Le Vieux vicieux et son fils
Comme il sait y faire, un ancien président de la République de chez nous s'est rappelé au souvenir des Sénégalais en fomentant un buzz populaire et médiatique autour de sa personne et de son agenda, après avoir déserté le pays au lendemain d'une déchéance électorale de grande ampleur en février-mars 2012.
Sous prétexte de ne pas gêner son successeur, il s'est «éloigné» de la vie politique locale, abandonnant ses «lieutenants» enfilés dans le spectre de la traque supposée des biens mal acquis, mais n'oubliant jamais de se déplacer là où il pensait pouvoir compter sur des oreilles attentives et influentes qui contribueraient à extirper son fils du bourbier de la reddition des comptes dans lequel il l'avait lui-même fourré.
Pour être clair, disons sans ambages qu'il n'est point question, entre ces lignes, de remettre en cause le droit du citoyen Abdoulaye Wade de revenir chez lui, sous le format d'accueil qu'il aura choisi. Reconnaissons tout de même qu'il n'aurait pas immérité un petit ou long passage en prison au regard de la gouvernance irresponsable et criminelle qu'il aura imprimée à ce pays, au mépris de tout. C'est donc seulement en souvenir de ces «exploits» à l'envers, de son arrogance sans limite par laquelle il aura contaminé la plupart de ses obligés, qu'il faille soupeser avec lucidité ce retour réussi au bercail.
Débarqué en grande pompe à Dakar avec une formidable mobilisation – il en a l'habitude et l'expérience - Abdoulaye Wade se taille deux objectifs initiaux : rendre irréversible le parachutage de son fils à la tête de son parti-outil personnel, d'une part ; créer et espérer gagner un rapport de forces avec le régime afin de favoriser d'une manière ou d'une autre une libération de Karim Wade, d'autre part. Dans le premier cas, les destinataires du message «papal» sont clairement identifiés : tous les responsables du Pds qui ont affirmé haut et fort leur intention de «diriger» un parti-instrument de promotion familo-monarchique.
Il avait lamentablement échoué dans sa tentative de céder le pouvoir public à son fils biologique, il s'est juré de sauver à moitié la face en lui offrant un pouvoir partisan comme marchepied vers un autre destin. Dans le second cas, c'est son successeur au Palais qui est mis sous pression avec une démonstration de force populaire fabriquée à coup de manœuvres fourbes et vicieuses, à l'instar de ces vraies fausses histoires autour de certificats de navigabilité entre Casablanca et Dakar. C'est de bonne guerre !
C'est cela qu'il est fondamentalement reproché à Me Wade : mettre des «foules» en mouvement et espérer un basculement de forces et de situation à l'issue duquel il se mettrait en position de formuler des exigences politiques inacceptables qui se résumeraient en tout et pour tout à une libération conditionnelle ou provisoire de son fils.
Ceci ne relève pas d'une vue de l'esprit ou d'une paranoïa mal placée, c'est une stratégie de déstabilisation politique de la République qui ressort de l'entretien accordé à RFI. «Je suis aussi un vieil avocat habitué à des procès politiques et j’avais l’habitude de dire à mes clients : un procès politique ne se gagne pas devant les magistrats, mais il se gagne devant l’opinion.» Or, sa théorie, fausse, cynique et frauduleuse, postule que Karim Wade soit aujourd'hui victime d'un «procès politique». Cherchez le lien !
Pour le moment, et en attendant la suite des conséquences politiques de cet événement, l'ex-Président peut faire la fête avec ses éternels obligés, les petits chefs libéraux qui courent derrière lui depuis quelques décennies, incapables d'émancipation et d'indépendance face à une «constante» qui a appris à se servir d'eux par la distribution de prébendes. Et qui pourrait bien leur fourguer son fils comme futur grand chef.
Et Macky Sall dans cette histoire ? Et ses alliés de Benno Bokk Yaakaar ? Le versant «salutaire» du wadisme «républicain» d'hier, c'est le rappel à l'ordre ainsi infligé à une majorité politique et présidentielle dont la gouvernance a déçu une frange importante du peuple sénégalais à bien des égards. L'évidence du rétrécissement de la base politique et sociale qui l'avait portée au pouvoir en 2012 et envoyé Wade en pré-retraite ne fait plus aucun doute.
La faute au cumul exaspérant de gaffes, de choix et d'orientations qui n'ont pas toujours fait bon ménage avec l'intérêt général, amplifié par l'unanimisme antidémocratique qui, à l'intérieur de la coalition Benno Bokk Yaakaar, a complètement tué le débat politique salvateur et fécond qui prémunit contre le danger populiste. Sans le soutien du peuple, un régime ne survit pas ! Mais ce soutien, il se mérite.