Publié le 8 Jul 2023 - 13:20

Le Débat d’Orientation Budgétaire au Sénégal

 

L’Étymologie du mot budget est dérivée du latin bulga (sac de cuir) qui a migré en français pour donner le mot bougette pour finalement devenir budget en anglais, valise dans laquelle le Chancelier de l’Echiquier (ministre des Finances) portait les documents qui retraçaient les recettes et les dépenses du royaume aux parlementaires.

A l’origine, le budget remplissait la fonction qui est aujourd’hui dévolue à la loi de finances, à savoir celle d’acte juridique de prévision et d’autorisation des ressources et des charges de l’État. Le contexte d’alors s’y prêtait car les dépenses de l’État, considéré comme un « État-gendarme », étaient essentiellement de nature administrative. Par la suite, la diversification et la multiplication des missions de l’État firent que le budget est devenu une notion trop étroite pour répondre à cette mutation, et la notion de loi de finances est apparue. Aujourd’hui, il convient de noter que, dans la terminologie courante, les notions de budget et de loi de finances sont indifféremment employées.

Au Sénégal, cette substitution fut consacrée par l’ordonnance du 15 mai 1963 en son article 1er, qui fait de la loi de finances l’acte qui prévoit et autorise les ressources et les charges de l’État, et son article 15 qui fait du budget un ensemble de comptes. Le budget n’est désormais que la description chiffrée d’une gestion financière, contenue dans un document unique qui, après approbation par le Parlement, constitue la loi de finances. Cette nouvelle approche ressort clairement de la nouvelle Directive relative aux lois de finances de 2009 puisque son article 7 énonce que « la loi de finances de l’année contient le budget de l’État pour l’année civile. Le budget décrit les recettes et les dépenses budgétaires autorisées par la loi de finances ».

Si le budget est au cœur de la juridicité des finances publiques, il joue aussi un rôle politique et économique de premier plan.

Dans l’introduction de son Cours de science des finances et de législation financière française, Gaston Jèze écrivait en 1922 que "le budget est essentiellement un acte politique. […] Le budget est, avant tout, la mise en œuvre d’un programme d’actions politiques". C’est évidemment l’instrument par lequel l’État ou les collectivités territoriales vont hiérarchiser leurs priorités politiques et les traduire en moyens d’action.

Le budget revêt aussi une importance économique de premier plan, puisque le solde prévisionnel de l’exercice comptable à venir y est déterminé. C’est à travers la confrontation des recettes et des dépenses qu’apparaît un besoin de financement couvert par l’emprunt. C’est donc un instrument de pilotage et de maîtrise des finances publiques.

Dans la directive n°06/2009/CM/UEMOA DU 26 juin 2009 portant lois de finances au sein de l’UEMOA, l’introduction de la pluri annualité constitue une innovation majeure dans la gestion publique à travers la prise en compte, à moyen terme, de l’impact des décisions publiques. Si l’annualité reste le cadre d’exécution des recettes et des dépenses de l’État, la programmation budgétaire doit désormais anticiper les exercices ultérieurs. A travers les nouvelles annexes de la loi de finances (Document de programmation pluriannuelle des dépenses (DPPD) et Document de programmation budgétaire et économique pluriannuelles (DPBEP)).

Le DPBEP s’inscrit dans la dynamique globale de renforcement de la transparence budgétaire résultant du nouveau cadre harmonisé des finances publiques de l’UEMOA. Il contribue ainsi à accroître, notamment, pour le Parlement, la lisibilité de la trajectoire économique du pays et de la stratégie des finances publiques, conformément aux dispositions de la loi organique n°2020- 07 du 26 février 2020 relative aux lois de finances (LOLF). Au regard de ces dispositions, le projet de loi de finances de l’année, lui-même articulé au DPBEP, est élaboré en référence à un débat d’orientation budgétaire (DOB), qui intervient au Parlement, au plus tard à la fin du deuxième trimestre de l’année.

Le DOB (Sénégal) ou débat d’orientation des finances publiques  (DOFP en France) est une procédure qui consiste pour le Gouvernement à consulter le Parlement, sur les orientations envisagées ; c’est par conséquent un avis qui est sollicité.

