Publié le 31 May 2018 - 19:26
PROCES IMAM NDAO

La contre-attaque de la défense

 

Hier, c’était la contre-attaque des avocats de l’imam Alioune Ndao. Dans leur tentative d’innocenter le religieux qui encourt 30 ans de travaux forcés, les conseils ont dénoncé les conditions d’arrestation de leur client. Ils ont fustigé la procédure. L’Etat, la France, le Parquet et le magistrat instructeur en ont pris pour leur grade.

 

Premier à plaider hier, Me Ababacar Cissé a beaucoup insisté sur les conditions d’arrestation de l’imam Alioune Badara Ndao qui croupit en prison depuis novembre 2015. Le religieux a été arrêté chez lui, à Kaolack, dans des conditions musclées, selon ses conseils. ‘’Tout ce que le Sénégal compte de forces de sécurité se sont déplacées pour arrêter Imam. Il pensait même que c’étaient des agresseurs. Est-ce que pour l’arrêter on avait besoin de le torturer et de brutaliser sa famille ?’’ s’est plaint Me Cissé. A l’en croire, ‘’même les enfants qui ont assisté à l’arrestation ont été traumatisés au point que certains, parmi eux, ont oublié les sourates qu’ils avaient apprises’’. ‘’Pour vous dire que c’est une descente musclée qui a été faite chez lui. Ceux qui étaient partis l’arrêter frappaient les dames et torturaient les enfants. Il a été humilié devant sa famille. Il a été menotté devant ses femmes, ses enfants et ses élèves pour répondre à une simple convocation’’, s’est indigné le conseil sous les acquiescements du public. Très furieux, Me Cissé de soutenir que de ‘’tels agissements ne peuvent se faire au nom d’une quelconque loi’’.

Outre les conditions d’arrestation, le séjour carcéral de l’imam est également déploré par l’avocat. Il a révélé que la défense avait même écrit au juge d’instruction pour s’en plaindre. ‘’Tout ce que l’on peut imaginer en termes de torture morale, il l’a subi sans aucune raison. Il a même demandé à se faire consulter par un médecin et on le lui a refusé’’, a indiqué Me Cissé tout en soulignant que l’imam souffre encore de sa détention.

Me Babacar Ndiaye a abondé dans le même sens. Il reste convaincu que si le maître coranique appartenait à une confrérie, il ne serait pas arrêté avec humiliation. ‘’On s’est dit : puisqu’il est ‘’ibadou’’, rien ne va arriver si on l’humilie. Pourtant, des chefs religieux sont poursuivis pour des faits de meurtre sans être jugés’’, a-t-il martelé, suscitant dans le public des signes d’approbation manifestés par des murmures et des ‘’Allahou akbar’’ ! Le président Samba Kane a aussi réagi en lui demandant de revenir au dossier.

L’Etat et la France au banc des accusés  

Dans leur volonté de faire libérer leur client qui encourt 30 ans de travaux forcés, les défenseurs de l’imam Ndao ont critiqué vertement l’Etat. Parce que d’après Me Moussa Sarr, ‘’dans ce dossier, l’Etat et son démembrement en ont trop fait’’. L’avocat a déclaré qu’il a même l’impression ‘’qu’on s’est trompé de procès et qu’il s’agit de celui de Boko Haram et de son leader Abubakar Shekau, un khalife qui n’en est pas un puisqu’il est sanguinaire et commet les pires atrocités’’. Mieux ou pis, ajoutera le défenseur, ‘’j’ai l’impression que c’est le procès de l’islam non confrérique’’. Mais pour son confrère Me El Hadj Bass, c’est plutôt le procès de la France contre l’Islam. ‘’Ce procès a été orchestré par la France dans le cadre de sa lutte contre l’Islam. Ceci a commencé par la déportation de Cheikh Ahmadou Bamba au Gabon. Ensuite, il y a eu l’interdiction des partis d’obédience religieuse symbolisée par l’arrestation de Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Maktoum sous Senghor, celle de Serigne Moustapha Sy sous Diouf. Dès sa prise du pouvoir, Macky Sall a déclaré que les marabouts sont de simples citoyens ordinaires’’, a théorisé le conseil. Pour lui, si on n’avait pas considéré le marabout comme un simple citoyen, Imam Ndao ne serait pas là et surtout présenté comme un ‘’vulgaire criminel’’.

