Le film d’un accouchement qui a viré à l’horreur
Selon le ministère public, Doura Diallo et son bébé ont vécu l’enfer, avant de rendre l’âme à la maternité du district sanitaire de Kédougou. Sur quelques passages, l’accusation relate un récit insoutenable. Mais, il y a une autre version des faits.
Homicide involontaire et complicité. Tels sont les faits retenus par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Kédougou, Baye Thiam, contre Léonce Mbade Faye, Abdou Aziz Dioum Et Bakary Diébakhaté. Les trois agents du district sanitaire de la région au sud-est du Sénégal ont été placés en garde à vue, mercredi, après leur arrestation, dans le cadre de la mort de Doura Diallo et de son nouveau-né, lors d’un accouchement. Une enquête a été ouverte et confiée à la gendarmerie de Kédougou, pour des faits prévus et punis par les articles 307, 45, 46 du Code pénal. Ce nouveau drame survenu dans de terribles circonstances s’ajoute à une longue liste de faits similaires dans les structures sanitaires sénégalaises.
Dans un communiqué publié hier, le procureur de Kédougou détaille les circonstances autour du décès de Doura Diallo. C’est dans la nuit du mercredi 30 août 2022, aux environs de 22h, que le parquet de Kédougou a été informé qu'une patiente aurait perdu la vie au moment de son accouchement, ainsi que son bébé au District sanitaire de Kédougou. Activée, la police a confirmé les cadavres sur place, en faisant ses premières constatations.
‘’C'est dans ces circonstances que nous avons instruit le Commandant de Brigade de Kédougou d'appeler immédiatement tout le personnel médical qui était dans le bloc opératoire, en commençant par le gynécologue pour les entendre et également convoquer le mari de la défunte pour prendre son audition’’, assure le procureur. En plus du gynéco, un anesthésiste et un infirmier composaient l’équipe médicale, au moment des faits.
‘’Manquement manifeste aux règles élémentaires de la médecine’’
Au stade actuel, avec les premiers éléments de l’enquête, le ministère public soutient qu’à l'analyse des faits de l’espèce, ‘’une forte négligence médicale, ainsi qu’un manquement manifeste aux règles élémentaires de la médecine ont été relevés’’. Selon le procureur, la patiente était un sujet à risque, qui avait accouchée par voie césarienne, lors de sa dernière grossesse, dans ce même district. ‘’Ce qui aurait dû dissuader le gynécologue compte tenu de ses antécédents avérés, de la faire accoucher cette fois-ci par voie basse. Ensuite, la défunte qui était diabétique ne pouvait nullement supporter un accouchement par voie basse, vu son poids qui était quasiment à 100 kg. Enfin, il nous a été donné de constater que le fœtus pesait 04 kilo 770 grammes et donc ne pouvait sous quelque acrobatie utilisée sortir par la voie basse’’, explique Baye Thiam.
Pour en arriver à ces conclusions, le procureur de Kédougou n’a pas manqué de faire la reconstitution de la journée du mardi 30 août. Les premiers éléments de l’enquête soulignent qu’avant le jour de son accouchement, Doura Diallo femme s'était rendue à deux reprises au Centre de santé pour des visites prénatales. La sage-femme trouvée sur place lui a alors signifié qu'elle n'était pas encore à terme et qu'elle pouvait revenir le lendemain. C'est ainsi qu’elle a été admise au District sanitaire de Kédougou au service de la Maternité, aux environs de 08 heures du matin, accompagnée de son époux Malick Cissé alias Mor.
Hélas, débute alors le récit d’un calvaire insoutenable. Car, ajoute le parquet, la matrone après l'avoir consultée et constatée un affleurement de la tête du bébé a appelé le gynécologue : ‘’Ce dernier, arrivé aux environs de 16 heures s'est présenté et a essayé d'accoucher la femme par voie basse jusqu'à faire sortir la tête, mais, les épaules du bébé étant bloquées peinaient à sortir du fait du volume et ce, contrairement, à la volonté de son époux qui lui suppliait de faire une césarienne, compte tenu de ses antécédents. C'est ainsi, sans pitié ni sentiment, qu'il a continué de manœuvrer sans même tenir compte de la fragilité du bébé’’.
Le gynéco décide d’une ablation de l’utérus
L’impensable s’est alors produit. Le procureur souligne que s'étant rendu compte qu'il était face à un obstacle imparable, le gynécologue a décidé de procéder à une intervention chirurgicale, ce qui était trop tard, car la situation était déjà devenue inextricable. ‘’Le comble s'est produit une fois au bloc opératoire, lorsque le gynécologue ainsi que l’anesthésiste ont délibérément décidé, sans même avoir préalablement consulté le mari de la défunte, de procéder à une hystérectomie, c'est-à-dire une ablation totale de l‘utérus’’, accuse Baye Thiam.
Le rapport du Médecin-Chef du District sanitaire de Kédougou transmis au Parquet le 31 Août 2022 conclut que ces manœuvres en cascade ont très certainement provoqué une rupture utérine qui a conduit immédiatement au décès de la mère, suite à une hémorragie externe et un arrêt cardiaque.
