La tête dans les étoiles
Comme le tube de l’été, on parle plus de lui, à la veille des fêtes religieuses musulmanes. Son nom, sans qu’il le veuille, est cité au cœur d’un débat à polémique sur l’observation du croissant lunaire. Des moments qu’il vit ‘’difficilement’’ sans vraiment être anéanti au point de lâcher la chose. Président de l’Association pour la promotion de l’astronomie au Sénégal, Maram Kaïré et ses pairs veulent juste orienter, sur des bases scientifiques, les fidèles musulmans. Il n’est pas astronome de profession, mais la discipline le passionne. Ingénieur réseaux et systèmes, il est plus connu aujourd’hui au Sénégal comme ‘’astronome’’. A la découverte de son parcours que vous présente ‘’EnQuête’’, vous verrez qu’il ne pouvait en être autrement.
A 12 ans, les garçons s’intéressent aux sports, au foot en particulier et, dans une moindre mesure, à la lecture. Ils ont pour idoles Messi, Cristiano Ronaldo, Sadio Mané et consorts, et lisent Elgas, Mbougar Sarr, Paulo Coelho, etc. A ses 12 ans, Maram Kaïré ne rêvait pas d’être footballeur. On est dans les années 1980. Il n’était pas non plus très attiré par les œuvres de Victor Hugo, Molière, ou Léopold Sédar Senghor. Même les histoires criminelles et pleines d’intrigues de Pierre Bellemare, susceptibles d’éveiller la curiosité à cet âge, ne lui disaient grand-chose. La dizaine bien entamée, encore enfant donc, Maram Kaïré lisait ‘’Patience dans l’azur’’ de l’astrophysicien franco-canadien Hubert Reeves (Ndlr : né en juillet 1932 à Montréal) et ‘’Des astres de la vie et des hommes’’ de l’Américain Robert Jastrow (Ndlr : septembre 1925-février 2008). C’est dans ces ouvrages qu’il découvrit sa vocation : l’astronomie. Comme disait l’autre, ‘’il faut lire avec choix et réflexion, si l'on veut retirer quelque utilité de ses lectures’’. C’est ce que faisait Maram Kaïré.
Car, dès ses premières lectures, il n’a plus jamais quitté le monde des astres. Son intérêt pour ce domaine grandissait de jour en jour et il s’investissait pour assouvir sa soif de connaissances. Comme il le fait savoir, ‘’après lecture, j’ai tout de suite compris que ce sont des notions que je comprenais très vite. Dans la vie, il y a des personnes qui ont des prédispositions dans certaines disciplines. Pour certaines, c’est dans l’art. Ils vous font des tableaux à l’âge de 7 ans, par exemple. D’autres vont résoudre des équations. Quand j’ai commencé à aborder des questions liées à l’astronomie à l’âge de 12 ans à travers ces ouvrages, je me suis rendu compte que c’était des notions que j’arrivais à visualiser dans ma tête avec beaucoup de facilité. Cela m’a donné tout de suite envie de poursuivre dans ce domaine’’.
Un choix qui l’a rendu solitaire dans son enfance. Il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup d’enfants de son âge, sous nos tropiques, attirés par cette science, à cette époque. La fonction du père, administrateur civil, n’aidant pas, il vivait en reclus. ‘’Dans l’Administration territoriale, il y a des règles à respecter. On n’avait pas beaucoup d’amis’’, précise ce fils de préfet. Dans son monde, tout de même, fait d’étoiles et de planètes, la vie y est trépidante. ‘’Je suis fasciné par l’immensité de l’espace et sa complexité. Les objets sont éloignés de sorte que si on voyageait à la vitesse de la lumière, soit 300 000 km/s, on atteindrait les objets les plus éloignés au bout de 13 milliards d’années. C’est fascinant’’, dit-il sur un ton enthousiaste tel un enfant qui vient de découvrir son premier doudou. Aussi, c’est un univers en perpétuelle mutation. ‘’On est toujours dans la recherche. On se pose mille questions et chaque réponse trouvée est en fait une nouvelle question’’, sourit-il. Cela lui suffit comme adrénaline.
