Des perdants et des gagnants
Ils ont transhumé vers les prairies beige-marron, en perspective de l’élection présidentielle du 24 février 2019. Mais, au vu des résultats, Abdoulaye Baldé (Ziguinchor), Mamadou Lamine Keïta (Bignona), Abdou Mbacké Ndao (Mbacké) et Petit Guèye (Sokone) n’ont pas su convaincre leurs bases. Par contre, Aïssata Tall Sall et Modou Diagne Fada ont été d’un grand apport au candidat de la coalition Bby dans leurs fiefs respectifs.
Les résultats provisoires transmis depuis lundi dernier par les commissions départementales sont pleins d’enseignements. S’ils déflorent progressivement les rapports de force entre pouvoir sortant et opposition, ils déterminent également le poids de tout un chacun, que ce soit les responsables de première heure de l’establishment de la coalition Benno Bokk Yaakaar au pouvoir ou les transhumants débauchés à grands renforts par le président de la République sortant. Dans certaines parties du pays, des mastodontes sur lesquels le président de la République sortant a fait le choix de s’appuyer au détriment de responsables politiques authentiques se sont parfois révélés de véritables géants aux pieds d’argile. C’est le cas d’Abdoulaye Baldé à Ziguinchor. Dans la région sud du pays, c’est à croire que sa transhumance n’a, en effet, rien apporté comme plus-value au candidat de la coalition de la majorité présidentielle.
Au contraire, l’issue de cette élection a été pour eux deux un véritable naufrage collectif. Non seulement ils ont été battus, mais aussi laminés non pas par un politicien professionnel, mais plutôt par le novice Ousmane Sonko qui vient de faire son baptême du feu en tant que candidat à une élection présidentielle. Ce revers cinglant traduit non seulement des failles du régime dans la partie sud du pays, mais aussi la chute du mythe Abdoulaye Baldé resté maitre incontesté des lieux depuis les élections locales de 2009, à l’issue desquelles il est venu à bout du tout-puissant Robert Sagna, après des années et des années de règne sans partage. Il a, en 2014, tenu en échec tout l’establishment de Benno Bokk Yaakaar qui voulait s’emparer de la mairie de Ziguinchor. Il a résisté au ministre-conseiller du président de la République sortant, Benoit Sambou, pour rempiler à la tête de la municipalité. En 2017, aux élections législatives, Abdoulaye Baldé, à la tête de la Convergence patriotique Kaddu Askan Wi, a réussi à décrocher deux postes de député à l’Assemblée nationale dont l’un sur la liste départementale de Kédougou et un autre sur la liste nationale avec 65 235 suffrages valablement exprimés.
Mainte fois courtisé par le régime pour faire basculer Ziguinchor, Abdoulaye Baldé a toujours opposé une fin de non-recevoir. Jusqu’à ce qu’il tombe finalement dans les filets du président de la République sortant, à la veille même du dépôt des candidatures à l’élection présidentielle du 24 février 2019. Engagé aux côtés du président Macky Sall, la logique aurait voulu qu’ils gagnent largement, non seulement le département de Ziguinchor, mais dans toute la région de la Casamance. Mais c’était sans compter avec la volonté des populations de Ziguinchor de rester dans l’opposition, en dépit des opérations de charme du régime de Macky Sall.
Mamadou Lamine Keïta dans la nasse
C’est le même cas dans le département de Bignona qui est également tombé dans l’escarcelle d’Ousmane Sonko. Là aussi, les populations n’ont pas du tout suivi le maire Mamadou Lamine Keïta dans sa transhumance. Il a tourné le dos à sa formation politique, le Parti démocratique sénégalais, pour rejoindre la majorité présidentielle. Malgré la forte mobilisation qu’il a réussie, lors de la campagne électorale, pour rassurer le candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar en quête d’un second mandat d’une victoire certaine, l’ancien ministre de la Jeunesse sous Abdoulaye Wade s’est incliné, entrainant ainsi dans sa chute le président de la République sortant. Ils ont été largement battus par le candidat Ousmane Sonko qui a totalisé 51 438 voix contre 27 398 pour le candidat de la coalition Bby, selon la Commission départementale de recensement des votes.
Dans le lot des naufragés de l’élection présidentielle du 24 février 2019, figure en bonne place le maire de Mbacké, Abdou Mbacké Ndao. Sous la bannière de sa propre coalition, il s’est emparé seul de la mairie de Mbacké avant de rejoindre le camp présidentiel quelque temps après. C’est d’ailleurs sous la bannière de la coalition Benno Bokk Yaakaar qu’il s’est présenté aux élections législatives de 2017. Il en était ressorti affaibli, puisqu’il avait été tenu en échec et battu jusque dans son bureau de vote. Cette tendance s’est confirmée à l’issue du scrutin présidentiel de dimanche dernier largement remporté, dans le département, par le candidat de la coalition Idy2019 qui, selon la Commission départementale de recensement des votes, sur 222 552 suffrages valablement exprimés, a récolté 129 724 voix contre 67 745 voix pour le candidat de la mouvance présidentielle, soit 30,9 % seulement des suffrages.
