« Le chacun pour soi ne nous sortira pas de la pandémie »
Covid-19, DTS, conflit palestinien, condition féminine…, le président de la République a porté la voix des sans voix à l’Onu, hier, et appelé à plus de réformes équitables.
Porteur du plaidoyer des pays pauvres, depuis le début de l’expansion de la pandémie de coronavirus à travers le monde, le président de la République continue de s’inscrire sur cette logique. Prenant part à la 76ème session ordinaire de l’assemblée générale des Nations Unies, Macky Sall a appelé, hier, ses homologues des pays riches à plus de solidarité pour l’éradication de la Covid-19. « En dépit (des) efforts appréciables, la fracture entre pays vaccinés, au Nord, et non vaccinés, au Sud, ne cesse de s’élargir ; ce qui ne fera que retarder l’éradication de la pandémie et le retour à une vie normale pour tous. Le chacun pour soi ne nous sortira pas de la pandémie. Personne ne sera à l’abri, si le virus et ses variants continuent de circuler quelque part dans le monde. Seule une réponse planétaire, facilitant l’accès de tous aux vaccins, viendra à bout de cette maladie planétaire », assure le chef de l’Etat sénégalais.
Son appel intervient au moment où un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que la covid-19 pourrait avoir plongé 83 à 132 millions de personnes dans la faim extrême en 2020. En même temps, un autre d’Amnesty International renseigne que BioNTech, Moderna et Pfizer (des entreprises productrices de vaccins anti covid-19) devraient engranger 72 930 milliards de francs CFA (130 milliards de dollars américains) de recettes, d’ici à la fin 2022. L’organisation de la société civile ajoute que, sur 5,76 milliards de doses administrées, seules 0,3% l’ont été dans des pays à « faibles » revenus, 79 % allant dans des pays aux revenus « moyens-supérieurs » et « élevés ».
Après avoir porté, au début de la pandémie, le débat sur un moratoire et une annulation de la dette africaine, Macky Sall s’est penché, cette fois-ci, sur les décisions et perspectives dégagées, le 18 mai dernier, lors du sommet de Paris sur le financement des économies africaines. Cette rencontre, qui a réuni une trentaine de chefs d'État africains et européens, ainsi que les dirigeants d’institutions financières internationales comme le FMI (Fonds monétaire international), avait abouti à la conclusion qu’un important soutien financier est indispensable pour relancer les économies africaines frappées par la pandémie de Covid-19, et qu’il est urgent de combattre la grande divergence qui est en train d’apparaître entre les pays et au sein de chaque pays.
DTS : Passer de 34 à 100 milliards de dollars pour l’Afrique
En avril, les ministres des Finances et gouverneurs de banques centrales du G20 ont soutenu un renforcement à hauteur de 650 milliards de dollars des réserves DTS ou droits de tirage spéciaux et la prolongation d’un moratoire sur le remboursement de la dette des pays les plus pauvres face à la crise du coronavirus. Seulement, 34 milliards de dollars de ces réserves seront alloués à l’Afrique pour renforcer sa résilience sanitaire, atténuer en partie l’impact de la crise et amorcer la relance économique.
S’il convient qu’il faut se féliciter de cet acquis considérable, le président de la République estime « cependant, au regard de l’impact profond de la crise, (que) l’Afrique a besoin d’un financement additionnel d’au moins 252 milliards de dollars, d’ici à 2025, pour contenir le choc et amorcer sa relance économique. Travaillons donc ensemble pour réaliser le deuxième objectif de Paris. Il s’agit de réallouer, en faveur des pays africains, selon des modalités à convenir, 67 milliards de dollars, mobilisables sur les quotas de DTS des pays riches qui y consentent, pour atteindre le seuil des 100 milliards convenus. » La France et le Portugal se sont dit disposés à réallouer leurs DTS.
Cet objectif du sommet de Paris, dénommé New Deal est possible, selon Macky Sall, si l’on fait « en sorte que les paradigmes relationnels avec le continent reposent plus sur le partenariat que sur l’aide publique au développement ». Pour financer son développement, l’Afrique a ainsi besoin de financements. Ceux qui ne sont pas rendus possibles par les règles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Un « Arrangement » entre les pays riches qui la composent comporte des règles sur l’aide liée, dites « règles d’Helsinki », adoptées en 1991 par les Participants, afin de limiter le financement concessionnel des projets susceptibles d’être financés aux conditions du marché.
