Publié le 12 Jul 2024 - 16:14
NOMINATIONS DU NOUVEAU RÉGIME

Quand et qui pour Matam ?

 

Les Conseils des ministres se suivent et se ressemblent, pour les leaders politiques du Pastef dans la région de Matam. Déjà plus de 100 jours depuis que Bassirou Diomaye Diakhar Faye exerce la plénitude de son pouvoir discrétionnaire de nommer aux emplois civils et militaires, mais jusqu’ici, aucun décret n'a promu un responsable local. Certains ne manquent pas d’expliquer cette situation par le fait que la région a souvent été considérée comme le ‘’titre foncier’’ de l’ancien président. Certains responsables commencent, en tout cas, à perdre patience.

 

Diomaye et Sonko avaient prévenu : il n’y aurait pas de partage du gâteau, une fois qu’ils seront au pouvoir. Cela n’empêche, chaque mercredi, les militantes et militants guettent avec beaucoup d’attention les communiqués du Conseil des ministres, dans l’espoir d’y trouver leurs noms ou ceux de leurs amis et proches.

Dans la région de Matam, l’attente revêt un caractère bien particulier. Habitués sous le régime de Macky Sall et même sous Wade à avoir des ministres issus de leur terroir, les Matamois constatent une absence totale des responsables de la région dans le premier gouvernement de Diomaye et Sonko. Même s’il y a le secrétaire d’État aux Coopératives et à l’Encadrement paysan Alpha Ba, qui est bien né à Aouré, dans le département de Kanel (région de Matam), les populations estiment qu’il ne militait pas dans la zone.

La situation est d’autant plus incompréhensible, selon elles, que même pour les postes de direction importants, Matam continue d’être zappée. Ce qui suscite interrogations et grincements de dents. Ce jeune responsable du Pastef s’offusque de ce qu’il considère comme un manque de considération : ‘’Nous ne sommes pas encore contents, car nous sommes toujours zappés par le président Diomaye dans les nominations. Non seulement on n'a pas de ministre, mais aussi aucune direction stratégique n’a été confiée aux fils du terroir. Finalement, il n’y aura que des miettes pour nous les Matamois.’’

Selon lui, ‘’même si la région a été remportée par Amadou Ba, cela ne veut pas dire que nous qui sommes ici, sommes moins méritants que ceux qui sont ailleurs. On ne peut pas manifester, on va encore patienter, puisque Sonko est allergique à la pression’’.

Le mérite des responsables de la région qui ont osé l’improbable mission face aux mastodontes de BBY

Une légère frustration commence ainsi à gagner quelques responsables qui s’étaient engagés, avec leurs moyens propres, pour combattre la toute puissante coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) dans son bastion. D'ailleurs, certains estiment avoir plus de mérite que ceux qui sont dans les autres régions. ‘’Il est plus difficile de militer à Matam qu'ailleurs, parce qu'ici, il fallait faire face aux ténors de l'ex-régime qui avaient des moyens illimités. Il y a des gens, ici, qui ont vendu leurs voitures, leurs motos pour financer la campagne. C’est un sacrifice qu’il ne faut pas négliger’’, déclare cet ouvrier, fervent militant du Pastef à Ourossogui.

En effet, les responsables du parti présidentiel avaient toutes les peines du monde pour exister dans la région de Matam. Ils étaient entourés par des mastodontes aux moyens illimités. Parmi eux : l’honorable député-maire des Agnam, Farba Ngom, l'ex-garde des Sceaux Me Malick Sall, l’ancien ministre de la Communication Me Moussa Bocar Thiam et l’ancien questeur Daouda Dia, entre autres leaders. Des adversaires pleins aux as qui dépensaient sans compter pour maintenir Benno au pouvoir.

En face, l’opérateur économique de Bokidiawé, Banta Wague, qui fait office de coordonnateur départemental du Pastef à Matam, était l'un des rares qui finançaient les activités du parti dans sa zone. Il était toujours accompagné par celui qui est surnommé ‘’le Cerveau’’, Abdoulaye Bocoum, professeur de maths à Thilogne, pour déployer les stratégies du parti.

À Ourossogui, Cheikh Oumar Basse paraissait avoir les reins assez solides pour titiller le maire Me Moussa Bocar Thiam. Fils d’un richissime patriarche, il n’avait pas hésité à mettre ses moyens au service du Pastef, pour tenter l’improbable mission. À cause de son engagement, les responsables politiques avaient boycotté son hôtel, pourtant situé au centre de la ville de Ourossogui.

