«Le principe du renoncement s’impose aux alliés»
Constitutionnaliste, militant du mouvement «Feccé ma ci boolé» de Youssou Ndour, Mounirou Sy, par ailleurs directeur du Bureau sénégalais du droit d’auteur (BSDA) livre à EnQuête quelques fruits de ses réflexions. Dont celle ayant trait au destin de Benno Bokk Yaakaar. A ce sujet, il est d’avis que les alliés du président Macky Sall doivent renoncer à l’élection présidentielle de 2017.
Le rôle du Parlement au Sénégal a été au cœur du séminaire organisé le mardi dernier par la Fondation Friedrich Naumann. Pourquoi cette institution peine-t-elle à jouer normalement son rôle ?
Nous vivons un régime présidentiel avec une Assemblée monocamérale constituée d’une seule chambre qui est l’Assemblée nationale. Elle a une double fonction : une fonction normative consistant à produire des lois, et une fonction de contrôle de l’action du gouvernement. Sur la première (fonction), la production est là. Mais est-ce qu’elle est de bonne qualité ? Nous savons qu’une institution n’est bonne que par rapport à la personne qui l’exploite.
Depuis quelque temps, on vote trop de lois qui sont souvent très longues, mais surtout techniques. Nos députés excellent dans la non-maitrise de la langue française. Ils n’ont pas les moyens de décortiquer les méandres du français contenu dans des textes parfois techniques. Par exemple : une loi sur la climatologie, le nucléaire. D’où l’intérêt d’aller vers des assistants parlementaires.
Le problème de fond n’est-il pas le rapport qu’entretient le Législatif avec l’Exécutif ?
Absolument ! D’ailleurs, quand j’ai entendu le président (du groupe BBY) Moustapha Diakhaté qualifier l’Assemblée d’annexe du président de la République, j’ai pensé aux propos du président (Amadou) Cissé Dia, il y a quarante ans. Autrement dit, tout ce qui se passe à l’Assemblée est concocté à partir de la Présidence. Ce n’a pas démarré avec Macky Sall. Une liberté n’est jamais octroyée ; elle est arrachée. C’est aux députés de se rebiffer pour avoir leur propre autonomie. Je profite de cette occasion pour faire une précision par rapport à des propos qui m’ont été attribués. Je n’ai jamais dit que les députés doivent rejeter la Déclaration de politique générale du Premier ministre parce qu’il n’a pas respecté les délais.
Qu’est-ce que vous avez dit ?
J’ai dit qu’en vertu des moyens dont dispose l’Assemblée nationale, les députés pouvaient utiliser ce qu’on appelle des résolutions interpellatives. C’est-à-dire que le président de l’Assemblée nationale pouvait, en raison du rapport qui le lie aux deux institutions, interpeller le gouvernement par le biais du Premier ministre en lui disant : ‘’ le délai qui vous est imparti est quasiment à terme. Et au-delà, vous serez dans l’illégalité’’. Cela montre l’inertie de l’Assemblée nationale.
Justement, on a procédé au renouvellement du bureau de l’Assemblée, avec une claire implication du président de la République. N’est-ce pas une entorse à la séparation des pouvoirs ?
Là, on est au cœur du problème de l’Etat. L’Etat, c’est avant tout un système d’ordre et de pouvoir. Or, il est dit depuis Montesquieu que toute personne qui a du pouvoir est portée à en abuser. Si tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’un seul homme, d’un seul organe, on va vers l’absolutisme, la dictature. C’est la raison pour laquelle il faut séparer les pouvoirs. Ceci est consacré par une disposition constitutionnelle de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen en son article 16 qui est partie intégrante de la Constitution du Sénégal. Malheureusement, on se focalise sur le principe de la séparation des pouvoirs et non sur son sens.
Quelle est la solution ?
Je propose d’une part - ce sera un peu élitiste - qu’il y ait une prise en compte du niveau d’études. Au Niger, le député ne peut pas être candidat s’il n’a pas le Bac. Ensuite, il faut que l’on accepte de donner des moyens juridiques forts aux députés. Et pour cela, il faut renforcer le calendrier électoral.
Justement, vous aviez souhaité que l’on organise les législatives avant la présidentielle en 2017. Pourquoi ?
Cela permet de réguler la vie politique. Le Pr. Ismaël Madior Fall a développé une théorie très charmante : le Sénégal n’a pas un problème d’institution, mais un problème du régime des partis. Si le président de la République est élu sur un mandat de 5 ans, mais que dans les deux ans et demi, on organise des législatives, il y aura une sorte d’épée de Damoclès qui va peser sur sa tête. Ainsi, le peuple pourra jauger à travers les législatives si le mandat serait renouvelé ou pas. Cela permettra au président de la République de travailler dès son installation.
La CNRI a fait des recommandations par rapport aux institutions. Mais son rapport fait l’objet de controverse.
Je ne suis pas pour la réforme des institutions ; je suis pour les réformes dans les institutions.
C’est quoi la nuance ?
La nuance, c’est que toute la classe politique admet qu’on a des institutions fortes. Ce qui reste maintenant, c’est le fonctionnement et l’organisation. On va réformer dans les institutions. Personne ne remet en cause la validité du Conseil constitutionnel, mais les modalités de désignation de ses membres posent problème. Tous les juges sont nommés par le président de la République. Où est le rôle du Parlement, où est l’appareil judiciaire dans la nomination des juges ?
