Publié le 12 Jul 2020 - 01:58
MORTALITE ET CONTEXTE COVID-19

Les chiffres de la peur

 

Comparée à la même période de l’année dernière, la région de Dakar connait une augmentation du nombre de décès habituellement recensé. Une situation qui ne pourrait cependant pas être directement liée à la pandémie de la Covid-19.

 

La peur et la psychose, face à la pandémie de Covid-19, avaient conduit la majeure partie de la population à déserter les hôpitaux, au point que le médecin-chef de la région de Dakar avait fait une sortie en début juin, pour alerter. Ce fait serait-il la cause de la hausse des cas de décès notés ces derniers mois ? Il serait peut-être tôt de tirer une telle conclusion.

Mais la hausse des cas de décès est une réalité. Pire, depuis le début de la pandémie, la situation empire. Un tour dans des cimetières et centres d’état-civil de Dakar et de sa banlieue a permis d’avoir un aperçu clair sur la situation. Que ce soit au cimetière musulman de Yoff, celui de Pikine ou à Saint Lazare de Béthanie, le constat des gestionnaires est le même : ils disent recevoir, depuis un certain temps, un flux important de morts à enterrer.

‘’C’est temps-ci, on a remarqué un rush énorme. On reçoit beaucoup de décès’’, confie Ibrahima Diassy, gestionnaire du cimetière Bakhya de Yoff. ‘’On a actuellement beaucoup de cas de décès, mais tous ces morts ne sont pas liées à la Covid-19. D’habitude, en période de chaleur, on enregistre une hausse des décès’’, renchérit Habib Sagna, gestionnaire du cimetière Saint Lazare de Béthanie. C’est le même constat au cimetière musulman de la ville de Pikine. Ici, le gestionnaire du lieu funèbre, Ibrahima Sakho, est inquiet du manque de place pour enterrer le flux de corps qu’il reçoit depuis le début de l’année.

Cette tendance haussière des décès évoquée par des gestionnaires de cimetière est confirmée par les centres d’état civil visités. Dans ces mairies, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au centre d’état civil de la maire de Yoff, près du centre hospitalier Philippe Maguilen Senghor, la situation reste alarmante. Comparé à cette période de l’année dernière, le nombre de déclarations de décès connait une hausse remarquable.

En effet, suivant les données, au 2 juillet 2019, le registre des décès de l’établissement était à 212 morts contre 267 pour ce 2 juillet de 2020. On note également une accentuation de cette hausse des décès, depuis le début de la pandémie du coronavirus au Sénégal.

’De la période du 3 au 25 juin, nous avons enregistré 50 décès en moins d’un mois. Et du 25 juin au 2 juillet, 15 décès. C’est une situation inédite dans le centre. Le constat que j’ai fait, c’est que le nombre de morts a augmenté’’, indique Mbayang Aly Diène, officiel d’état civil délégué de la commune de Yoff. Elle indique toutefois que sa structure n’a pas encore reçu de victime de la Covid-19. L’autre problème, souligne-t-elle, c’est la recrudescence des mort-nés et des décès à domicile dans les déclarations qu’elle reçoit. ‘’Nous enregistrons beaucoup de mort-nés, depuis l’année dernière, surtout au niveau de l’hôpital Philippe Senghor.  Il y a aussi beaucoup d’évacués qui nous viennent de partout de la banlieue et des cas d’accident. Nous recevons, ces temps-ci aussi, des décès enregistrés à domicile. En effet, 3 cas sur 10 des décès déclarés ces derniers temps sont enregistrés à domicile. Rien que la semaine dernière, j’en ai recensé deux cas’’, regrette-t-elle. 

‘’On épuise 50 feuillets du registre en moins de 9 jours’’

C’est la même remarque dans la banlieue dakaroise. Au centre d’état civil de Pikine-Ouest, qui polarise le cimetière de la ville, du début janvier au 2 juillet 2020, l’établissement a enregistré 150 décès contre 113 pour la même période de l’année dernière. Dans ce centre, l’augmentation s’est, indique-t-on, accentuée depuis le début de la pandémie.