Selon les témoignages du jeune patriote Samba Diallo, ‘’Cheikh a beaucoup perdu dans le combat que nous menions pour faire triompher le candidat Diomaye. Les leaders de l’APR s’étaient ligués contre lui pour l’étouffer économiquement. Ses affaires en avaient subi un gros coup, mais il est quelqu’un de résilient et ancré dans ses convictions’’, témoigne-t-il.

‘’Aucun cadre de la région n’est responsabilisé. Au même moment, des responsables de l’APR qui nous ont combattus sont encore à leur poste’’

Aujourd’hui, les responsables Ibrahima Ba Tépé, Dickel Nguebane, Barka Cissé, Mamoudou Wane attendent toujours la récompense de ces efforts. On leur avait demandé de déposer leur CV depuis, mais jusqu’à présent, rien ne bouge. L'attente est longue et leur patience semble être soumise à de rudes épreuves, d'autant plus que plusieurs responsables de l’ancien régime sont encore maintenus dans leurs postes juteux.

‘’Cette situation est vraiment incompréhensible. Aucun cadre de la région n'a été responsabilisé. Au même moment, des responsables de l’APR qui nous avaient combattus sont encore à leur poste. Politiquement, ce n’est pas une bonne idée. Nous avons besoin d’être renforcés pour préparer les futures échéances’’, proteste un cadre sous le couvert de l’anonymat.

L’espoir n'est tout de même pas totalement perdu. Malgré le doute, certains continuent de tenir un discours politiquement correct.

Pour l’instituteur M. Dia, la démarche du tandem au sommet de l’État est bien cohérente : ‘’Les premiers choix du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko sont assez éloquents. Ils veulent travailler avec leurs hommes de confiance, avec ces hommes et femmes qui étaient avec eux lors de la traversée du désert. Ce n’est pas un partage, à mon avis. Je pense que leur préoccupation, c’est surtout d’être bien entouré par des hommes de confiance.’’

‘’Ceux qui n’ont pas les compétences ne seront pas nommés’’

De l’avis de notre interlocuteur, la rupture annoncée par le président Bassirou Diomaye Faye serait en train de prendre forme au détriment parfois même des intérêts du parti Pastef. ‘’Les nouveaux dirigeants nous avaient promis du changement. C’est ce qu’ils sont en train de faire. Désormais, les nominations ne sont plus une récompense pour les responsables. Ceux qui ont œuvré pour la victoire de Diomaye, s’ils n’ont pas les compétences requises, ils ne seront jamais nommés à des postes de responsabilité. C’est une réalité que malheureusement nous devons accepter’’, soutient-il.

La question des profils pourrait donc être un des facteurs qui expliquerait l’absence des responsables du Pastef de Matam dans le wagon des cooptés aux hautes fonctions. Pour l'instituteur patriote, l’expérience dans la gestion des affaires publiques est le talon d’Achille de la plupart des leaders locaux. ‘’Qui parmi ceux qui sont là a vraiment un profil qui sort de l’eau ? La plupart n'ont jamais exercé des fonctions importantes. À part Abdoulaye Bocoum qui avait dirigé la mairie de Bokidiawé, Barka Cissé qui a été le DRH de l’Agence de la sécurité de proximité, tout le reste n'a aucune expérience. Dickel Nguebane a été à la direction de la RTS, mais il est un responsable de la 25e heure. Je ne crois pas qu’il sera choisi au détriment des authentiques’’, fait-il savoir.

Après 100 jours à la tête de l’État, le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre sont à la croisée des chemins. Le camp d'en face a déjà sonné la fin de l'état de grâce et commence déjà à tirer à boulets rouges sur les tenants du nouveau régime.

Responsable du Pastef à Nabadji Civol, le Dr Thiongane défend le bilan : ‘’Les choses se mettent en place progressivement et dans le bon sens. L'espoir est en train de renaître au sein des populations. Les attentes sont grandes, certes, mais les actes posés par l'actuel gouvernement sont rassurants. Je peux en citer la baisse du prix des denrées, le remboursement de certaines dettes, le paiement des bourses des étudiants, la disponibilité des semences et de l'engrais, entre autres. La population reste vigilante et observe la suite. Après 100 jours à la tête du pays, les réalisations sont palpables et rassurantes’’, plaide le professeur d’université.

Djibril Bâ (Matam)

Section: