‘’Personne ne peut nous exclure du Pds’’
Dans le combat que lui et ses camarades mènent pour une refonte voire une restructuration du parti démocratique sénégalais, Modou Diagne Fada n’entend point flancher. Aussi, dans cette première partie de cette interview accordée à EnQuête, le président du groupe parlementaire ‘’Libéraux et Démocrates’’ revient sur les péripéties de la production d’un mémorandum, écarte toute possibilité d’être exclu du Pds, pour ensuite lever un coin du voile sur ses divergences avec le coordinateur du parti de Me Wade, en l’occurrence Oumar Sarr.
Vous venez de produire un référendum dans lequel vous demandez des réformes au sein des Pds. Pourquoi avez-vous posé un tel acte ?
Après la perte du pouvoir (Ndlr le 25 mars 2015), il fallait se concentrer pour maintenir les militants dans les rangs du parti. Il fallait aussi s’organiser pour empêcher la débandade. Par la suite, nous avons porté le combat pour la libération de nos détenus politiques. Mais c’est clair que le parti ne pouvait pas être oublié pendant tout ce temps. Le Pds est notre instrument de lutte, notre instrument de combat, c’est aussi notre instrument de reconquête du pouvoir.
Nous l’avons assez négligé durant ces trois premières années ; nous pensons que le moment était venu en 2015 de poser le débat pour amener les responsables et militants à se pencher sur le devenir du Parti démocratique sénégalais, pour le réformer, le réorganiser, le renouveler et faire de telle sorte que le parti soit en ordre de bataille pour les prochaines échéances électorales. Nous avons attendu 2015 pour le faire puisqu’il nous reste 2 ans pour aller aux élections législatives de 2017 au moins si la présidentielle devrait être reportée. On ne peut plus attendre pour poser le débat de la réorganisation du parti. Il faut terminer le processus de renouvellement et ensuite, disposer d’une année pour faire le tour du Sénégal, des villages, des sections, des fédérations pour pouvoir, non seulement panser les blessures mais surtout légitimer les nouvelles structures qui sont déjà installées parce que tout simplement nous aurions fini de renouveler notre parti.
Mais pourquoi vous n’avez pas posé le débat en interne par exemple au comité directeur du parti au lieu de présenter un mémorandum?
Le mémorandum est un document écrit pour accorder la primeur au frère secrétaire général national qui l’a lu et qui l’a apprécié et annoté. Certainement, il a compris que nous avons le droit de produire une réflexion. En réalité, ce débat a été posé au niveau de la Fncl (Fédération nationale des cadres libéraux, Ndlr). Peut-être que le comité directeur dans sa composition actuelle n’est pas une instance où on peut mener un débat sérieux.
Pourquoi ?
Parce que nous avons une composition assez pléthorique. Il y a 400 voir 500 membres au comité directeur. Si tous les 500 membres devraient prendre la parole pour discuter d’une question aussi importante, cela va de soi qu’il nous faut 3 jours, 4 jours ou 5 jours pour la régler. L’instance telle qu’elle est constituée est plutôt une instance de relais entre la direction et la base. C’est une instance de partage d’informations entre la direction et la base. C’est une instance de formation politique pour certains jeunes et certains néophytes en politique qui sont entrés massivement au niveau du comité directeur. Aujourd’hui, au niveau du parti, il n’existe pas un espace de dialogue où un tel débat peut se poser. La seule instance est le secrétariat général national.
En ce qui me concerne, le président Wade connaît mes positions parce que nous avons eu des échanges autour de ces questions. Nous en avons discuté à plusieurs reprises ; il connaît mes ambitions, il connaît mes intentions, il connaît aussi mes positions sur la nécessité de renouveler le parti, de réorganiser le parti et de mettre le parti en ordre de bataille pour pouvoir gagner les élections prochaines. De même, il sait que j’ai toujours défendu la séparation du statut du candidat à l’élection présidentielle, du statut du secrétaire général national du parti. Les deux fonctions doivent être portées par deux responsables différents.
