Publié le 24 Dec 2015 - 12:36
MARIE MBENGUE (ANCIENNE RESPONSABLE DU PDS ET DE REWMI)

‘‘Pourquoi Macky, Idy et Karim s’affrontent’’

 

Marie Mbengue est une ancienne responsable du Parti démocratique sénégalais et de Rewmi d’Idrissa Seck. Dans cet entretien, elle estime que dans l’affaire Lamine Diack qui a valu à  Oumar Sarr une inculpation pour diffusion de fausses nouvelles, les libéraux ont fait preuve d’opportunisme malveillant. Cette femme qui a été dans l’intimité du couple Wade fait aussi des révélations sur les relations Macky-Idy et Macky-Karim.

 

En tant qu’ancienne responsable du Pds, comment analysez-vous l’affaire Lamine Diack qui a conduit aujourd’hui Oumar Sarr en prison ?

Je pense qu’Oumar Sarr et autres ont fait preuve de beaucoup de précipitation. Ils ont été opportunistes et pressés de trouver une tache à Macky Sall. Ils ont tiré des conclusions hâtives, alors que, selon d’autres sources d’information, Lamine Diack a avoué dans le PV d’audition avoir reçu un million et demi d’euros de la fédération russe. Et il voulait s’en servir pour finaliser sa candidature à la présidentielle de 2012. Mais finalement, il a jeté l’éponge sans avoir rendu l’argent.

Mais Lamine Diack a avoué avoir financé l’opposition pour combattre l’ex-président de la République, Abdoulaye Wade 

Je ne crois pas que cela soit vrai. Vu sa position, il avait les moyens de distribuer de l’argent. Mais, j’accorde la bonne foi à ces politiciens parce qu’ils n’étaient pas forcément au courant de l’origine frauduleuse de l’argent. La famille politique de Lamine Diack c’est le Ps. L’Ups, actuel Ps, lui a tout donné jusqu’à ce qu’il devienne maire de Dakar. Il est logique en retour qu’il participe au financement de campagne de son parti. Ses camarades de parti ne se doutaient peut-être pas de l’origine de l’argent. Ce qui est paradoxal, c’est que quand le président Diack dit qu’il combattait Wade, son fils Massatta recevait de l’argent du régime de ce dernier.

Par quels canaux ?

Pamodzi ! Massatta n’est pas dans la lutte. Pourtant, il a reçu 150 millions de francs CFA de Ndongo Diaw  pour une soi-disant fiscalité de l’ARTP.  C’était au courant des années 2010-2011. C’est illogique. Lamine Diack ne peut pas vouloir combattre Wade politiquement en donnant de l’argent à ses adversaires et laisser son fils pour qui il a agi en népotisme recevoir l’argent de Wade. Qu’est-ce que ses enfants ont à faire avec lui à l’IAAF ?

Wade a aussi fait appel à son fils 

Mais pour quel résultat ? Le népotisme ne peut pas donner un bon résultat. Il (Lamine Diack) est condamnable du point de vue éthique. L’obsession de Wade, c’est de voir Karim au sommet. Son projet de loi avorté du 23 juin 2011 ne visait que cela. Tout le monde a vite compris ce qu’il voulait faire. Ils (Wade et Cie) ont terni l’image de ce pays à tel point que chacun veut devenir maintenant milliardaire.

Lamine Diack soutient que s’il a voulu combattre Wade, c’était surtout  pour lui montrer que chaque Sénégalais n’avait pas un prix 

Qu’est-ce qu’il avait à vouloir combattre Wade alors qu’il avait un parti politique qui le faisait déjà ? Il n’avait qu’à venir s’insérer dans le Ps qui est bien implanté dans le pays. C’était plus raisonnable de venir mener la lutte avec ses camarades de parti. Mais au finish, tout le Sénégal a un prix évidemment. Et lui qui a reçu 1,5 million d’euros nous a mis aujourd’hui  dans de sales draps.  

Voulez-vous dire que l’opposition de l’époque n’a rien reçu ?

Je n’en sais rien. Ce sont des choses qui se glissent de façon pernicieuse. Tous les partis, d’opposition ou de gouvernement reçoivent de l’argent pour leur campagne, pour leur clientèle, etc. Tous les jours, on entendait le Président Wade affirmer à la télé avoir reçu des soutiens de personnes privées dont on ne sait rien. On ne cite jamais nommément ces amis-là. Dans ses conditions, on peut avoir un Lamine Diack.

Voulez-vous dire que les financements des campagnes électorales sont en général illicites ?