Me Bass qui n’a pas tari d’éloges à l’endroit de leur client n’a pas manqué de lancer des piques à certaines autorités. ‘’C’est un homme digne qui n’est ni obnubilé par un poste ministériel au point de renier ses convictions intellectuelles. Ni par un poste de député au point de voter des textes de loi sur la pointe des pieds. Cet homme qui vous a restitué 9 millions de F CFA ne va pas s’acheter un appartement à Houston car il a consacré toute sa vie à Allah’’, a déclaré l’avocat. Son collègue Me Ababacar Cissé de renchérir : ‘’Tout ce qu’on peut reprocher à l’imam, c’est de vouloir vivre sa religion avec ses coreligionnaires. Imam Alioune Ndao est le prototype d’homme de Dieu que les Sénégalais cherchent. C’est un Monsieur humble qui aime sa religion, qui aide ses concitoyens’’.

Dans ses louanges faits à l’imam, Me Cissé a déclaré que celui-ci a même suppléé l’Etat dans sa carence parce qu’il fabrique des citoyens modèles. Et comme récompense, a-t-il regretté, ‘’on l’attrait devant une Chambre criminelle pour des accusations aussi fantaisistes les unes que les autres’’. Me Bass d’emboucher la même trompette, soutenant que l’imam Ndao ne mérite pas ce qui lui arrive. Surtout les 30 ans requis et qui sont assimilables à ses yeux à la peine capitale puisque l’imam ne devrait sortir qu’à l’âge de 88 ans. Selon son analyse, ‘’on veut tout simplement éliminer et liquider l’imam dont le seul tort, c’est de n’avoir pas compris dans ce quinquennat devenu septennat par la force d’un wax waxeet, qu’on n’a pas le droit d’avoir une opinion ni une ambition présidentielle’’.  

Dans le même ordre d’idées, il trouve que le Parquet a demandé des acquittements pour qu’on ne parle pas de cabale. Or, s’est désolé Me Bass, c’est le même Parquet qui a conduit les accusés concernés à la barre alors qu’il pouvait les renvoyer à la fin de l’instruction. Revenant sur les 30 ans requis contre Imam Ndao, il croit fortement que leur client ne va pas supporter ces années au regard des conditions de vue dans les prisons. Aussi, les (30 ans) considère-t-il comme une opération de marketing. ‘’C’est comme les publicités portant sur des voitures où on affiche le prix de 9,990 millions pour ne pas dire 10 millions’’, a argué l’avocat.      

Le PV et l’ordonnance déchirés, les infractions démontées

Au-delà des généralités et d’autres considérations, les avocats ont cherché à démonter les différentes accusations retenues contre l’imam Alioune Ndao. Pour la défense, elles n’ont pas de base légale puisque ni l’ordonnance de renvoi encore moins le procès-verbal n’a étayé l’accusation. ‘’La particularité de ce dossier, c’est que l’instruction n’a été faite qu’à charge. Alors qu’on instruit à charge et à décharge. Vous verrez que l’ordonnance du juge d’instruction n’a fait que reprendre intégralement le réquisitoire définitif du Parquet. On se demande à quoi sert un juge d’instruction si c’est de reprendre la piste dégagée par le Parquet. Il ne sert à rien si c’est pour reproduire les mêmes erreurs, les mêmes fautes que le Parquet. Il n’y a pas eu cette volonté de recherche de la vérité’’, a asséné Me Moussa Sarr.

Le procès-verbal d’enquête préliminaire a été aussi écarté. Me Bass reproche aux gendarmes d’avoir fait un PV ‘’façonné’’ avec des mentions ‘’manifestement inexactes’’ en interprétant les faits. Me Sarr n’y est pas allé du dos de la cuillère en le qualifiant de faux. ‘’Ce dossier est un fiasco judiciaire. On a constaté des constructions factuelles. Nous avons un faux intellectuel car il y a un défaut de véracité dans le contenu du PV. Donc, il doit être écarté’’, a-t-il martelé.

S’agissant des infractions, particulièrement de l’association de malfaiteurs en bandes organisées en relation avec des réseaux terroristes, Me Cissé a souligné que leur client  n’a aucune connexion avec Boko Haram. Il a écarté l’argument du substitut Aly Ciré Ndiaye, selon lequel l’accusé a adhéré au projet de Makhtar Diokhané. ‘’Le  seul projet qui ressort du dossier et qui a été confirmé par tous les accusés, c’est le projet agricole’’, a-t-il rétorqué. Pour Me Ndiaye, l’argumentaire du ministère public ne saurait tenir dans la mesure où Diokhané est trop jeune pour que l’imam suive ses instructions.