Vous deviez être reçu la semaine dernière par votre secrétaire général national, Me Abdoulaye Wade, pour discuter du mémorandum. Finalement la rencontre n’a pas eu lieu. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Il y a un problème de coordination entre nous et le cabinet du président Wade. Nous avions envoyé un message à son directeur de cabinet pour lui proposer une heure, le message n’est pas arrivé à bon port ou alors est arrivé le lendemain au moment où il nous avait proposé une autre heure. Finalement quand on a essayé de se rattraper, ce n’était plus possible parce que la rencontre avait été déjà annulée et à la place de l’audience, des ONG suisses et d’autres étrangers ont été programmés. Nous n’avons pas pu nous rencontrer même si une partie de la délégation s’était déjà déplacée au domicile du frère secrétaire général national pour les besoins de l’audience. Mais nous pensons que la rencontre va se tenir la semaine prochaine.
La semaine prochaine, c’est quand pour être plus précis ?
Nous allons rencontrer le cabinet du président Abdoulaye Wade pour connaître le jour et l’heure.
Vous avez dit qu’au Pds, il y a 3 groupes, votre camp, le camp du statu quo et un troisième camp qui serait à l’affût. Qu’en est-il exactement ?
Pour nous, il y a deux camps. Il y a le camp que nous incarnons qui est celui du changement, de la restructuration, du renouvellement ; le camp qui souhaite que les lignes bougent, qu’on insuffle du sang neuf au parti ; le camp qui veut que le parti soit mis en ordre de bataille pour gagner les prochaines élections et le camp du statu quo. C’est dans le camp du statu quo que nous pouvons distinguer plusieurs types de responsables. Dans ce groupe, il y a les gens qui sont pour le statu quo parce qu’il considère que si Wade n’est plus secrétaire du parti, ils sont finis. Il y a des responsables qui pensent qu’avec Wade, ils ont quelques moyens de subsistance pour pouvoir mener à bien leur vie. Et d’autres gens, toujours dans ce groupe du statu quo qui sont encagoulés, et sont aussi ambitieux que nous mais qui refusent pour le moment de dévoiler leurs ambitions. Ces gens font preuve de docilité, de tout ce que vous voulez pour plaire à Wade, pensant qu’au bout du compte, on va leur offrir le parti sur un plateau d’argent.
Vous faites allusion à qui ?
Nous ne faisons allusion à personne. Le débat n’est pas pour le moment personnel. C’est un débat axé sur le plan des idées. Parce que nous avons soulevé une grande question, nous pensons que les militants et les responsables du parti doivent bien lire et comprendre notre mémorandum. C’est un document qui reprend un certain nombre d’idées, et qui me semble être extrêmement important pour le renouveau du Pds. C’est un mémorandum où nous affirmons clairement qu’on ne paye pas suffisamment le maître en restant éternellement son élève.
Et par conséquent, nous devrons nous affranchir de la tutelle du président Wade. Nous devrons avoir le courage de nous mettre devant, nous devrons avoir le courage d’assumer nos responsabilités, nous ne devons plus accepter de nous cacher derrière Abdoulaye Wade. Nous n’avons plus le droit d’exposer notre leader aux forces de l’ordre et à cette foule de militants de l’Apr prêts à l’insulter et à le traîner dans la boue. Nous pensons que Wade mérite mieux que ça. On ne peut pas continuer à confiner le président Wade dans un rôle seulement de secrétaire général national d’un parti. Tous ceux qui défendent le contraire sont pour le statu quo et le statu quo n’est pas bon pour le Pds.
Mais il n’empêche que des responsables du Pds vous accusent de vouloir commettre un parricide. Qu’en pensez-vous?
Le père est là, et il restera là. En tout cas, ce n’est pas nous qui allons commettre un parricide. Wade ne le mérite pas. Il ne faut pas compter sur nous, ses enfants, pour tuer le père. En ce qui nous concerne, Wade est le secrétaire général national du Pds jusqu’au prochain congrès. Le problème n’est pas d’enlever Abdoulaye Wade pour mettre quelqu’un d’autre. La question est plus profonde que cela.