Il s’agit plutôt d’organiser une suite de consultation du parlement, ainsi informé des choix envisagés par le gouvernement, et de lui permettre d’indiquer ses préférences ou ses réticences.

Le débat d’orientation budgétaire a deux ressorts : une exigence de transparence et une exigence de participation. Le principe de transparence veut que les élus de la nation soient informés des choix de la politique financière du gouvernement. L’exigence de participation implique que les élus de la nation discutent des choix du gouvernement et formulent des avis, recommandations et observations.

Toute la classe politique représentée au parlement (majorité, opposant, non-inscrits) se sent concernée et opine sur des documents qui vont engager la vie financière et la vie tout court de la nation pendant toute l’année qui suit et les années à venir.

Le débat d’orientation budgétaire (DOB), inauguré pour la première fois en France en 1990, vise à « associer le Parlement à la préparation du budget en lui permettant de s’exprimer sur les grandes orientations budgétaires, d’être informé, dès ce stade du processus d’élaboration la prochaine loi de finances, des principaux choix envisagés par le gouvernement pour la mise en œuvre de ces orientations et d’indiquer le cas échéant, les solutions qui auraient sa préférence ».

Au Sénégal, le DOB existe depuis la révision du règlement intérieur de l’Assemblée nationale intervenue le 26 avril 1999. Le premier débat tenu le 16 août 1999 ne donnera pas lieu à une pratique constante.

En Guinée Conakry, l’expérimentation du DOB a commencé en 2016, dans l’optique de la préparation de la loi de finances initiale de 2017.  Fait innovant, les organisations de la société civile ont été invitées à participer aux débats en qualité d’observateurs. La participation des acteurs de la société civile est un acte important qu’il faut encourager dans le cadre de la promotion du budget citoyen et de l’émergence d’une conscience financière publique. Pour Boubacar Demba BA, « au vu de cette centralité du citoyen pour la nouvelle gestion publique, la logique aurait peut-être été de prévoir sa participation dans la définition des politiques publiques, dans une sorte de consultation de l’opinion publique ».

La connaissance des engagements de l’Etat à travers le budget par les citoyens contribue au renforcement du processus démocratique et à la légitimation des décideurs. Il est fondamental de communiquer davantage sur les engagements budgétaires pour dissiper les incompréhensions souvent sources de conflits. Les questions relatives aux deniers publics sont sensibles et touchent à toutes les entités de la vie publique.

·               Le DPBEP : un document fondamental pour la tenue du DOB

Le débat d’orientation budgétaire qui s’adosse au DPBEP permet au Gouvernement de répondre à deux questions :

1.    où veut-on mener le pays durant les trois prochaines années ?

2.    comment comptons –nous y parvenir ?

Au-delà de se conformer à la LOLF, il en porte l’empreinte, au travers notamment du nouveau paradigme de gestion axée sur les résultats (GAR) qui, désormais, détermine non seulement la préparation des lois de finances, mais également tout le processus budgétaire.

F Que contient ce document DPBEP au sens la LOLF relative aux finances de 2020

L’article 51 de la loi organique n°2020- 07 du 26 février 2020 relative aux lois de finances (LOLF) l’explicite : « sur la base d’hypothèses économiques précises et justifiées, le DPBEP évalue le niveau global des recettes attendues de l’Etat, décomposées, par grande catégorie d’impôts et de taxes et les dépenses budgétaires décomposées par grande catégorie de dépenses.

Ce document évalue également l’évolution de l’ensemble des ressources, des charges et évalue également l’évolution de l’évolution de l’ensemble des ressources, des charges et de la dette du secteur public en détaillant en particulier les catégories d’organismes publics.

Il prévoit la situation financière des entreprises publiques sur la période considérée et, éventuellement, les concours de l’Etat peuvent leur accorder.

Il fixe  les objectifs d’équilibre budgétaire et financier sur le moyen terme en application des dispositions du Pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité des Etats membres de l'UEMOA».