L’apologie du terrorisme n’est pas également établie pour la défense. Me Cissé trouve qu’elle n’existe pas dans la mesure où l’imam n’a pas publié les vidéos jugées compromettantes par les moyens de diffusion publique. ‘’Les vidéos étaient dans son ordinateur privé et on ne fouille pas dans la vie privée des individus. C’est même interdit par la loi’’, a expliqué le conseil qui considère également que la Conférence portant sur la Charia et le djihadisme animée par l’accusé en 2014 au Lac Rose ne peut pas être considérée comme une preuve. ‘’Si c’est l’apologie, nous sommes au mois de Ramadan, tous ceux qui font le ‘’Tafsir’’ (traduction du Coran) devraient être poursuivis parce que personne ne peut faire le Tafsir sans parler de djihad ou de la Charia’’, a appuyé l’auxiliaire de justice. Aux yeux de son confrère Me Moussa Sarr, l’imam est victime d’une conspiration bilatérale entre l’Occident et le Sénégal et que le Parquet n’a fait que de simples allégations car il n’est pas en mesure de sortir un seul discours incitatif ou subjectif au djihad tenu par l’accusé. 

L’infraction d’acte de terrorisme n’est pas également étayée, selon la défense. Le Parquet a, selon Me Ndiaye, voulu jouer sur la corde de la peur sans apporter la plus petite preuve de ce délit. Et si tant est que l’imam serait un terroriste, Me Bass juge que dans le dossier, on ne mentionne pas le nom du groupe terroriste auquel Imam Alioune Ndao a accepté d’adhérer. Il s’y ajoute, selon Me Sarr, qu’il n’existe aucun acte terroriste pouvant lui être imputé. Dans la foulée, l’avocat trouve qu’on n’avait pas besoin d’aller jusqu’au Nigeria pour trouver des actes terroristes mais l’on aurait pu se limiter dans le Sud du pays. ‘’Les actes qui sont posés par le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), si on s’en tient à la définition, sont des actes terroristes. Mais on les appelle pudiquement mouvement irrédentiste. Et on négocie, on dépense des milliards alors qu’ils ont brûlé le drapeau national, détruit des infrastructures de l’Etat’’, a-t-il argumenté sous les ‘’Allahou Akbar’’ du public qui a fait fi des remarques du juge à la reprise de l’audience quant aux signes d’approbation ou d’improbation. L’avocat a fustigé qu’il n’y ait même pas eu un transport sur les lieux dès lors que l’accusation a soutenu que les champs d’Imam Ndao servent de lieux d’endoctrinement des djihadistes. ‘’Si nous étions soucieux d’une œuvre  de justice, on aurait désigné plusieurs juges d’instruction. Mais tout cela n’as pas été fait. Tout a été escamoté’’, a dénoncé Me Sarr. 

Abordant l’infraction de financement du terrorisme, Me Cissé trouve ‘’curieux’’ qu’on puisse la retenir contre l’imam. Car, ce dernier n’a pas fourni de fonds, n’en a pas géré et n’a pas réuni de fonds dans l’intention de les utiliser pour financer un acte de terrorisme.

Concernant le blanchiment de capitaux, Me Cissé a souligné que l’accusation doit prouver que l’argent qu’Ibrahima Diallo avait confié à Imam avait une origine illicite et que celui-ci en était conscient. Il a ajouté que ‘’si on ne peut pas prouver cela, on doit l’acquitter de ce chef’’. Encore mieux, Me Sarr a demandé à la Chambre d’aller au-delà, en renvoyant l’accusé des fins de la poursuite parce que ce délit ne lui est pas applicable. ‘’Quel est le placement qu’il a fait pour qu’il soit poursuivi de ce chef ? Où est le recyclage pour tirer un produit légal ? Imam n’est même pas dans l’action de la loi car le blanchiment vise de grosses sommes, des sommes astronomiques et non 10 millions’’, a-t-il précisé.

Par ailleurs, pour la détention d’arme, l’avocat a parlé de confusion parce que le pistolet ‘’n’est plus fonctionnel et c’est un vestige’’. Il est d’avis que si le Parquet avait des éléments à son encontre, il allait être à l’aise. 

Au regard de tous ces arguments avancés par lui et ses confrères, Me Cissé reste convaincu que ‘’cette affaire est une montagne qui ne manquera pas d’accoucher d’une souris’’. Par conséquent, Imam Ndao mérite de retourner dans sa famille d’autant qu’il a trop souffert pour avoir subi beaucoup d’injustices. D’après le conseil, même eux ont souffert de cette affaire car on les appelait ‘’les avocats des terroristes’’. Par ailleurs, la robe noire est préoccupée par les stigmates de l’affaire. Il dit : ‘’Aujourd’hui, qu’on le veuille ou pas, on les regardera comme étant des terroristes même s’ils sont en définitive acquittés, alors qu’il n’en est rien. Parmi les accusés qui sont déférés devant vous, il n’y a pas de terroriste. Renvoyez imam Ndao des fins de la poursuite et vous ordonnerez la restitution de l’ensemble de ses biens saisis y compris les exemplaires du Saint Coran et ses autres livres.’’

FATOU SY

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