Aujourd’hui, quel est le responsable qui peut dire que le parti fonctionne normalement ? Que les sections, les fédérations fonctionnent normalement ? Que les instances du parti au niveau national sont convoquées régulièrement ? Que les militants qui y assistent sont représentatifs de la base ? Personne ne peut l’affirmer. Nous sommes restés plus de 17 ans sans renouveler les instances de base du parti. Il y a combien de nouveaux maires, combien de nouveaux responsables arrivés dans le parti depuis 10 ans voire 13 ans ? Des responsables du Pds ont gagné des élections locales ou législatives mais officiellement, ils n’occupent aucune responsabilité dans le parti. Est-ce que cette situation est normale ?
Donc, c’est compte-tenu de tous ces facteurs que vous avez affiché votre ambition de succéder à Me Wade à la tête du Pds ?
Il faut attendre le bout du processus. Le débat aujourd’hui, c’est de savoir si nous allons commencer la vente des cartes. Allons-nous renouveler les instances de base, la direction du parti ? Au bout du processus, si les militants me font confiance, je suis prêt à assumer cette charge de secrétaire général national du Pds. Mais s’ils portent leur confiance sur un autre responsable du parti, je suis aussi prêt à me ranger derrière ce responsable. Pour le moment, nous n’en sommes pas encore là.
Le Pds a entériné la candidature du fils de votre secrétaire général. Mais d’après certains proches de Wade, vous n’y croyez pas en disant que Karim Wade est votre candidat. D’autres parlent même de ruse de votre part ? Quel commentaire vous-en faites ?
Moi aussi, je peux ne pas croire à leur soutien à Karim Wade. C’est leur parole contre la mienne. Jusqu’à preuve du contraire, le candidat du Pds reste Karim Wade. J’ai assisté personnellement au bureau politique transformé en congrès. Nous avons dit que Karim Wade est notre candidat à l’élection présidentielle. Si je n’étais pas d’accord, j’allais prendre position pour dire non je ne suis pas d’accord. Ceux qui sont dans le parti et qui me connaissent savent que j’ai le courage de mes opinions et de mes idées. Si je n’étais pas d’accord avec le choix porté sur le fils du président Wade, j’allais intervenir à la radio ou à la télévision pour dire que Karim Wade ne sera pas mon candidat. Et après ? Est-ce qu’on me tuera pour l’avoir dit ? Est-ce qu’on va m’insulter pour avoir dit que je ne suis pas d’accord que Karim Wade soit le candidat du Pds ? Donc, si je dis que Karim est le candidat du parti, je pense que les gens doivent me croire.
Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous travaillez pour Macky Sall ?
Ces genres d’affirmation ne me surprennent pas. En vérité, quand vous êtes dans un parti d’opposition et quand vous posez un débat de fond, un débat qui secoue un peu le cocotier, c’est classique que les faucons vous taxent de tous les noms d’oiseau. Mais Modou Diagne Fada à l’Apr, même mes détracteurs savent que ce n’est pas envisageable. Ce n’est pas possible qu’un tel scénario se produise. Même ceux qui le disent le savent pertinemment.
Peut-être qu’ils sont dans une dynamique de chercher à me blâmer parce qu’ils n’ont pas d’arguments. Ceux qui sont contre notre mémorandum n’ont pas d’arguments à nous opposer. Tous ceux qui sont lucides dans le parti, tous ceux qui croient profondément au Pds et qui croient à Me Abdoulaye Wade sont d’accord avec nous que le parti doit être renouvelé pour qu’on puisse sauvegarder l’héritage d’Abdoulaye Wade. C’est un manque d’arguments de nos adversaires au sein du parti que de nous accuser de chercher à travailler pour l’adversaire.
L’idée de vous exclure du Pds est agitée par certains responsables du parti. Etes-vous préparé à une telle éventualité ?
Je ne peux pas me préparer à ce schéma parce que je ne suis pas fautif. Je n’ai commis aucune faute.
Dans l’histoire du Pds, beaucoup de militants ont été exclus du parti sans pour autant commettre de faute…
Si ces militants ont été exclus de cette manière, c’est leur problème. En ce qui me concerne, je n’ai pas commis de faute ; je n’ai pas violé les textes du parti. Je suis dans le débat, dans la réflexion et dans la proposition. Donc personne ne peut nous exclure du parti à cause de cela. Ce serait trop grave.