Toutefois, aucun cas de décès lié à la Covid-19 n’est, pour le moment, recensé dans la structure. ‘’Du début du mois de janvier à aujourd’hui (2 juillet 2020) nous avons enregistré 150 morts. C’est à partir du mois de mars qu’on a noté une hausse fulgurante, avec 101 cas enregistrés entre le 13 mars et le 1er juillet 2020.  Ces données sont édifiantes. Comparé à la même période de l’année dernière, il est clair qu’il y a une nette hausse des décès. Mais nous n’avons, pour le moment, pas d’explications sur cette tendance haussière’’, a laissé entendre Rokya Diouf, agent d’état civil à la mairie de Pikine-Ouest.

Au centre d’état civil de Fann, l’on se veut prudent sur la situation. Il est connu que l’établissement enregistre beaucoup de cas de décès, mais on nuance, quand il s’agit de parler de hausse. ‘’L’hôpital Fann a un caractère sous-régional. Il reçoit des malades venant de pays autres que le Sénégal. Il est bien vrai que nous enregistrons un certain nombre de décès par jour. Ça varie chaque jour. Ça peut aller jusqu’à 5 à 6 décès par jour. Le constat est là. Si on dit 5 ou 6 décès journaliers, c’est beaucoup. Mais comme on le sait, l’hôpital de Fann a un caractère sous-régional. Cela peut donc se comprendre par rapport à d’autres structures sanitaires. Il faut en faire une lecture subjective’’, indique Aliou Touré.  

Toutefois, pour avoir un aperçu clair de la situation, il détaille : ‘’Pour juste vous donner une idée. Nous avons des registres de 50 feuillets, c’est-à-dire 50 déclarations de décès. Il nous arrive de les épuiser au bout de 8 ou 9 jours, parfois moins. Donc, si vous prenez le début de l’année, de janvier jusqu’au mois de juillet, vous pouvez avoir une idée nette sur le nombre de décès enregistré.’’

‘’Nous recevons souvent des constats de décès portant la mention ‘Covid-19’’’

L’officier indique, par ailleurs, que le centre ne reçoit pas que des décédés de l’hôpital Fann. ‘’Il est possible, avec la décentralisation, de recevoir des déclarations de décès enregistrés dans d’autres structures sanitaires. Quelqu’un peut décéder à Abass Ndao ou à Le Dantec et, ce jour-là, l’état civil de la structure ne fonctionne pas. Donc, on vient le déclarer à Fann. On peut recevoir des déclarations de tout le département de Dakar. C’est ce qui fait que nos chiffres sont élevés’’, précise M. Touré.

A ses yeux, il est encore précoce de parler d’une hausse des décès ou d’établir un lien entre avec la pandémie. Son seul constat, pour le moment, est que le centre reçoit plus de déclarations de mort en période de ramadan. ‘’C’est très relatif de parler de hausse ou non, parce que même en dehors de la pandémie, il arrive des jours où on reçoit plus de décès que d’autres jours. On ne peut pas également comparer, tout en ignorant le nombre de décès dans les autres structures. Si je savais ce qui se passe en dehors de Fann, je pourrais comparer. Je ne remarque pas un nombre contraire au chiffre habituel. Le seul constat que j’ai fait, depuis que je suis là, est qu’en période de ramadan, il y a beaucoup de décès. Je ne sais pas si c’est lié au mois ou non’’, indique-t-il.

Concernant la pandémie, l’officier d’état civil ajoute : ‘’Nous recevons souvent des constats de décès portant la mention ‘Covid-19’ ou ‘Suspicion de Covid-19’. Pas plus tard que ce matin, nous en avons reçu.   Cependant, on ne peut pas tirer un lien automatiquement avec la situation.’’  

