Niang estime qu’avec cette prestation de serment, le Colonel est désormais un chef d’Etat légalement installé par les instances juridiques de son pays. Ce qui fait que, « quoi qu’on puisse dire, il faut donner une chance à cette junte et ne pas la combattre. Cela n’irait pas dans l’intérêt du peuple malien. Il faut faire des compromis et encadrer cette transition jusqu’à l’organisation d’élections libres et transparentes ».
« Il faut donner une chance à cette junte et ne pas la combattre »
Le consultant à Legs Africa fonde son argumentaire sur un constat clair chez ces militaires : une communication politique est très bien organisée. « Ils n’ont jamais annoncé vouloir aller à l’encontre des règles de la Cedeao ou de la communauté internationale. Au contraire, ils ont toujours soutenu qu’ils ont fait ce coup pour rassurer le peuple malien et restaurer la continuité juridique et administrative au Mali. Ce qui est très important dans un pays dont la moitié du territoire est en train de basculer sous le contrôle d’extrémistes terroristes. C’est très important de suivre le fil rouge du discours de cette junte », assure-t-il.
C’est dans les mêmes dispositions qu’est resté le chef des militaires, à peine investi président de transition. Le nouveau chef d’Etat s’est voulu clair : « Je voudrais rassurer les organisations sous-régionales, régionales et la communauté internationale en général que le Mali va honorer l'ensemble de ses engagements pour et dans l'intérêt supérieur de la nation ». Il faut rappeler qu’après le double coup de force, la Cédéao (communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest), suivie par l'Union africaine et l'Organisation de la Francophonie, a suspendu le Mali de ses institutions. Elle a ensuite exigé la nomination immédiate d'un Premier ministre civil, affirmé la nécessité que la période de transition reste limitée à 18 mois comme les militaires s'y étaient engagés, après le premier putsch d'août 2020, et déclaré que la date prévue de la présidentielle devait être maintenue « à tout prix » au 27 février 2022.
Dans le même moment, la France a suspendu, après huit années d'étroite collaboration, ses opérations militaires conjointes avec les forces maliennes contre les jihadistes, dans l'attente de garanties de la part des militaires. Mais l’important, pour Thierno Souleymane Diop Niang est de se demander « à qui ces sanctions vont le plus faire du mal ». Des sanctions avaient déjà été portées à l’encontre du Mali, lors du premier putsch, avant d’être levées, après la formation du gouvernement de transition.
« Le président Macky Sall ne peut que voir en lui un homologue »
Discret dans les réactions de la Cedeao à l’encontre du Mali, le Sénégal n’en reste pas moins préoccupé par la situation dans ce pays frontalier. Et pour le consultant de Legs Africa, l’investiture du nouveau président de la Transition est une occasion pour avoir un interlocuteur. Car, estime Thierno Souleymane Diop Niang, « le Sénégal est un voisin immédiat du Mali et est donc directement concerné par l’insécurité qui sévit dans ce pays. Le président Goïta a été légalement installé, ce qui en fait un chef d’Etat normal. Le président Macky Sall ne peut que voir en lui un homologue. Nous devons avoir une position subtile et accompagner cette transition. Il ne faudrait point jouer un rôle désavantageux qui pourrait nous nuire. Surtout qu’il y a beaucoup de compatriotes qui vivent dans ce pays ».
Le spécialiste s’est même réjoui de la posture du président Macky Sall qui a mis en place, au moment des premières sanctions de la Cedeao, un couloir humanitaire en faveur du Mali. « C’était une très bonne initiative, eu égard aux relations multiséculaires qui nous lient à ce pays » apprécie-t-il.
Dans cette situation notée dans le Sahel, le spécialiste des relations internationales est heureux que le Sénégal soit dans la position de l’îlot pacifique dans la zone instable. « Mais cela ne nous préserve de rien, prévient-il. Nous vivons dans une ère asymétrique. L’ennemie peut revêtir différentes formes. Il ne faut pas faire focus sur une seule forme de réponse. Le terrorisme est une idéologie qui parle aux jeunes. Nous vivons dans une période compliquée avec des jeunes vulnérables, sujets à une vie de précarité et acteurs de l’immigration irrégulière. C’est pourquoi, il faut une réponse multiforme, transversale. »
Malgré tout, le Sénégal s’est appuyé sur des forces de défense et de sécurité toujours dans l’anticipation, dont beaucoup de militaires déjà présents au Mali. L’arrivée d’un militaire au pouvoir peut offrir de nouvelles perspectives que la communauté internationale continue d’observer. Même si le Colonel Goïta manque d’expérience politique, sa trajectoire peut constituer un début de solution pour une meilleure sécurisation du Mali, vu qu’il a déjà commandé un bataillon d’unité d’élite engagé dans la lutte antiterroriste. Et s’il parvient à mettre en place des fonds bien utilisés, une formation précise et accrue, il peut faire office de ciment et d’unité, en attendant que le peuple malien définisse la trajectoire qu’elle veut voir ses dirigeants emprunter.
Lamine Diouf