Et si en définitive vous êtes exclu du parti, Que comptez-vous faire ?
Je ne peux pas fonctionner en tenant compte des si. Pour moi, c’est exclu qu’on soit exclu. Ce n’est pas possible. Ça ne peut pas être éventualité. Personne ne peut nous exclure du parti pour avoir produit un mémorandum. En tout cas jusqu’au moment où je vous parle, (l’entretien a eu lieu hier) c’est une éventualité que nous écartons.
Quelles sont aujourd’hui vos relations avec le coordonnateur du parti en l’occurrence Oumar Sarr ?
Oumar Sarr est le coordonnateur général du parti nommé par le secrétaire général du Pds. Je n’ai rien de crypto-personnel contre lui. C’est un frère de parti. Il est dans son rôle de coordonnateur, je suis dans mon rôle de président de groupe parlementaire. Et à la tête d’amis, de frères et de sœurs, nous avons posé sur la table un important document.
Vous dites que vous n’avez rien de particulier contre Oumar Sarr, on a vu des jeunes qui vont sont proches s’attaquer au maire de Dagana. Et récemment, des jeunes de l’UJTL de Kaolack, proches d’Oumar Sarr, sont montés au créneau pour vous descendre. Est-ce que ce n’est pas une bataille entre adultes que mènent les jeunes ?
Tout cela traduit la vitalité au sein de notre parti. Que des jeunes ne soient pas d’accord, que des jeunes débattent, que des jeunes avancent des arguments, les uns contre les autres, je peux le comprendre. Mais à ce que je sache, il n’y a pas d’animosité particulière entre Oumar Sarr et moi, même si sur certaines questions nous n’avons pas le même point de vue. C’est normal dans le cadre d’un parti comme le nôtre.
On a vu Aïda Mbodj, Habib Sy et d’autres responsables du Pds venir assister à votre conférence de presse, est-ce à dire que vous êtes en symbiose avec ces responsables de premier plan dans le cadre de la refonte du parti démocratique sénégalais ?
Vous avez cité quelques noms. On aurait pu en rajouter d’autres. Qu’il suffise de citer les ténors de la fédération nationale des cadres, l’Union des jeunesses travaillistes, l’essentiel des maires du Pds, beaucoup de députés, de femmes et de jeunes du parti… Ce n’est pas une affaire de Modou Diagne Fada. D’ailleurs, je ne suis même pas l’initiateur.
Qui est donc l’instigateur de cette fronde ?
Il ne s’agit pas de fronde. C’est un débat d’idées que nous avons posé. Et ce sont les jeunes, les gens de notre génération, qui ont réfléchi pour dire que le parti devrait être restructuré et renouvelé. Ils sont venus me voir pour me dire : vous nous avez dirigés quand nous étions à l’université, vous nous avez dirigés quand nous étions à l’UJTL, voilà la question que nous posons sur la table et nous souhaitons que vous la portiez. C’est comme ça que ça c’est passé. Ainsi, on a continué à élargir le cercle, à discuter avec d’autres responsables jusqu’à constituer un noyau dur.
Dans les coins les plus reculés du Sénégal, vous verrez des gens qui portent en bandoulière le mémorandum que nous avons déposé entre les mains du secrétaire général national. C’est devenu une dynamique nationale. Et cette dynamique, il faut l’écouter, l’entendre et en tenir compte dans l’intérêt supérieur du parti. Nous ne sommes pas des jeunes, nous ne sommes pas des cadres, nous ne sommes pas des adultes ou des femmes qui se sont mis ensemble pour casser la dynamique du parti, pour diviser le parti ou pour le scinder en deux. Non. Nous sommes à l’intérieur du Pds, nous restons à l’intérieur du Pds et nous travaillons à renforcer le parti pour en faire un outil performant capable de gagner la prochaine élection présidentielle ou les prochaines législatives. (A suivre).
Ibrahima Khalil Wade