Publié le 16 May 2014 - 17:21
MANUFACTURES SENEGALAISES DES ARTS DECORATIFS DE THIES

Un joyau qui retrouve son lustre d'antan

 

Les Manufactures sénégalaises des arts décoratifs de Thiès respirent, à présent, la forme. Sous perfusion depuis, presque, une trentaine d’années, l’entreprise culturelle est, de nos jours, bien en convalescence. Aujourd’hui, plus que jamais, l’espoir renaît avec la détermination de la nouvelle direction à faire symbole de l’établissement : ''l’expertise et la qualité pour un décor de rêve''. Avec, bien sûr, un personnel dynamique qui a assimilé une ''nouvelle culture d’entreprise''. Reportage sur un temple artistique vieux de plus d’une quarantaine d’années.
 
 
 
Vendredi 9 mai 2014. Un ciel clément berce les mystères des manufactures sénégalaises des arts décoratifs de Thiès (MSAD). A l’entrée, le jardinier de la maison, la mine joyeuse, remeuble coins et recoins. Nous sommes bien dans un espace artistique qui respire l’aisance. Dans ce site, l’ordre est de rigueur. Y compris la disposition des bâtiments à l’architecture coloniale.
 
Lesquels restent alignés de façon symétrique. Une manière d’obéir à une certaine harmonie. ‘’Chez l’artiste, le souci du détail est très important’’, confie un cartonnier. Ici, l’ordre est un principe qui va au-delà de l’apparence physique des individus ou des bâtiments. Il est bien assimilé par le personnel des  MSAD. ‘’Nous ne  laissons rien au hasard. Même l’environnement est surveillé jusqu’au plus petit détail’’, a soutenu le directeur de l’établissement, Sidy Seck.
 
Pourtant, il y a deux ans, cet endroit ne ressemblait à rien du tout. ‘’La fleur de Léopold Sédar Senghor est à la poubelle’’ disait même l’illustre fils de Thiès, poète-écrivain, feu Mbaye Gana Kébé, ex Pca des MSAD, pour parler de l'état de délaissement de l'endroit. Et c’était lors d’une visite, sur les lieux, de l’ancien ministre de la Culture, Youssou Ndour, en 2012, qu'il avait tenu de tels propos.
 
Il tenait à montrer aux autorités comment l’entreprise culturelle créée depuis 1966 était en train de tomber en ruine. En effet, depuis les années 1970 jusqu’en 2010, les Manufactures sénégalaises des arts décoratifs étaient sous perfusion. L’établissement était confronté à un déficit de moyens financiers et matériels. Également, à un personnel vieillissant. Aujourd’hui, tout cela semble être conjugué au passé.
‘’Les manufactures des arts, jusqu'à la venue du nouveau Directeur, Sidy Seck, n’avait qu’un seul produit : la tapisserie murale.
 
Laquelle, comme support, ne pouvait prendre en charge tous les besoins de l’entreprise. Ce qui faisait que les charges des manufactures restaient éminemment exorbitantes par rapport à la subvention de l’État. C’était insuffisant à telle enseigne que même à 3 mois de la fin des exercices, les manufactures étaient en rupture de fonds. ''Nous étions souvent dans l’impossibilité de payer les salaires régulièrement durant les 12 mois de l’année. L’outil était tellement dégradé que personne ne voulait le reprendre.
 
Il n’y avait presque plus d’espoir’’, lâche Seydina Issa Laye Ndoye, secrétaire général du Syndicat des travailleurs des MSAD.  Aujourd’hui, en plus de la tapisserie, les MSAD tissent de nouveaux supports comme le ''tapis de sol, le tapis de prière et le tissage de logotypes''. ''La visibilité de l’établissement et de ses produits reste parmi les principaux actes que la nouvelle direction a posés.
 
''Nous avions un problème de visibilité et de commercialisation. Le conseil d’administration nous avait souvent reproché une absence de dynamisme commerciale’’, rappelle-t-il. Après 4 années de gestion, l’espoir renaît avec le nouveau directeur. ‘’En toute chose, il faut prendre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut’’, chantonnent en chœur les travailleurs des MSAD.
 
Des nouvelles infrastructures
 
Toujours dans l'optique de faire revivre ce joyau sénégalais, la direction a entrepris de diversifier ses activités. Malgré les projets inachevés nés des fameux chantiers de Thiès, parmi lesquels le ''village des arts'', on compte aux MSAD bien d’autres chantiers terminés. ‘’Nous avons bâti une salle polyvalente qui va abriter, en plus du restaurant, des rencontres, entre plusieurs autres manifestations. Aussi, nous avons réhabilité la salle d’exposition qui était dans un état de délabrement avancé’’, confie le directeur de l’établissement.
 
Et Sidy Seck de poursuivre : ''en dehors de cela, l’entreprise culturelle fait maintenant dans le tapis de sol et de prière, il y a de cela un an. Ces nouveaux produits lancés marchent à merveille, car la demande excède de loin l’offre. En plus, la nouvelle administration a aménagé un espace pour une machine d’impression numérique. Il s’agit d’une machine qui va permettre de tirer à grande échelle les produits. Il arrive qu’on reçoive des clients qui aimeraient bien acheter nos produits, mais  qui n’ont pas la possibilité de payer la tapisserie car cela coûte cher (entre 500 000 et un million de francs CFA le m2).
 