Même pas la campagne. La vie d’un parti politique est toujours jalonnée des sommes d’argent reçues d’amis soit de l’international à laquelle appartient le parti, soit de puissants lobbies dans d’autres pays soutenant le parti. La marche quotidienne d’un parti, à savoir les tournées des responsables départementaux, le paiement de la facture de l’électricité, les cellules, la location et l’entretien de la  permanence du parti, tout cela nécessite beaucoup d’argent.

Vous n’êtes pas donc de l’avis de ceux qui disent que ce sont les cotisations des militants qui font fonctionner les partis ?

Pas du tout. Les partis ont des amis ou des alliés qui leur font parfois des cadeaux pour la bonne marche de leurs activités politiques. Les militants n’achètent même pas de carte. Ce sont nous les responsables qui les achetons et les distribuons, et nous n’avons pas de moyens.

Ne pensez-vous pas  que  le moment est venu de réfléchir sur un modèle de financement des partis ?

Ça va être difficile. On a vu le cas Sarkozy en France. Le problème de l’argent de Kadhafi ou Betancourt supposé utilisé dans le financement de la campagne de l’ex-Président français. Aux Etats-Unis, c’est plus transparent. On sait le nom du donateur et celui du parti bénéficiaire.

Que pensez-vous de ceux qui soutiennent Lamine Diack ?

Ils disent que c’est un Sénégalais. Donc il faut le soutenir. Moi, je ne soutiendrai jamais quelqu’un dans une affaire de corruption. Surtout en matière de sport où l’éthique est plus importante. Le président Diack était d’ailleurs à la première loge lors de la conférence inaugurale du juge Kéba Mbaye sur l’éthique, il y a quelques années. Je ne soutiendrai jamais un voleur, fût-il mon parent.

L’opposition a mis sur pied un cadre de concertation pour mieux combattre le régime de Macky Sall. Quel commentaire cela vous inspire ?

Ce n’est pas une alliance. Chacun est venu, avec dans sa tête un préjugé et une arrière-pensée. Idrissa Seck quant à lui est constant dans sa logique. Il se considère comme l’actionnaire majoritaire du Pds. Il a actuellement l’ambition de diriger le Pds car Oumar Sarr est incapable de le faire. Idrissa Seck va récupérer le Pds s’ils ne font pas attention. Il est en train de soutenir Aïda Mbodj, mais c’est juste pour entrer dans le Pds.  Idy n’a jamais accepté de combattre Fada. C’est lui qui a confié Aïda Mbodji à Modou Diagne Fada. Et Fada l’a porté partout dans sa voiture.

Idy a toujours considéré Fada comme son petit frère ; et j’en sais quelque chose. Quand j’étais  responsable départemental de Rewmi à Kébémer, il me demandait de ne pas trop attaquer Fada. Si Idrissa Seck s’est immiscé  dans ce combat pour le contrôle du  groupe parlementaire des Libéraux et démocrates, c’est juste pour récupérer le Pds. Si les Libéraux ne sont pas vigilants, il va réussir sa mission. Il a un bon entourage. Thierno Bocoum, Abdourahmane Diouf et Déthié Fall sont un bon personnel politique. Ce qui fait qu’Idy ne regrette pas beaucoup les départs de certains ténors comme Omar Guèye, Nafissatou Diop Cissé etc. 

Que Idy récupère le Pds suppose des retrouvailles entre lui et Me Wade. Est-ce possible ?

Si Wade n’a personne avec lui, évidemment !

Il a son fils…

Quel fils ? Karim ? Karim n’a jamais appartenu au Pds. Quand il est venu et qu’il a créé son mouvement Génération du concret, je me souviens de l’incantation de Malick Guèye de Latmingué. Il a dit : ‘’si Karim a envie d’aider son père, il vient intégrer le parti avec ses hommes. C’est mieux que de faire de la génération du concret. Je préfère un camion de fous détenteurs de cartes  électeurs à ces messieurs en costume et cravate avec qui il est.’’

Vous qui étiez dans le Pds, qu’est-ce qui explique, selon vous, cette animosité qui existe entre Macky, Idy et Karim ?

Ils se connaissent très bien les uns les autres. Quand des gens de la même famille se battent, le combat est difficile. Idrissa Seck n’avale pas le fait que ‘’boy-bi’’ (Macky Sall), c’est comme ça qu’il l’appelait, puisse être devant lui. Il avait pris le gosse sous son aile protecteur. Tous les soirs, quand je venais de Soumbédioune pour mes courses, je passais devant chez Idrissa Seck qui habitait au début du boulevard de la République, en face de la Direction générale de La Poste. A chaque fois, je voyais la voiture de Macky devant chez Idrissa Seck. Un jour, il y avait des parlementaires britanniques qui étaient venus en visite, les intellectuels du parti étaient invités.

