Les bons comptes ne font pas les bons tournois

Rares sont ceux qui arrivent à la cheville de Gianni Infantino quand il s’agit de s’autocongratuler. Le président de la FIFA a défendu sa Coupe du monde des clubs comme personne, à coups de formules toutes plus grandiloquentes les unes que les autres, au cours des derniers mois. Le dénouement du tournoi lui a donné l’occasion de passer encore un peu de cire sur ses propres pompes. « L’âge d’or du football de clubs mondial a commencé, a-t-il carrément osé samedi, à la veille de la finale. Nous pouvons affirmer que cette Coupe du monde des clubs a été un succès absolument retentissant à tous points de vue. » À tous points de vue, vraiment ?
Business is business
En bon comptable, le président de la FIFA avance des chiffres. Le plus percutant étant probablement le montant des recettes générées : presque 2,1 milliards de dollars. « On nous a dit que financièrement ça ne marcherait pas, que ce serait un flop, parce que personne n’était intéressé, rappelle Infantino, un poil revanchard. Aucune autre compétition interclubs dans le monde aujourd’hui ne s’approche de près ou de loin d’une valeur de 33 millions par match. C’est donc déjà la compétition de clubs la plus réussie au monde, quelle que soit la perspective. »
La FIFA a vendu l’intégralité de ses formules de sponsoring, qui plus est « à des marques internationales de premier ordre » (une vingtaine au total, dont Airbnb, Panini, Lenovo, Coca-Cola, Qatar Airways ou Jeep). En revanche, elle n’a probablement pas écoulé tout son stock de sweats à capuche à 80 euros, tous ses ensembles t-shirt/casquette à 70 euros, ni ses répliques du trophée à 220 euros – mais ça, c’est une autre histoire.
En mode winner, Infantino se vante d’avoir percé le marché américain, extrêmement convoité, en attirant près de 2,5 millions de personnes dans les stades. « Ce qui représente environ 40 000 personnes par match. Aucun championnat au monde, à l’exception de la Premier League, n’enregistre une telle moyenne », appuie-t-il. D’une part, le meilleur pote de Donald Trump oublie la Bundesliga (presque 43 000 spectateurs par rencontre), ce qui n’est pas très sympa.
Mais surtout, il tourne les chiffres dans le sens qui l’arrange le plus. Presque un tiers des matchs de la première phase (14 sur 48) se sont joués devant moins de 20 000 spectateurs. L’affluence a péniblement atteint les 8 000 personnes pour Dortmund-Ulsan, les 5 200 pour Pachuca-Salzbourg et les 3 400 pour Ulsan-Mamelodi Sundowns. Loin du raz-de-marée annoncé, surtout que la FIFA a déployé les grands moyens pour faire gonfler ses chiffres en réduisant drastiquement les prix, y compris pour les matchs à élimination directe.
« Alimenter une machine marketing »
On reconnaîtra à la FIFA un test pertinent avec les caméras portées par les arbitres pour offrir des images immersives, quelques rencontres intéressantes (si vous n’êtes toujours pas gavés) et la diffusion gratuite des matchs dans le monde entier grâce au partenariat avec DAZN. Les clubs ne sont pas non plus venus pour rien avec une enveloppe d’un milliard de dollars de prize money à se partager. Comme souvent cependant, ce sont les joueurs qui sont sacrifiés sur l’autel du business pour une compétition « aussi inutile au football que dangereuse pour la santé physique et mentale des joueurs », cingle l’UNFP.
« Ce qui a été présenté comme une célébration mondiale du football n’est rien d’autre qu’une fiction mise en scène par la FIFA », abonde le président de la FIFPRO, Sergio Marchi, inquiet de la saturation du calendrier. La FIFA a choisi de continuer à augmenter ses revenus au détriment du corps et de la santé des joueurs. Cette façon d’organiser les tournois, sans écouter la Fédération qui regroupe les associations de footballeurs professionnels du monde entier, est unilatérale, autoritaire et basée uniquement sur une logique de rentabilité économique, et non de durabilité humaine. On ne peut pas continuer à jouer avec la santé des footballeurs pour alimenter une machine marketing. »
Les dernières déclarations d’Infantino risquent de le décevoir. « Nous avons créé quelque chose de nouveau, appelé à s’inscrire dans la durée, qui va changer le paysage du football de clubs et qui permet de placer un grand nombre de clubs et de supporters du monde entier sur la carte du football », fanfaronne-t-il. La liste des candidats à l’organisation de la prochaine édition, en 2029, comprend déjà l’Espagne, le Maroc, le Brésil et le Qatar. Le football circus ne demande qu’à repartir en tournée, et tant pis pour les artistes.
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