Pour l’Assemblée nationale, faut-il revenir au quinquennat concernant la présidence ?
Je ne suis pas pour le renouvellement annuel du mandat du président de l’Assemblée nationale.
Pourquoi ?
Avant d’être président de l’Assemblée nationale, il est (d’abord) député. Donc, il a 5 ans. Pourquoi une fois arrivé au perchoir, il devrait avoir un mandat d’un an renouvelable avec tout ce que cela suscite comme tension (politique) ?
Cela ne traduit-il pas un manque de confiance entre alliés ?
Nous sommes en train de théoriser ce qu’on appelle en droit constitutionnel, la notion d’un gouvernement de coalition qui repose sur trois principes. Principe de solidarité : l’action gouvernementale est partagée par l’ensemble du gouvernement. Principe de discipline : on ne peut être dans un gouvernement et être contestataire. Principe du renoncement : c’est à ce niveau qu’on doit être clair. On ne peut être dans un gouvernement de coalition et prétendre être candidat à la présidentielle face au Président qui veut rempiler.
Et la souveraineté des partis ?
Non ! La souveraineté des partis est écartée d’office. Les partis ont décidé de soutenir le Président en exercice. Si ce dernier décide d’être réélu, tous les ministres et les partis impliqués dans la gestion doivent renoncer à être candidat.
Le président de la République a prévu de soumettre au référendum la question de son mandat. Vous avez opté pour le septennat. Pourquoi ?
C’est très simple. Il y a un slogan qui est une vérité absolue en matière de démocratie. C’est ‘’la patrie avant le parti, le peuple avant moi’’. Si c’est le cas, la Constitution lui donne un mandat de 7 ans. Il avait formulé une promesse électorale. Et je sais qu’il ne tergiverse même pas par rapport à ça. Il va organiser un référendum qui, semble-t-il, sera organisé en fin 2015. C’est à ce niveau que j’ai dit attention. On va aller vers une politisation infinie du système administratif et de l’atmosphère sociale.
Concrètement, ou se trouve le problème ?
Le référendum est en général très impopulaire. En Afrique, en général, les gens ne sortent pas. On sait que c’est 30% qui sortiraient des urnes. De plus, on sera à 7 mois de l’élection présidentielle, à 4 mois des législatives, à 2 ans des locales. Ce qui risque de nous coûter la bagatelle de 80 milliards de francs Cfa.
Mais la démocratie à un coût, comme on dit…
Oui, mais il faut aller vers l’efficacité. Au nom de cette «gabegie», je propose que le président de la République fasse un seul mandat de 7 ans à la fin duquel il ne sera pas candidat (à sa propre succession). Il aura à sortir par une porte excellente et qui va lui ouvrir des lendemains meilleurs pour le compte des Sénégalais. C’est ce qui se passe au Mexique.
Macky Sall a dit qu’il ne s’opposerait pas à une action judiciaire éventuelle contre l’ex-chef de l’Etat, Abdoulaye Wade. Or, auparavant, il avait une position contraire. Comment expliquez-vous ce changement ?
Pour moi, il n’y a pas changement de discours. Ce n’est pas le président de la République, dans le cadre du droit, d’être à l’origine des poursuites, mais plutôt le procureur. Ensuite, en vertu de la norme fondamentale, aucun président de la République en exercice ne peut être poursuivi pénalement. A la fin de son mandat, dans le cadre des actes accomplis en sa qualité de chef de l'Etat, il ne peut être responsable pénalement. Il s'agit ici d'une irresponsabilité pénale totale et absolue.
Dans quel cadre peut-il être poursuivi ?
La seule infraction qui peut lui être imputable, c'est la haute trahison justiciable devant la Haute cour de justice selon l'article 101 de la constitution. Il ne peut même pas être entendu comme témoin, ni poursuivi en sa qualité d'ancien Président. La haute trahison n'étant pas l'enrichissement illicite qui, loin d'être un fait de droit, est une situation de droit.
Et c'est l'article 163 bis al. 2 de la loi du 10 juillet 1981 sur l'enrichissement illicite qui le dit clairement. C'est le fait de se trouver «dans l'impossibilité de justifier de l'origine licite des ressources qui permettent d'être en possession d'un patrimoine ou de mener un train de vie sans rapport avec ses revenus légaux". Donc ès qualité, il n'est pas justiciable devant la CREI car celle-ci n'est pas compétente pour juger un ancien chef d'État encore moins celui en exercice.
Récemment, la coalition Macky 2012 s’est insurgée contre ce qu’il appelle un ‘’traitement de faveur’’ dont le mouvement Feccé ma ci boolé jouit dans le pouvoir. Votre commentaire ?
Les gens pensent que dans une coalition, les gens se partagent le gâteau. Je suis contre cette idée. Lorsqu’il a été question d’aller au charbon, le mouvement Feccé ma ci boolé était présent. Notre leader, Youssou Ndour, était de tous les combats au prix de sa vie. Deuxième chose, nous avons accompagné le Président Macky Sall sans condition. Nous sommes pour le partage de responsabilités. Sur des milliers de postes, le mouvement Feccé ma ci boolé n’en a eu que trois. Que des gens s’en émeuvent, c’est pitoyable !
PAR DAOUDA GBAYA