Macky était à l’époque président de la Cellule initiative et stratégie (CIS). Idy a organisé un déjeuner au Terrou-bi avec ces parlementaires. Après qu’on s’est levé de la table, j’ai dit à Idrissa Seck : ce que vous faites n’est pas juste. A chaque fois que vous avez d’illustres invités, c’est nous les femmes que vous invitez à venir meubler vos tables. Mais quand il s’agit d’investitures ou de nominations, vous nous laissez en rade pour prendre d’autres personnes, alors qu’on est des intellectuels et membres du parti de longue date. Quand j’ai dit cela, Macky a dit ‘’bayil sama Pm’’ (elle imite la voix de Macky). Vous voyez donc qu’il a servi de bouclier entre Idy et moi. Donc Idy estime qu’hier Macky était derrière lui, pourquoi doit-il donc être devant lui aujourd’hui ?

Mais Macky a été élu… président de la République

Idy a été deuxième à l’élection présidentielle de 2007, mais il s’est fourvoyé en croyant qu’il pouvait traiter avec Wade qui est plus rusé qu’un jomboor  (lapin). Wade l’a roulé dans la farine. Et il s’est retrouvé 5ème à l’élection de 2012. Quand on lui disait qu’il ne pouvait pas tromper Wade, Idrissa  rétorquait : je maîtrise la situation, ab-so-lu-ment (elle se répète avec le ton qui imite Idy). Mais il ne maîtrise rien du tout. A l’élection de 2012, entre les deux tours, quand Wade l’a appelé en rescousse, il a hésité. J’en sais quelque chose, puisque j’étais à son domicile et j’ai vu et entendu.

Que savez-vous des relations entre Macky et Karim ?

Karim a une fois évoqué ses relations avec Macky en disant : c’est mon frère qui me fait ça. J’ai bien compris ce qu’il voulait dire. Les gens ne savent pas pourquoi il a dit ça. C’est parce que dans le deuxième gouvernement de l’alternance, Wade a voulu nommer Macky ministre, et comme d’habitude, Wade a joué. On m’a appelé dans sa maison. Je viens, je vois le vieux Ablaye Sy des Parcelles Assainies. Quand je lui ai demandé ce qu’on faisait sur place, il m’a dit : ‘’boy-bi lagnou beugueu nommé ministre’’ (on veut nommer le gosse ministre).  Je dis : quel boy ? Il me dit Macky. Auparavant Wade me demandait au sujet de Macky : ‘’Est-ce que celui-là est dynamique ? Est-ce qu’il n’est pas lourdaud ? Je lui demande pourquoi ces questions. Il me dit, c’est comme s’il est indolent.

Je lui ai dit : tu sais que le Pds est un parti de rebelles, surtout les cadres. Mais depuis qu’il est à la tête de la CIS, tu n’a plus de problème de ce côté. Cela veut dire qu’il sait tenir les cadres. Et qui sait tenir les cadres sait tenir un monde politique. Quand il voulait nommer Macky, Wade l’a envoyé directement chez Karim. C’était pour faire croire à Macky qu’il devait tout à son fils qui l’a fait nommer ministre. Wade a donc joué pour chercher une cour à son fils en mettant Macky le président de la CIS à sa disposition. Macky n’est pas au courant de cela, je ne lui ai jamais parlé de cette scène. Karim non plus, puisque son père a manœuvré pour qu’il puisse croire qu’il a un pouvoir sur Macky. C’est ça qui fait que les relations sont difficiles. Ils ne se respectent pas, ils s’affrontent.

Que vous inspirent les accusations de corruption portées contre Moustapha Niasse en Afrique centrale ?

Niasse a fait des affaires dans cette zone de l’Afrique bien avant cette société dont on parle. Je l’ai rencontré à Brazzaville quand j’enseignais le droit à l’université Marien Ngouaby. C’est quand il a eu des problèmes avec l’ancien président Abdou Diouf qu’il est retourné dans ses affaires. Il m’a présenté Baba Diao dans les années 80.  Quand il est venu à Brazzaville, il m’a chargée de finaliser les dossiers de sa société de pétrole au Congo Brazzaville et au Zaïre (Ndlr actuelle République démocratique du Congo). Vu ses relations internationales grâce à sa société  pétrolière, je ne pense pas qu’il soit corrupteur ou corrompu. Il s’adressait directement à Mobutu et Denis Sassou Nguesso. Il n’a pas besoin de donner de l’argent pour accéder à des autorités en Afrique.    

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