Il fabrique son propre télescope à 15 ans
En outre, si tout a commencé avec la lecture, les choses se sont cristallisées au milieu des années 1980. L’ancien élève au collège Didier Marie de Saint-Louis informe que ‘’le facteur déclenchant a été l’explosion de la navette spatiale Challenger, le 28 janvier 1986. C’était une catastrophe et la plus grosse perte dans le domaine du spatial. A l’époque, sept astronautes y périrent. Quand je l’ai vue, tout de suite, j’ai commencé à me poser beaucoup de questions. Pourquoi les gens allaient dans l’espace ? Quelle est la technologie utilisée ? Qu’est-ce qui leur permettait d’y aller ? Qu’est-ce qui compose notre univers dans son ensemble ? J’ai commencé à me poser ce genre de questions et les deux ouvrages que j’ai eu à lire m’ont apporté des débuts de réponse et c’est comme ça que j’ai commencé à savoir comment les choses fonctionnent dans notre univers’’.
La passion grandit alors chez le jeune Kaïré. Comprenant que l’astronomie se pratiquait sur le terrain, il a voulu ne plus être que simple curieux ou spectateur. Il a voulu disposer de son instrument afin de faire ses propres observations. ‘’Je ne voulais pas me baser uniquement sur les images que je vois dans les livres. Donc, j’ai commencé par des paires de jumelles. Je passais des soirées à observer le ciel, la galaxie d’Andromède qui est le premier objet lointain qu’on arrive à voir aisément avec les jumelles. Ensuite, Jupiter et ses satellites’’.
Plus il creusait, plus il faisait face à des limites. Nullement découragé et voulant faire à peu près ce que les astronomes professionnels faisaient, il a commencé à fabriquer un télescope. Cela lui prendra deux ans. C’est à ses 15 ans qu’il obtient son premier appareil que lui-même s’est fabriqué. Se prenant très au sérieux, il passait ses soirées à observer le ciel. ‘’Tous les soirs, j’étais sur la terrasse avec trois objectifs : voir la planète Vénus, Jupiter et ses satellites, et la lune. Je passais mes soirées d’observation à noter les mouvements de ces astres, leurs formes, la position des satellites de Jupiter et cela a continué de façon permanente jusqu’au Baccalauréat. J’étais tellement dedans que, pour moi, la suite c’était de suivre cette formation’’, fait-il savoir.
Seulement, ce qui coulait de source pour l’ancien élève au lycée Faidherbe de Saint-Louis (Ndlr : actuel lycée Cheikh Oumar Foutiyou Tall) ne l’était pas pour son entourage. Le Bac en poche, arrivé à Paris, il décide de continuer à vivre sa passion, en suivant une formation en astrophysique. Mais un échange avec sa famille, principalement le papa, lui fait comprendre que cette option n’était pas la bonne. Le préfet est de ceux qui croient que le Sénégal doit se construire avec les fils du pays. Il n’envoie donc pas ses enfants étudier à l’étranger pour qu’ils y restent. Pour lui, faire des études en astrophysique signifiait devoir faire carrière dans l’Hexagone. Ce qu’il concevait mal et il est arrivé à convaincre son fils. ‘’J’ai trouvé la discipline qui se rapproche le plus aujourd’hui de l’astronomie en termes de technologie : c’est l’informatique. J’ai fait un diplôme d’ingénieur systèmes et cela ne m’a pas empêché, étant à Paris, de continuer mes activités en astronomie. J’ai essayé de concilier les deux et quand j’ai fini mes études d’ingénieur systèmes à l’Ecole supérieure de génie informatique (Esgi) à Paris, j’ai travaillé là-bas pendant 4 ans, avant de prendre la décision de rentrer au Sénégal, avec principalement un objectif majeur de développer l’astronomie’’, dit-il avec le sourire.
Il est actuellement ingénieur systèmes et réseaux. Il croit fort à son rêve. En 2005, lors d’une éclipse de lune, il était à la maison de la Culture Douta Seck avec des élèves et leurs professeurs. Après observation de ce phénomène assez rare, il a perçu chez les uns et les autres un certain intérêt pour l’astronomie. Ensemble - ils étaient alors une vingtaine - ils ont créé l’Association pour la promotion de l’astronomie (Aspa) dont il est l’actuel président.
Depuis, l’Aspa a bien grandi. Elle compte près de deux cents membres connus et reconnus, et un millier de followers sur les réseaux sociaux. M. Kaïré, en outre, rêve aujourd’hui de faire évoluer les choses au point de donner la chance aux jeunes qui le souhaitent de suivre une formation en astronomie au Sénégal et que le pays puisse avoir également ses propres observatoires astronomiques. Il est convaincu qu’il y en a beaucoup. Tous ceux qui ont une fois découvert l’espace à travers un télescope se sont dits intéressés par la chose. Aux jeunes, il dit que c’est possible. Il suffit juste d’aimer les mathématiques, la physique, les sciences tout court.
