Explosion de cas, les CTE au bord de l’implosion
Soixante nouvelles contaminations en une semaine, plus de la moitié des 24 lits occupés. La 3e vague du coronavirus est en train de se propager avec une grande facilité dans la 11e région du Sénégal. La situation commence à inquiéter au plus haut point les autorités sanitaires, d’autant que la région, malgré sa grande superficie de 29 000 km2, ne dispose que d’un seul médecin réanimateur.
Malgré le déni manifeste des populations locales, le nouveau variant de la Covid-19 continue de gonfler ses funestes statistiques. La région de Matam compte, depuis le début de la pandémie, 688 cas. Des chiffres qui ont clairement explosé, depuis l’avènement de la 3e vague. La moyenne de nouveaux cas détectés est de presque 10 par jour. La tendance n’est pas prête d’être renversée, avec le relâchement des populations doublé de la contagiosité éclair du variant Delta. Les mesures restrictives prises par le ministère de l’Intérieur, rendant obligatoire le port du masque dans les lieux publics et dans les voitures, ne sont pas encore appliquées.
Les conséquences sont immédiates : en seulement sept jours, la région médicale a recensé 60 nouveaux cas de Covid-19. Toutes ces contaminations proviennent des individus dont on ignore les patients zéro, des ‘’cas communautaires’’, comme on les appelle communément. Cette situation inquiète véritablement les plus avertis. L’infirmier-chef de poste en service dans un village du département de Kanel, tenu par le devoir de réserve, n’approuve guère les stratégies des autorités.
‘’La 3e vague fait des ravages et nos autorités trainent encore les pieds, au moment de prendre les mesures qui s’imposent. Est-ce que tu as vu les gens porter les masques ? Dans les voitures de transport en commun, non seulement les passagers sont entassés, mais en plus, ils ne portent même pas de masque. Ces voitures passent devant les forces de l’ordre sans être inquiétées. Et nous qui sommes dans les structures de santé, nous sommes les plus exposées. Il y a des cas communautaires, chaque jour. Donc, nous sommes entourés par des porteurs sains. Nous traitons les patients sans les précautions idoines ; nous n’avons pas de combinaisons !’’, confie-t-il dans l’anonymat.
Un réanimateur pour toute la région
Le personnel de santé est sur le qui-vive et a déjà recommencé à assurer des heures supplémentaires pour soigner les 81 patients qui sont actuellement sous traitement. Ces individus positifs à la Covid-19 sont pris en charge principalement dans les CTE (centre de traitement des épidémies). Dans la région, il y en a que deux ; l’un est installé au centre hospitalier régional de Ourossogui où sont traités les cas graves, et l’autre se trouve à l’hôpital de Matam, spécialisé dans le traitement des cas légers à modérés. Les deux CTE ne comptent que 24 lits chauds : les 18 se trouvent à l’hôpital de Matam et les six autres sont logés au CHR de Ourossogui.
Le nombre de morts, qui était famélique lors de la 1re vague, se retrouve presque boosté par la virulence du variant Delta. Plus d’une dizaine de patients sont décédés, depuis l’installation de la 3e vague dans la région de Matam. Cette flambée de décès pourrait s’expliquer par le fait qu’il n’y a qu’un seul médecin réanimateur dans toute la région.
‘’Il faut normalement d’autres réanimateurs pour gérer les cas graves dans les CTE. Un seul médecin aura du mal à faire face à tout le travail. Même s’il est secondé par des urgentistes. Mais il est clair que l’urgentiste a un rôle bien défini, mais en donnant certains soins, il outrepasse ses fonctions avec tous les risques que cela comporte. Je ne suis pas en train de dire que le nombre élevé de morts dans les CTE s’explique par le fait qu’il n’y a qu’un seul réa, mais je sais qu’avec d’autres spécialistes, on aura plus de chances de sauver des cas critiques’’, explique un chef de service à l’hôpital de Ourossogui.
La courbe des nouveaux cas est résolument ascendante et pourrait conduire à une situation de débordement, puisque sur les 24 lits disponibles, les 14 sont déjà occupés. Le personnel soignant dans les CTE aurait pu être débordé, si tous les cas positifs étaient soignés dans les structures sanitaires. C’est parce que la politique de la région médicale, conformément aux directives du ministère de la Santé, a favorisé le traitement à domicile des cas moins graves.
Encore dans le déni
Les cas positifs se multiplient au quotidien, les morts aussi deviennent de plus en plus fréquentes. Tous les voyants sont au rouge. Mais les populations, dans leur écrasante majorité, refusent de croire en l’existence de cette 3e vague. Les mesures barrières ne sont plus respectées, les rassemblements ont repris de plus belle sans masque de protection.
Moussa est un mécanicien pour qui la Covid n’est plus qu’un vieux souvenir : ‘’Le coronavirus est terminé. Franchement, je ne fais plus attention à ce virus. Avant, je respectais les mesures édictées. Je ne serrais la main à personne. Parce qu’on m’avait convaincu de la dangerosité du virus. Mais aujourd’hui, je ne crois pas que ce virus soit aussi mortel qu’on nous l’avait présenté. Les politiciens étaient venus ici. Ils ont tenu tous leurs rassemblements. Ils ont sillonné tous les recoins de la région et juste après avoir terminé, on nous parle d’une 3e vague. Je pense que les autorités ne nous disent pas la vérité’’, rouspète ce trentenaire.