Et enfin, face à un contexte international très mouvant et à un environnement économique sujet à des chocs imprévisibles, susceptibles de perturber, à tout moment, l’équilibre macro-budgétaire, il a été institué des mécanismes pour faire face aux risques budgétaires, à travers une analyse de leur nature, de leur probabilité d’occurrence et de ressources requises, sous forme de provisions budgétaires, pour leur mitigation en cas de survenance (arrêté n°008655 du 30 mars 2023 relatif à la méthodologie de provision des risques budgétaires dans la loi de finances).

F Le DOB comprend les grandes séquences suivantes :

§  le Ministre en charge des finances envoie le document (DPBEP) retraçant les orientations économiques et budgétaires au président du Parlement ;

§  la lecture du rapport de présentation par le Ministre des Finances et du Budget ;

§  le débat s’ouvre avec les interventions des députés ;

§  le Ministre apporte ses éclairages.

La pratique du DOB montre que les questions posées par les honorables députés sont essentiellement :

-       la prise en compte des préoccupations de leurs localités car la plupart des députés sont des maires ;

-       les fonds alloués aux Collectivités territoriales (FDD, FECT) 

-       les risques budgétaires ;

-       la situation de certaines entreprises publiques ;

-       la situation  de la dette publique etc.

A l’issue de ce DOB avec les députés ,le Ministre en charge des Finances prévoit, dans un souci de transparence et, conformément aux dispositions de la loi n°2012-22 du 27 décembre 2012 portant code de transparence dans la gestion des finances publiques, de tenir des séances de partage et d’explications avec des organisations faitières de la société civile spécialisées dans des questions budgétaires .Ces échanges permettront à ces dernières de servir de relais dans la dissémination des grandes orientations de la loi de finances avec une frange plus importante de la population.

La pratique du DOB a montré des limites dans certains pays. En effet, il arrive  que le déroulement de cette interaction entre l’exécutif et le Parlement ne réponde pas aux finalités recherchées. Le débat n’est pas axé sur la discussion technique des orientations du budget, il s’apparente plutôt à une « prédiscussion générale » où les considérations politiques ont largement pris le dessus sur la participation des parlementaires à la détermination des orientations.

En France, la loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances en institutionnalisant dans son article 48 un débat d’orientation budgétaire, désormais qualifié de débat d’orientation des Finances publiques, a donné indiscutablement au parlement des possibilités nouvelles d’intervention sur la construction du budget. L’article 48 prévoit en effet que le rapport soumis par le gouvernement à l’assemblée nationale et au Sénat précise la liste des missions, des programmes et des indicateurs de performances associés, figurant dans le projet de loi de finances à venir. La loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques du 28 décembre 2021 enrichit sensiblement le contenu du rapport. Ce dernier doit indiquer le plafond des crédits envisagés pour l’année à venir pour chaque mission du budget général, l’état de la prévision de l’objectif, exprimé en volume d’évolution de la dépense des administrations publiques et de la prévision, exprimé en milliards d’euros courants, chacun décliné par sous-secteur d’administration publique, ainsi que les montants prévus des concours aux collectivités locales. Le rapport indique également la liste des missions, des programmes et des indicateurs de performance associés à chacun de ces programmes, envisagés pour le projet de loi de finances suivante.

Le débat d’orientation budgétaire devenu « débat d’orientation des Finances publiques » (DOFP) qui peut être assimilé à une évaluation a priori du projet de loi de finances. Certes, l’institutionnalisation du DOFP par la loi organique relative aux lois de finances participe à l’objectif thérapeutique politique, à savoir faire participer en amont le Parlement au travail de préparation du projet de loi de finances en vue d’apaiser ,le moment venu ,les débats budgétaires au sein des Assemblées …… Mais, incontestablement, le DOFP constitue aussi en soi une opération technique d’une grande portée budgétaire, par laquelle le Parlement contribue à l’amélioration qualitative du projet de loi de finances en préparation …… A notre avis, le DOFP est un mécanisme qui traduit la volonté de se doter en amont d’un budget performant, gage d’une gestion budgétaire performante, puisque, on l’a dit, la nouvelle gestion budgétaire passe aussi, nécessairement, par une nouvelle manière de prévoir les opérations budgétaires.

Mamadou Lamine GUEYE

Juriste /Chercheur en Economie Appliquée

Section: 
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