Maintenant, avec cette machine, ils peuvent avoir l’œuvre sur bâche. C’est le support qui change et la technique. Et nous pouvons avoir des centaines et des centaines de coupe de la tapisserie que nous mettons à la disposition des Sénégalais qui aimeraient bien avoir du beau chez eux et qui n’ont pas les moyens, ou bien les touristes qui passent’’.
 
Cela va permettre aux manufactures d’entrer dans une autre phase, celle de l’industrialisation. L’entreprise étant un établissement public à caractère industriel et commercial. ‘’Nous ne sommes pas à un niveau industriel, mais lorsque nous disposerons de cette machine pour pouvoir tirer à grande échelle, nous commencerons à mettre un pied dans le champ industriel’’, promet Sidy Seck.
 
Un tour dans l'atelier de cartonnage permet de savoir en effet que l'industrialisation serait un pas de plus dans le travail de ces artistes. Trouvé à l'intérieur dudit atelier, Abdou Diouf, un des trois artistes qui partagent cet espace, une maquette entre les mains, déclare tout de go : ‘’tout part d’ici’’. Une manière de dire que cet espace est la pièce maîtresse des MSAD. C'est ici que l'on agrandit les toiles avant qu'elles ne soient tissées. Haut comme trois pommes, Abdou Diouf tient un papier calque entre  ses mains. Ce dernier sert, à l'en croire à ‘’développer l’œuvre dans un carton selon les besoins du client.
 
Nous dessinons avec des traits. C’est de la peine, de la recherche, de la couleur, des chiffres, des numéros. Nous travaillons avec des millions de chiffres sur un carton. Le tout, dans un code appelé chapelet de couleurs qui détermine le nombre de couleurs de telle ou telle autre œuvre’’. ‘’L’art, c’est de la science exacte. C’est pourquoi il faudra être précis. C’est un travail fastidieux car une seule erreur peut se répercuter sur le travail de l’atelier’’, poursuit notre artiste. Cette étape franchie, l’œuvre est enrôlée pour être tissée dans l’atelier dénommé ''basse lice''.
 
 Ici, les conceptions sont en ''sous métier''. ‘’Nous confectionnons le trame avec du fil de laine selon la longueur et la largeur du carton fabriqué dans l’atelier de cartonnage. Une fois la trame achevée, nous épinglons le carton sous celle-ci pour qu’il reste immobile et commençons à tisser’’, informe El Hadji Alassane Diop. Ce licier assis sur une chaise tient la maquette de l’œuvre de Joseph Essamone Coly.
 
‘’Le carton mesure 1m 20. C’est fait en 1 mois 15 jours, parfois même 2 mois. Il arrive qu’une œuvre soit tissée durant 6 mois. Cela dépend de la dimension’’, dit-il. Le symbole de l’entreprise : ''L’expertise et la qualité pour un décor de rêve'', est bien incarné par les agents des MSAD, lesquels ont assimilé, selon le délégué du personnel, une ''nouvelle culture d’entreprise''. ‘’Il y avait une absence totale de culture d’entreprise et les gens n’étaient pas conscients de ce qui les attendait’’, informe Seydina Issa Laye Ndoye.
 
 
SEYDINA ISSA LAYE NDOYE DELEGUE DU PERSONNEL
 
''Le projet 'Un service, une tapisserie' n'est pas matérialisé''
 
Il n'y a pas que du beau et du bien aux MSAD. Loin de faire dans la langue de bois, Seydina Issa Laye Ndoye, SG du syndicat maison, a étalé leurs doléances. ''La demande du personnel par rapport à l’État du Sénégal, c’est la matérialisation du projet : 'un service, une tapisserie'''. Il y a plus d’un an,  nous avons lancé ce slogan, que le président de la République avait épousé pour convier tous les chefs de service à venir visiter les manufactures des arts, mais aussi et surtout acheter les produits de la boite’’.
 
Ce projet, selon le syndicaliste, est comme qui dirait rangé dans les tiroirs : ‘’cela n’a duré que le temps d’une rose. À notre grand étonnement, nous avons constaté que les instructions du Président n'ont pas été suivies. Il n’y a pas eu de réaction de la part des chefs de service. Ce n’est vraiment pas faire honneur au chef de l’État. Nous voulons que les chefs de service prennent conscience des instructions de leur Président’’.
 
Ceci, dira-t-il, d’autant plus que les manufactures sont un service de l’État, avec une mission d’expansion de l’art africain en général et de l’art sénégalais en particulier. ‘’Nous sommes des ambassadeurs de l’art et c’est l’État qui devait être le premier à contribuer au besoin des manufactures. En dehors du volet commercial, nous avons une mission d’expansion de l’art au niveau mondial et nous n’avons pas failli a cette mission, car tout le monde sait que les manufactures ont propulsé l’art hors de nos frontières’’, a-t-il soutenu sans ambages.
 
 
NDEYE FATOU NIANG THIES

 

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