La chute d’un vieux désespéré
Pour un peu, on pleurait dimanche soir sur ce geste «surprenant» d’Abdoulaye Wade à l’endroit de Macky Sall : les félicitations d’un défait en puissance à un vainqueur. Pour un peu, on aurait fait table rase du bilan fantastiquement dramatique de cet homme qui a dirigé le Sénégal de manière autoritaire pendant douze ans. Pour un peu, on aurait oublié que sans la vaillance contestatrice des forces vives du peuple sénégalais un certain 23 juin 2012, cet homme aurait catapulté notre démocratie au siècle des obscurités. Alors, dans l’euphorie d’une alternance attendue, on aurait passé par pertes et profits la dizaine de citoyens envoyés dans l’au-delà par la mécanique répressive du pouvoir sortant alors qu’ils défendaient la Constitution et la forme républicaine de notre démocratie. Dans cette ambiance unanimiste qui a frisé l’hypocrisie généralisée, on ne se souvient plus que Wade, arrogant et impitoyable, a assimilé ces victimes de la brutalité de son règne à de la brise qui passe. Pour un peu, certains auraient sans doute versé des larmes…
Jusqu’au bout de sa magistrature, jusque dans les bureaux de vote, au fin fond du secret des isoloirs ouverts ce 25 mars 2012, Abdoulaye Wade aura usé et fait user de l’argent comme substitut matériel à sa propre déliquescence politique, citoyenne et morale. Jusqu’au bout de ce qui lui était permis et possible de faire, il a érigé la corruption à la fois en système de gouvernement et comme étalon suprême dans la mesure de ses rapports avec ceux qui ont accepté d’être ses sujets.
On peut lire autrement la précipitation du président Wade à reconnaître sa défaite face à Macky Sall. En vérité, il a mis en scène une autre facette de sa trouble personnalité : le désir permanent de sauver sa peau en toutes circonstances, quels qu’en soient les procédés. Des souvenirs de sa cure d’opposition, ce brillant opportuniste, hyperréaliste en diable, ne semble jamais avoir été visité par des tentations suicidaires. Sa religion à mille branches a fait de l’expression des rapports de forces un élément central de sa survie politique. Quelques jours avant le scrutin, il ne se voyait nulle part ailleurs que dans le pouvoir qu’il pensait encore garder par tous les moyens. Mais l’ampleur évidente de la déculottée subie face à un «apprenti», la sécurisation assurée du vote et la vigilance bruyante de la communauté internationale, cumulées à son propre affaiblissement, l’ont dissuadé de repartir à l’aventure. Wade n’a abdiqué que parce qu’il s’est vu et senti encercler. Cette attitude n’a rien de glorieux. C’est un acte de désespoir qui, dans certaines civilisations millénaires où la dignité était une richesse inestimable, ne trouvait issue que dans le…suicide. On ose juste espérer que l'acte «historique» du vieux président n'est pas le résultat d'un marchandage en haut lieu destiné à obtenir sa rémission contre la stabilité politique et sociale du Sénégal.
MOMAR DIENG