Réformer les règles de l’OCDE
Quelques exemples : Les Participants n’accordent pas des crédits d’aide liée aux pays dont le revenu national brut (RNB) par habitant, d’après les données de la Banque mondiale, excède la limite supérieure qui définit les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure ; Les Participants n’accordent pas de crédits d’aide liée assortis d’un niveau de concessionnalité inférieur à 35 %, ou à 50 % si le pays bénéficiaire fait partie des pays les moins avancés (PMA) ; Les Participants n’accordent pas de crédits d’aide liée pour des projets commercialement viables dans les pays éligibles qui ne feraient pas partie des PMA ; etc.
Macky Sall appelle les pays et Institutions partenaires à travailler « à l’assouplissement des règles de l’OCDE pour libérer le potentiel de l’investissement en Afrique. Chacun y trouvera son compte ; car les besoins en investissements d’une Afrique en construction constituent autant d’opportunités de croissance et de prospérité partagées. »
Ce n’est pas qu’au plan économique que l’étreinte sur les pays africains doit être desserrée. Au sein de l’assemblée générale des Nations Unies, le Président sénégalais a relevé la nécessité d’évoluer vers une organisation plus adaptée à son temps. Ainsi, rappelle-t-il, « la réforme des Nations Unies s’impose 76 ans après la naissance de notre Organisation. Le système multilatéral inspire confiance pour autant qu’il fédère les aspirations et intérêts de toutes ses composantes. Il est temps que la composition du Conseil de Sécurité reflète les réalités des Nations Unies du 21e siècle, dans toutes leurs diversités, et non celles, révolues, du monde de l’après-guerre ».
Ouverture du Conseil de sécurité de l’Onu à plus de pays
Et en parlant de conflit, le chef de l’Etat sénégalais a réitéré l’appel de son pays à la réalisation du droit du peuple palestinien à un Etat viable, coexistant pacifiquement avec l’Etat d’Israël, chacun à l’intérieur de frontières sûres et internationalement reconnues.
Au moment où le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) ne cesse d'alerter sur le niveau inquiétant du réchauffement climatique et de ses conséquences globales, Macky Sall s’est réjoui des efforts de transition énergétique produits par le Sénégal. Cette stratégie s’appuie sur l’énergie solaire et surtout sur l’utilisation du gaz naturel pour atteindre un objectif de 100 % d’énergies propres avec l’exploitation prochaine des ressources gazières du pays. Le Sénégal bénéficie du soutien des Etats-Unis dans le cadre de la seconde phase du Millenium Challenge Account (MCA) consacré au secteur de l’énergie.
Mais le chef de l’Etat aspire au maintien des mécanismes de financement du gaz comme énergie de transition. Raison pour laquelle, il « considère que l’arrêt des financements de la filière gazière, sous prétexte que le gaz est une énergie fossile, sans tenir compte du fait qu’il est aussi et surtout une énergie propre, serait une grave atteinte à nos efforts de transition énergétique, d’accès universel à l’électricité, de compétitivité et de développement économique et social. »
Les autres plaidoyers du chef de l’Etat à la tribune des nations unies ont porté sur la condition féminine. A cet effet, il a appelé à la mobilisation générale en faveur de la protection et de l’autonomisation des femmes. Mais également des jeunes, y compris par la promotion de la finance inclusive et la mobilisation des ressources au titre de la campagne Global Financing Facility, initiée par la Banque mondiale.
L’autre plaidoyer concerne la sous-région et la lutte contre le terrorisme dans le Sahel, où des groupes terroristes continuent « leurs attaques et pillages meurtriers contre des populations innocentes ». Avec 1 350 éléments contribuant à la MINUSMA, le Sénégal reste un acteur remarqué de la lutte contre le terrorisme au Mali et incite la communauté internationale à accompagner les pays membres du G5 sahel d’un appui conséquent dans le combat vital qu’ils mènent.
Lamine Diouf