En outre, assure le ministère public, les manœuvres du gynécologue pour extraire le bébé ont causé le décès du nouveau-né : ‘’Le billet de mort de l'enfant venait d'être froidement acté par ces ‘’actes dits médicaux’’, pour ne pas dire ‘’radicaux’’. En effet, les déclarations spontanées des parties (personnel médical et le mari de la défunte) indiquaient que le fœtus à l’arrivée était vivant, car le mari, présent à l'accouchement, avait posé la question au médecin qui lui a confirmé effectivement qu’il respirait’’.
Le procureur soulève ‘’des ‘’actes dits médicaux’’ pour ne pas dire ‘’radicaux’’
Ce communiqué du parquet de Kédougou vient après celui, publié jeudi, de l’Association sénégalaise des gynécologues et obstétriciens (ASGO) qui compte un membre parmi les trois en garde à vue. Celle-ci dénonce une arrestation abusive, ‘’sans enquête ni expertise préalables’’, tout en affirmant que l’équipe qui a pris en charge la femme enceinte et son bébé a pris la décision appropriée pour leur santé, en faisant recours à la ‘’technique obstétricale’’ qu’il faut. L’ASGO apporte ainsi le soutien des gynécologues à leur collègue ‘’qui officie à des (centaines) de kilomètres de Dakar dans des conditions de travail extrêmement difficiles’’.
L’autre son de cloche
D’ailleurs, dans le milieu médical, c’est un autre son de cloche qui est entendu. Selon les dires, en réalité, lorsque la dame s’est présentée, le bébé avait déjà commencé à sortir. De ce fait, il ne pouvait plus y avoir de césarienne. Mais, à un certain moment, la patiente a commencé à fatigué. Elle n’était plus en capacité de pousser. Le bébé s’est étouffé et a rendu l’âme. Ayant constaté cela, le gynécologue, dit-on, est allé voir le mari, pour lui expliquer la procédure à suivre. Car, la femme, à ce moment-là, pouvait risquer une fistule obstétricale. Or, il fallait sauver la maman.
Ladite procédure, dit-on, consistait au démembrement de l’enfant, pour sortir le tronc et les membres par césarienne et la tête par voie basse. Ce qui a été fait. Ensuite, il fallait recoudre la maman et ensuite le nouveau-né, ‘’pour le rendre présentable’’. Malheureusement, dit-on, au moment de ramener la dame en salle, elle a piqué une crise. Toute l’équipe médicale s’est affairée autour d’elle pour la réanimer. Mais, il n’y avait pas de poche de sang. Alors que la dame en avait grandement besoin, pour en avoir beaucoup perdu. Elle a fini par rendre l’âme.
D’ailleurs, une source médicale, qui sert dans la zone, explique que ce manque de poches de sang est un phénomène récurrent, dans la zone. Pour pallier cela, il renseigne garder en permanence les contacts de quelques donneurs qu’il peut appeler à n’importe quelle heure de la journée, en cas de besoin.
On apprend aussi que la patiente décédée était suivie dans un poste de santé. La sage-femme qui la suivait l’avait déjà avertie qu’elle ne pourrait pas, cette fois-ci, accoucher par voie basse et qu’il faudrait une césarienne. Ainsi, le jour de la tragédie, la dame, dit-on, s’est d’abord présentée au centre de santé, lorsqu’elle a senti les contractures annonciatrices de l’arrivée du bébé. La sage-femme a vu qu’elle allait accoucher. Elle l’a enjointe de se rendre dare-dare au centre de santé. C’est la raison pour laquelle, dit-on, lorsqu’elle s’est présentée, l’enfant avait commencé à sortir.
Toujours, selon les sources, si on en est là, c’est parce que, lorsque l’équipe s’affairait autour de la patiente, pour la réanimer, la maman de la dame est entrée dans le local où se trouvait le mort-né qui n’avait pas encore été recousu. Elle a été choquée par le spectacle et a pensé, dit-on, à des actes sacrificiels sur le bébé. C’est elle qui aurait poussé pour que l’affaire soit portée en justice.
Toujours est-il que l’enquête en cours devrait faire connaître le fin mot de cette tragédie. Etant donné que les mis en cause ont déjà étaient entendus. Ils le seront de nouveau, lundi prochain, dit-on. Sûrement, à l’issue dans cette nouvelle audition, ils seront édifiés sur leur sort. S’ils sont placés sous mandat de dépôt, l’affaire devrait être confiée à un juge d’instruction, car, il y a eu mort d’homme.
L’autre souci majeur est que le gynécologue ayant été arrêté, il n’y en a plus là-bas. Que vont devenir les autres patientes, ayant besoin de ses services ?
Déjà, en avril dernier, Astou Sokhna, une femme mariée et enceinte de neuf mois, avait rendu l’âme à l’hôpital de Louga, après avoir réclamé, dans de grandes souffrances, pendant plusieurs heures, l’assistance des sages-femmes. Face à l’émoi suscité dans le pays, les trois mises en cause ont été condamnées un mois après à six mois de prison avec sursis, pour ‘’non-assistance à personne en danger’’. Cette fois-ci, aucune femme n’est mise en cause et les accusations semblent plus graves avec la perte de deux vies humaines.
Toutefois, les carences du système sanitaire sénégalais restent toujours les mêmes, malgré toutes les mesures fortes annoncées par les autorités publiques.
Lamine Diouf