ENTERREMENT DES VICTIMES DE COVID-19

Comment Yoff et Saint Lazare s’y prennent

Le Sénégal déplore, à ce jour, 133 décès liés à la Covid-19. Si, au début de la pandémie, les enterrements des personnes décédées du coronavirus suscitaient beaucoup de précautions, actuellement, avec le flux des victimes, les séances d’inhumation sont presque devenues ‘’banales’’. L’on indique, d’ailleurs, que l’enterrement de certains décédés du coronavirus draine parfois du monde, comme lors des inhumations habituelles.

Toutefois, au cimetière de Yoff et à Saint Lazare de Béthanie, des mesures strictes ont été mises en place pour l’ensevelissement des victimes de la Covid-19.

En effet, au cimetière Bakhya de Yoff, un comité dédié a été mis en place. Il travaille en collaboration avec le service d’hygiène, les sapeurs-pompiers et la gendarmerie pour respecter les normes de protection et de sécurité comme la profondeur de la tombe qui doit être comprise entre 1m50 et 2 m, pour parer au risque de contamination. C’est pourquoi, après un décès de lié à la Covid-19, le service d’hygiène ou les proches du défunt avertissent aussitôt les services administratifs du cimetière pour qu’ils préparent le dispositif nécessaire pour l’enterrement. ‘’Pour les personnes décédées de la pandémie, on exige au minimum 1m50 de profondeur. Ce sont les précautions à prendre, et que j’ai demandé à mes fossoyeurs de respecter. Maintenant, pour le reste, c’est le service d’hygiène qui traite les corps, de sorte à garantir la non-contamination et il le délivre aux proches du défunt qui l’amène pour l’enterrement’’, explique Ibrahima Diassy, gestionnaire du cimetière Bakhya de Yoff.

Contrairement à ce qu’en pensent beaucoup, ce n’est pas le service d’hygiène ou la Croix-Rouge uniquement qui enterrent les victimes de la Covid-19. C’est plutôt les membres de la famille qui font les prières mortuaires et l’ensevelissement, comme cela se fait pour les autres dépouilles musulmanes. La seule différence avec les autres cas de décès, indique-t-on, est le respect de la profondeur requise pour la tombe. Et avec l’allègement des mesures de restriction, les décès de coronavirus, affirme-t-on, draine du monde comme dans les autres inhumations. ‘’C’est la famille qui amène le corps et procède à la prière et à l’inhumation. Au début de la pandémie, on exigeait une vingtaine de personnes au maximum. Mais maintenant, c’est parfois beaucoup de monde qui vient accompagner le corps’’, fait savoir le gestionnaire du Bakhya. 

C’est presque la même procédure à Saint Lazare de Béthanie. Sauf qu’ici, l’enterrement se fait à même le sol, sans cercueil. ‘’Pour le cas de Covid-19, les fossoyeurs ne font que creuser le trou. Le reste est assuré par les agents des sapeurs-pompiers et le service d’hygiène, plus la Croix-Rouge qui procèdent à l’enterrement. Il y a un protocole à respecter pour cela. En ce qui nous concerne, on nous avertit 6 ou 24 heures avant pour préparer la tombe avec une profondeur d’un moins 1m50 et parfois, ça peut aller même jusqu’à 1m80 ou 2 m. Il faut creuser en profondeur et enterrer à même le sol, sans cercueil’’, indique Habib Sagna le gestionnaire.

Et contrairement au cimetière de Yoff où beaucoup de victimes de Covid-19 ont été enterrés, à Saint Lazare de Béthanie, on est entre 4 à 5 cas d’enterrement liés à la Covid-19. Ce qui fait que l’administration du lieu funèbre parvient encore à faire respecter le protocole édicté par l’église qui autorise entre 7 et 8 personnes pour l’accompagnement du défunt.

ABBA BA

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