Oumar Sarr, Bamba Fall et Aïda Mbodj perdus par leurs postures
A Sokone, dans le fief du ministre Abdou Latif Coulibaly, le maire Petit Guèye est quasiment dans la même situation. A la seule différence des responsables politiques susmentionnés qu’il n’a pas rejoint la mouvance présidentielle. Mais son choix de soutenir la candidature d’Idrissa Seck n’a pas convaincu les populations de Sokone qui ont préféré donner leurs voix au président de la République sortant. Vainqueur des locales de 2014, il s’est incliné, cette fois-ci, devant la coalition de la majorité présidentielle.
Bamba Fall et Aïda Mbodj, neutralité perdante
A l’inverse de ces différents responsables politiques susmentionnés, Bamba Fall et Aïda Mbodj ont, quant à eux, joué la carte de la neutralité. Mais ils semblent perdus par leurs calculs, à l’issue du scrutin présidentiel. Leurs communes respectives ont, en effet, basculé dans le camp présidentiel, malgré leur neutralité. Même si le score n’est pas très large, Macky Sall est venu premier devant Idrissa Seck avec 38 907 voix contre 25 413. Par contre, à la Médina, Macky Sall a fait le plein de voix pour la première fois depuis son installation au pouvoir et en dépit des multiples tentatives de faire basculer la commune. En jouant la carte de la neutralité, Bamba Fall et Aïda Mbodj ont plus facilité la tâche au président de la République sortant qu’aux candidats de l’opposition comme Idrissa Seck, par exemple. La nature ayant horreur du vide, ils restent d’apprendre à leurs dépens que personne n’a le monopole du suffrage.
Pour sa part, Oumar Sarr, lui, a fortement payé son boycott du scrutin présidentiel. La commune de Dagana qu’il dirige d’une main de maitre depuis les années 90, a finalement basculé, à l’issue du scrutin présidentiel du dimanche dernier où le candidat Macky Sall a eu 62 091 voix, soit (67,26 %) contre 11 847, soit 12,83 % pour Ousmane Sonko et 11 033 (11,95 %) pour Idrissa Seck, selon les résultats provisoires publiés par la Commission départementale de recensement des votes. Ce basculement ne sera pas sans conséquence pour sa survie politique dans le département, puisque son appel au boycott a été inopérant. Les populations sont massivement allées voter. Il y a eu 93 052 votants pour 744 bulletins nuls. De ce fait, les suffrages exprimés ont été de 92 308 voix, soit un taux de participation de 69,33 %. Donc, il est à craindre que ce repositionnement du camp présidentiel dans la commune soit déterminant, lors des prochaines élections locales de décembre 2019 qui se profilent à l’horizon.
Aïssata Tall Sall, Modou Diagne Fada et Braya, les grands gagnants
A côté de ces grands perdants, il y a aussi des grands gagnants. Des responsables politiques qui ont rejoint la majorité présidentielle à la veille des élections et qui ont contribué à booster ses scores dans des zones bien déterminées. C’est le cas de Me Aïssata Tall Sall à Podor. Dans ce département, si le candidat de la coalition Bby a largement écrasé la concurrence, c’est parce que l’apport de Me Aïssata Tall Sall a été déterminant. Macky Sall a cumulé, en effet, un total de 127 639 voix sur les 136 665 suffrages valablement exprimés, loin devant Ousmane Sonko arrivé deuxième et qui n’a eu que 4 802 voix contre 2 800 pour Idrissa Seck qui s’est classé troisième, selon toujours la Commission départementale de recensement des votes. L’arrivée d’Aïssata Tall Sall a beaucoup contribué à booster le score du candidat Macky Sall qui, depuis 2012, tente en vain de mettre la main sur le département.
Il en est de même à Kébémer, dans le fief de Modou Diagne Fada, actuel président du conseil départemental. L’ancien ministre de la Santé sous le régime d’Abdoulaye Wade a fait le choix de rallier le camp présidentiel, après avoir jaugé ses forces aux élections législatives de 2017 où il a réussi à décrocher un siège à l’Assemblée nationale. Son apport a été tellement déterminant que le département, qui a toujours résisté aux sirènes du régime, a complètement basculé dans le camp présidentiel avec 42 166 suffrages récoltés par le candidat Macky Sall contre 26 739 pour Idrissa Seck qui s’est classé deuxième. C’est dire que sans l’apport de Modou Diagne Fada, le candidat de la majorité présidentielle aurait, à coup sûr, eu du mal à faire basculer ce département.
C’est à peu près le même exploit qu’a réussi Ameth Fall Braya à Saint-Louis. L’ex-coordonnateur du Parti démocratique sénégalais, qui a tourné le dos à son parti pour rallier le camp présidentiel à la veille du scrutin présidentiel, a été l’artisan de la percée du président Macky Sall dans la vieille ville. La main-forte prêtée au frangin de la première dame, Mansour Faye, et au ministre Mary Teuw Niane a été plus que concluante. Des 109 455 suffrages qui se sont exprimés valablement, ils en ont décroché 62 788, loin devant Idrissa Seck, 18 632, et Ousmane Sonko, 17 404, selon les résultats provisoires glanés par notre correspondant.
ASSANE MBAYE