En passant par chez Wade, mardi dernier
J’ai passé une bonne partie de l’après midi de ce mardi pluvieux du 27 novembre chez Abdoulaye Wade à Versailles. Qu’ils sont loin les clichés et les images d’Épinal ou même l’image qu’on se ferait de quelqu’un qui vient de boucler 12 ans d’exercice du pouvoir suprême dans un pays. Ce n’est pas la maison d’un milliardaire. Ce n’est pas la retraite dorée d’un ancien chef d’Etat.
Rien ne la distingue des autres demeures perdues dans l’univers pavillonnaire de cette banlieue de Versailles. Cette maison, j’y étais venu il y a 25 ans, je ne l’imaginais pas aussi petite et modeste. L’ancien Président en pull-over me reçoit lui-même à l’entrée, affable comme toujours. Ici, pas de valet ni un quelconque domestique. Personne autour de lui. Madame Wade, noyée dans la paperasse, du courrier sans doute, dans son petit bureau attenant à son salon, sert elle-même le thé comme à une période lointaine où ils étaient dans l’opposition. Parlant de thé, Madame s’y connaît réellement.
Comme je lui offrais une brochure sur au moins plus d’une centaine de variétés de thé, je suis étonné de savoir qu’elle l’a déjà et me conseille de boire mon thé sans sucre, ce qui fait ressortir l’arôme alors qu’avec du sucre il se transformerait en sirop. Est-ce du Darjeeling que j’ai bu ? Je ne sais plus, mais il est délicieux et flatte absolument les muqueuses. Bref, pour en venir à l’essentiel, ici on se sent chez des intellectuels. L’univers de Abdoulaye Wade, ce sont les livres qui débordent de la table basse du salon. C’est vrai qu’il a toujours été un grand lecteur. L’ancien Président n’a rien perdu de sa pugnacité. On ne décèle aucune amertume dans ses propos. D’emblée, il place la discussion sur le terrain de la politique et de la culture. Le peuple sénégalais, me dit-il, est un peuple spécial ; il n’en dira pas plus.
De la folie du pouvoir
Dans le combat démocratique, dit-il, il y a des hauts et des bas. Il parle de la folie du pouvoir. Il me taquine, me disant que je devrais écrire un livre sur la tentation des hommes politiques à proximité du pouvoir suprême d’être président, surtout des premiers ministres. Il parle de rentrer prochainement au Sénégal, de reprendre le combat pour le Sénégal et l’Afrique, de la floraison des journaux au Sénégal, de son long combat pour une presse libre malgré ses déviations et ses faiblesses structurelles, de la succession de Senghor qui a longtemps hésité à faire de lui son dauphin après avoir longtemps jeté son dévolu sur Abdoulaye Ly, propos que votre serviteur qui a fréquenté les deux Grands anciens peut confirmer.
Un moment, mon esprit s’égare, je songe à Napoléon dans son rocher de Sainte Hélène dictant à Las Cases des lettres où il justifie ses actions pour la postérité. Mais Wade lui veut repartir au combat.
Comme je lui demandais s’il ne devait pas se placer au dessus de la mêlée, il rétorque qu’il ne voit pas quelle loi ou règle devrait interdire à un intellectuel et à un politique de réfléchir, de prendre position et de se battre jusqu’au dernier souffle de sa vie pour ses idéaux.
L’interrogeant sur les défections survenues dans ses rangs, cause peut-être de sa défaite, il me répond en avouant sa déception en certains hommes politiques en qui il avait placé une confiance absolue et qui ont été aveuglés par le pouvoir et l’argent.
Foi dans le noyau dur du PDS resté fidèle à ses idéaux.
Comme je m’étonnais que lui le panafricaniste n’ait pas songé depuis longtemps à transformer le PDS en Parti panafricain, son œil s’allume. Justement, au prochain congrès, il voudrait revivifier le Parti démocratique sénégalais en un grand parti Panafricain et surtout déplore l’éparpillement des partis politiques africains qui devraient se structurer en deux grands courants panafricains.
Il place sa foi dans les Intellectuels africains qui doivent être des locomotives dans la construction de l’unité africaine. Il s’est toujours adressé aux intellectuels africains leur disant qu’ils avaient la chance d’avoir à la tête d’un Etat un homme qui pensait comme eux, qui était des leurs et qui, surtout, était habité par la passion de l’Unité des peuples d’Afrique dans un monde où prédominent les grands ensembles. Nous faisons un tour d’horizon des journaux et surtout de «Demain l’Afrique», journal qu’il a jadis aidé bien avant d’avoir accédé au pouvoir.
Notre discussion glisse sur les chantiers inachevés dont celui du Musée des Civilisations Noires. Il souligne l’hostilité de certaines grandes puissances européennes dont il a été l’objet pour avoir mené le combat contres les APE (NDLR : Accords de partenariat économique) et surtout son credo en l’Unité Africaine qu’il voulait fortifier par un solide socle culturel. Assurément Wade a dérangé beaucoup de monde. L’horloge tourne, il pourrait parler des heures des grands musées du monde qu’il a visités, des banlieues qui donnent une bien meilleure idée d’un peuple.
Je quitte, nous promettant de nous revoir, un homme mithridatisé contre le pessimisme, habité comme par un songe invincible, une mystique dans sa foi du Sénégal et de l’Afrique. L’homme, décidément, a de la ressource.
MACODOU NDIAYE
Journaliste Antropologue,
enseignant à la Sorbonnne(Paris)