Même son de cloche chez Fatima, une habitante du village de Sinthiou Garba, dans le département de Kanel : ‘’Je suis certaine que la maladie du coronavirus est maitrisée. Les gens continuent d’en parler, parce que ça rapporte de l’argent. Ce sont les blouses blanches qui inventent les chiffres que vous entendez. Aujourd’hui, tu peux souffrir de n’importe quelle maladie, si tu pars dans une structure de santé, ils te diront que tu as le virus. Je peux vous dire que si le nombre de morts augmente ces temps-ci, c’est parce que les gens savent que si vous amenez votre malade à l’hôpital, il sera à coup sûr considéré comme positif à la Covid. Conséquence : les gens restent dans les maisons en trainant leur maladie qui va s’aggraver et finir par tuer la personne’’, dit-elle avec certitude.
DJIBRIL BA (MATAM)
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DIOURBEL
A l’épreuve du déni
La région de Diourbel est encore au creux de la vague, avec le variant Delta. Elle est fortement secouée par la Covid-19 qui balaie tout sur son passage. Les CTE commencent à refuser du monde, même s’ils sont bien dotés en oxygène. Le seul bémol est le niveau d’équipement de certaines de ces structures. Agents de santé et populations ne sont pas épargnés par la maladie.
Dans la région de Diourbel, la chose la mieux partagée est le déni de la maladie. Les populations, dans leur grande majorité, rechignent à respecter les mesures barrières édictées par les blouses blanches. Les véhicules continuent d’être bondés de personnes. Et cela, au grand dam des médecins. Le médecin-chef du district sanitaire de Touba, Docteur Ndèye Maguette Diop, note : ‘’On aura du mal à contenir tous ces cas. Nous demandons à la population d’aller se faire vacciner. La contagiosité du virus Delta est élevée et partout où il est passé, les systèmes sanitaires ont été dépassés. A Touba, avec le taux faible de la couverture vaccinale, les cas risquent d’augmenter, malgré tous les efforts consentis par l’Etat pour mettre en place un centre de traitement équipé.’’
Interpellé sur les statistiques depuis l’apparition de la 3e vague, le Dr Dieng renseigne : ‘’On est à 2 395 cas dont 39 importés, soit 2 % des personnes infectées. Et 368 cas contacts ont été positifs, soit 15 %, et 1 988 cas communautaires, soit 83 %. Le nombre de guéris s’élève à 1 904. Actuellement, 333 cas sont pris en charge dont trois à Toscana, sept à l’hôpital Matlaboul Fawzéyni, six à l’hôpital de Diourbel et 317 à domicile. Le nombre de décès est et 164.’’
S’agissant des tests, le médecin-chef de la région médicale regrette qu’il y ait ‘’toujours des gens qui refusent de faire le test’’. Il ajoute : ‘’Mais ce qui est sûr, c’est que s’ils acceptaient de le faire, le nombre de cas serait beaucoup plus élevé, parce que la 3e vague est une réalité que la région est en train de vivre. Vers avril et mai, on était parfois à moins de cinq cas par semaine. Et maintenant, on a plus de 20 cas par jour.’’
Chiffres inquiétants
‘’La 3e vague a bien touché la région, parce que la semaine dernière, on est allé jusqu’à franchir la barre des 51 cas en une journée, avec parfois un taux de positivité de 20 %, alors qu’on était aux alentours de 7 à 8 % de taux de positivité’’, renseigne le médecin-chef de la région médicale de Diourbel. Docteur Mamadou Dieng s’exprimait lors du comité régional de développement consacré aux préparatifs du Magal de Touba.
Cette 3e vague n’épargne personne. Et pour cause ! Une dizaine d’agents de santé dont un médecin ont chopé le virus. Un agent de santé, malade du coronavirus, explique la recrudescence : ‘’L’oxygène pose problème. Les malades ne viennent pas souvent et le font que lorsqu’ils sont en phase où ils doivent être mis sous assistance respiratoire. La réanimation de l’hôpital Lübke ne dispose que de cinq lits et c’est très compliqué.’’
Face à la virulence du variant Delta, les centres de traitement des épidémies ont repris du service. A Touba, ils sont au nombre de trois. Il s’agit de Toscana, Ndamatou et Matlaboul Fawzény, avec respectivement une capacité d’accueil de 25 lits, 8 lits et 8 lits. A Diourbel, le CTE qui se trouve implanté au niveau du centre hospitalier régional a une capacité de 15 lits. A Bambey, il n’y a pas de CTE.
Par contre, le niveau d’approvisionnement en oxygène de ces CTE est très satisfaisant, parce que ces structures hospitalières sont dotées de centrales à oxygène. A Diourbel, le Conseil départemental vient de lancer un appel d’offres pour des travaux de raccordement et d’extension d’un réseau de fluides (oxygène) pour le service d’accueil et d’urgence de l’hôpital Heinrich Lübke de Diourbel, pour un coût de 9 900 000 F CFA. Cela permettra d’approvisionner la centrale en oxygène.
Boucar Aliou Diallo