Ces rendez-vous manqués du consensus républicain
Depuis 2016, le régime de Macky Sall a initié une série de dialogues politiques avec l’opposition, la société civile et les forces vives de la nation. Aux yeux d’une grande partie de l'opinion, ces forums républicains ont plus servi à faire avancer le calendrier politique du régime plutôt que d’obtenir de réelles avancées sur le plan démocratique.
Le dialogue a toujours été une panacée du régime de Macky Sall. Un dialogue qui apparaît comme une vitrine communicationnelle du régime pour préparer des coups politiques comme la loi sur le parrainage, l’ouverture de la majorité présidentielle, entre autres. Des dialogues qui se sont succédé depuis 2016 pour régler des problèmes de candidatures plutôt que des avancées démocratiques. Ce qui a entrainé une crise de confiance entre les acteurs de l’opposition et le pouvoir, avec le refus de la plateforme Aar Sunu Élection et des candidats retenus pour la présidentielle de répondre à l’appel du chef de l’État pour le dialogue national consacré au processus électoral (26 et 27 février).
‘’Le problème avec ce dialogue, c’est qu’il comporte des groupes aux intérêts antagonistes. Il sera difficile d’arriver à un consensus et nous avons décidé de ne pas y participer. Il faut savoir quand dialoguer. D’autant plus qu’il n’y a pas de termes de référence concernant ce dialogue’’, a déclaré Moundiaye Cissé, président de l’ONG 3D. Ces forums républicains sont souvent perçus comme des moyens de valider des deals politiques plutôt que de s’intéresser à la bonne marche de la démocratie. La preuve de ces dysfonctionnements est apparue avec le vote de la loi du parrainage en 2018 qui n’a pas été validé par le dialogue initié en 2016, mais mise en œuvre pour la Présidentielle de 2019. Macky Sall, qui espérait faire de ce dialogue un événement annuel pour discuter des questions majeures concernant les Sénégalais à la suite du référendum constitutionnel, verra son initiative se heurter à la realpolitik et aux intérêts divergents des formations politiques.
Un mauvais départ lors du dialogue de 2016
La première édition avait regroupé les forces vives de la nation dans leur diversité. Les familles religieuses, les acteurs politiques, les opérateurs économiques, les organisations socioprofessionnelles, les mouvements sportifs et culturels, les jeunes et les femmes ont massivement répondu à l'appel du chef de l'État. Ce dialogue national avait été annoncé deux mois après le référendum constitutionnel du 20 mars. Macky Sall affirmait sa ‘’ferme volonté de mener des consultations inclusives sur des questions exclusivement d'intérêt national’’. Cette rencontre sur fond de fortes tensions avec le PDS n’avait pas connu d’avancées majeures sur le plan des réformes institutionnelles et politiques. Les revendications de l’opposition concernant l’arrêt Ousmane Ngom (interdiction de manifester dans certaines zones de Dakar), la révision du fichier électoral et le statut de l’opposition, entre autres, n’ont pas été validées à l’issue du dialogue, ces questions n’ont pas pu trouver un consensus.
Une rupture de confiance avec la loi du parrainage en 2018
Un autre dialogue a été lancé en 2017 sans qu’aucune avancée majeure ne soit notée. Aucun acte concret n'est ressorti des précédentes éditions du dialogue national. Cette situation de manque de confiance a été exacerbée en 2018 par le vote de la loi sur le parrainage malgré le rejet de l’opposition. Les députés sénégalais ont adopté la nouvelle loi électorale très controversée par 120 députés sur 165. Des dizaines d’opposants ont été arrêtés lors de manifestations réprimées au moyen de gaz lacrymogènes. L’opposition a boycotté la fin des travaux pour protester contre la décision d’écourter la séance après quelque six heures de débats émaillés d’incidents, notamment quand une rixe entre députés est survenue. Ainsi, cette démarche a accentué la méfiance des organisations de la société civile et des partis politiques sur la pertinence de ces concertations.
En outre, l’opposition dénonce la modification du Code électoral qui impose aux candidats de jouir de leurs droits civiques pour figurer sur les listes électorales et être candidats à l’élection. La décision est perçue comme un moyen d’écarter les candidats Karim Wade et Khalifa Sall pour la Présidentielle de 2019. Le dialogue initié en 2019 après la Présidentielle a été confié à Famara Ibrahima Sagna, nommé président du Comité de pilotage du dialogue national. Cette rencontre avait pour but, selon plusieurs spécialistes, de servir de prétexte pour assurer une ouverture politique vers les anciens libéraux et le mouvement Osez l’avenir d’Aissata Tall Sall en novembre 2020.
Toutefois, selon Moundiaye Cissé de l’ONG 3D, ce tableau n’est pas aussi sombre. ‘’Les précédents dialogues nous ont permis d’avancer sur certains nombres d’acquis comme l’élection du maire au suffrage universel direct et la revue du parrainage, le montant de la caution et la suppression du parrainage aux Locales. Chaque dialogue a son lot de résultats’’, affirme-t-il.
Dialogue de 2023, processus d’isolation d’Ousmane Sonko
En 2020, la Commission politique du dialogue national avait bouclé la première phase de ses travaux avec, à la clef, 23 points d’accord, deux de désaccord et six questions en suspens synthétisés dans un rapport définitif qui a été transmis au président de la République. Les principaux points de discorde entre l’opposition et la majorité restent inchangés. La suppression du parrainage réclamée par une partie de l’opposition, l’instauration du bulletin unique et la création d’une haute autorité chargée de l'organisation des élections demeurent toujours des points de discorde entre pouvoir et opposition. Le dernier appel au dialogue semble être la caricature d’un forum républicain qui ne sert qu’à régler des problèmes politiques. Cette initiative apparaissant comme un moyen de réhabiliter Karim Wade et Khalifa Sall et ne visant qu’à diviser un peu plus le camp de l’opposition en provoquant une scission entre Yewwi Askan Wi et Wallu Sénégal. Néanmoins, certains points de consensus, notamment la réforme du processus du parrainage, des critères d’inéligibilité contenus dans les articles L29 et L30 du Code électoral ont pu être validés à la suite de ce dialogue.
Ces échanges qui ont eu lieu dans un contexte de fortes tensions (émeutes du 1er et du 2 juin) ont été aussi perçus comme un moyen d’isoler un peu plus Ousmane Sonko empêtré dans des affaires judiciaires.
Cette configuration aura aussi pour conséquence de décrédibiliser ce processus d’apaisement du climat politique donnant l’impression que les dialogues politiques servent avant tout à résoudre des problèmes politiques.
Mamadou Makhfouse NGOM