D’ailleurs, au lycée, dit-on, il était très bien en physique et en chimie, et moyen en maths. C’est dire, si besoin en est encore, qu’il a très tôt su ce qu’il voulait faire plus tard. Ayant grandi dans une famille ‘’à la taille normale’’, il a pu faire ses recherches et se consacrer à sa passion dans son enfance sans encombre. Il est concepteur et directeur du ‘’Spacebus ou Bus de l’espace : caravane scientifique du Sénégal’’. Il met donc bien en œuvre son projet.
‘’L’astronomie ne peut rester en retrait par rapport à la question de la lune…’’
Mais, tient-il à préciser, l’Aspa n’est pas là que pour scruter la lune pendant les fêtes religieuses musulmanes. Seulement, si l’association est aujourd’hui connue et son président célèbre, c’est grâce ou à cause de, c’est selon, la polémique que soulèvent leurs éphémérides, à chaque veille de fête. Ce charivari, ce n’est pas ce que lui et ses amis cherchaient. Ceux qui le connaissent bien l’imaginent d’ailleurs mal dans cette position. Une de ses collègues le décrit comme un ‘’homme sociable, poli, correct et courtois’’. Il est aussi très sensible aux questions sociales.
Au ministère de l’Enseignement supérieur où il travaille comme conseiller du ministre, en plus de la promotion de la culture scientifique, il est également chargé des relations avec le monde socio-économique. Sa discrétion explique peut-être également cette nomination. Quoi qu’il en soit, la cacophonie est là. ‘’En 2008, est sorti le premier communiqué de l’Aspa qui donnait le calendrier astronomique pour le croissant lunaire. On s’était rendu compte qu’il y avait au Sénégal un débat assez tendu concernant le croissant lunaire. Les informations données à l’époque n’avaient pas une base scientifique. On ne savait pas réellement quel jour était le bon pour scruter la lune’’, se rappelle-t-il. Ainsi, l’Aspa voulait éclairer la lanterne des uns et des autres.
Seulement, très souvent, elle n’est pas suivie par la Commission nationale d’observation du croissant lunaire. ‘’Nous ne pensions pas que ce communiqué serait au centre des débats. Nous pensons que c’est normal et c’est légitime. Personnellement, je ne pensais pas me retrouver dans cette question du croissant lunaire. Ce n’est pas quelque chose que j’ai cherché. Mais à force de partager les communiqués, les gens se réfèrent à nous. C’est en toute humilité et modestie que nous donnons nos informations. On peut ne forcer qui que ce soit à tenir cela pour vérité absolue. Si les personnes y croient, c’est tant mieux’’, précise M. Kaïré. Ce qui est sûr est que les informations données par l’Aspa ne sont pas des théories, mais de la science, donc des mesures justes. ‘’La lune est un astre et la science qui étudie les astres est l’astronomie. Elle ne doit pas et ne peut pas rester en retrait par rapport à cette question’’, affirme-t-il. Le Sénégal est peut-être un pays plus lent à adopter les informations scientifiques. Sinon, il ferait comme le reste du monde.
Dans beaucoup de pays musulmans comme le royaume chérifien (Maroc), les astronomes sont mis à contribution. Ici, les astronomes prennent en compte, dans leur démarche, un seul principe religieux : l’observation à l’œil nu. Souvent, l’Aspa donne la carte du monde, en disant où la lune peut être vue et plus précisément au Sénégal. Certains Sénégalais se basent sur des informations données par des musulmans habitant dans la sous-région pour entamer leur jeûne. Seulement, précise M. Kaïré, cela n’est pas toujours possible. ‘’La zone de visibilité est assez large. Quand la lune peut être vue au Sénégal, on peut quasiment la voir sur le reste de l’Afrique de l’Ouest. C’est une courbe qui couvre un ensemble’’, informe-t-il.
Quelles que soient les techniques et la volonté qui animent les membres de l’association, leur président précise que l’Aspa ne peut décréter le jour de la Korité ou de la Tabaski. C’est une décision qui revient aux autorités religieuses. Elle informe juste du jour où le croissant peut être vu, pour éviter les erreurs. Ce qui fait qu’il vit ‘’difficilement’’ les polémiques.
BIGUE BOB