‘’Le meilleur schéma, c’est que l’Etat se désengage du circuit semence’’
Dans le cœur du bassin arachidier (régions de Kaffrine et de Kaolack), on attend encore l’engrais. Dans le sud du pays, il en est de même et les agriculteurs n’ont pas reçu toutes les semences. Certains s’en inquiètent, vu que les premières pluies ont été notées et que l’engrais est utile au moment de l’ensemencement. Pas après. Le porte-parole de Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR) explique, dans cet entretien, les causes de ces retards, non sans proposer des solutions à un problème récurrent.
Plusieurs agriculteurs ont alerté l’opinion publique quant aux retards dans la distribution des intrants agricoles. Comment se présente la situation actuellement ?
Effectivement, il y a quelques retards. Dans le Sud, les semences de riz, de maïs et de sorgho sont disponibles. Il ne reste que les semences d’arachide à mettre en place au niveau de la région de Ziguinchor. Dans la région de Kolda, les semences sont effectivement mises en place. Toutefois, les engrais tardent à être mis en place dans la région de Ziguinchor où pas un seul gramme d’engrais n’est disponible.
Qu’est-ce qui explique ces lenteurs notées à chaque hivernage ?
Ce sont les opérateurs qui s’engagent à fournir, à la place de l’Etat, ces intrants. Mais ces derniers, dans la plupart des cas, travaillent dans l’informel. Très souvent, ils ne possèdent pas un seul gramme d’engrais, mais ils s’engagent auprès de l’Etat à en fournir à tel prix et au moment opportun. Ce qui n’est pas souvent le cas. Par exemple, avec l’arachide, ils avaient dit à l’Etat qu’ils allaient mettre à la disposition des paysans tout le stock de semences nécessaire, au plus tard le 31 mai. Mais finalement, ils ne l’ont pas fait. Jusqu’au moment où je vous parle, il y a certaines commissions qui n’ont pas encore bouclé, qui n’ont pas encore eu toutes les semences dont elles ont besoin, surtout la zone Nord. Et dans certaines localités, les variétés qu’on a affectées ne cadrent pas avec le cycle indiqué pour ces zones. Donner des variétés à cycle long au niveau de Louga ou au niveau de Mekhé, c’est leur créer des problèmes, parce là-bas, ce sont des variétés à cycle court qu’il faut, surtout dans la zone Nord. Dans la région de Thiès, au niveau du département de Tivaouane, on a donné aux paysans des variétés à cycle semi-long ; c’est plus de 100 jours. Alors que pour leur hivernage, seules les variétés à cycle court de 80 à 90 jours sont indiquées. Pourtant, les opérateurs leur avaient dit qu’ils avaient ce type de semence, alors que tel n’est pas le cas.
Ces opérateurs auraient donc pu ne pas faire partie de la chaine de distribution ?
Prenons le capital semencier qui est de 150 000 tonnes. Les 90 000 tonnes sont conservées par les paysans. L’Etat ne subventionne que les 60 000 tonnes. Présentement, les paysans se demandent s’il ne faut pas supprimer la subvention sur les semences qui ne fait qu'enrichir une minorité d’opérateurs et la mettre sur l’achat des graines. On pourrait ainsi appuyer l’Isra (Institut sénégalais de recherche agricole, NDLR) dans la production des semences et les faire multiplier par des organisations d’agriculteurs, par des agriculteurs organisés qui peuvent avoir des contrats. Ces derniers, avec leurs propres paysans, seront à même de faire un suivi régulier et de dire à l’Etat : voici ce que nous avons et donc nous avons besoin d’une telle quantité d’intrants.
Et ils pourront directement les mettre à la disposition de leurs semblables. Aujourd’hui, la quantité de notifications qu’on affecte aux organisations paysannes est infime par rapport à celles affectées aux opérateurs. Tu vois un opérateur à qui on affecte 10 000 ou 15 000 tonnes, alors qu’il n’a même pas un véhicule. Il va donc faire des arrangements au niveau de la base avec certaines commissions pour leur remettre de l’argent et les faire signer des documents qui attestent qu’ils ont reçu des semences et se faire ensuite payer par l’Etat.
Les autorités sont-elles informées de ces malversations ?
Je pense qu’à la rigueur, le gouverneur et les services régionaux du développement rural peuvent en avoir écho. Mais je doute qu’ils soient au courant de tout cela, parce que si c’était le cas, ils auraient pris les mesures idoines, parce que je sais que dans la région de Kaolack, quand des choses pas très catholiques s’y produisaient, le ministère a réagi et les autorités locales ont sanctionné les fautifs et nous ont renforcés dans notre rôle d’éveil et d’alerte. Je pense que si les pouvoirs déconcentrés sont informés, si l’Etat est informé de tout ce qui se passe au niveau local, ils vont sévir.
Que faut-il faire finalement ?
Le meilleur schéma, ce que tous les producteurs demandent aujourd’hui, c’est que l’Etat se désengage du circuit semence et que la subvention accordée à cette semence soit mise sur le prix au producteur. Si l’Etat subventionne au moins 100 000 ou 250 000 tonnes à l’achat des graines et que les cours mondiaux baissent, les producteurs ne vont pas en pâtir. Cette année, ils n’ont pas subventionné l’achat des graines et les Chinois les ont achetées à un prix très fort. Aujourd’hui, la meilleure façon de nous soulager en tant que producteurs, c’est qu’il se décharge du secteur semence qui ne fait qu’enrichir une minorité d’opérateurs. Les engrais chimiques ou organiques, on les met au champ, on ne va pas les manger et si le gouvernement mettait à notre disposition des engrais de qualité à des coûts moindres et au bon moment, nous aurions nos points de distribution, nous achèterions nos engrais et les mettrions dans nos champs pour fertiliser nos sols. C’est comme ça qu’on peut booster le rendement pour toutes les spéculations. Voilà ce que les producteurs veulent.
Les opérateurs font croire à l’Etat que les paysans ont besoin de semences, alors que c’est faux, c’est archi-faux, parce que tout paysan qui vend de l’arachide a conservé chez lui des semences pour l’année prochaine ; en tout cas les bons paysans. Et 85 % parmi nous le font. Un agriculteur ne peut pas obtenir plus d’un sac de 50 kilos dans les points de distribution de semences. Car après, tu le décortiques pour ton exploitation et tu te retrouves au finish avec 20 kilos. Donc, c’est entre 20 à 22 kilos par exploitation familiale. Il y en a même qui se retrouve avec 15 kilos.
Cette quantité ne peut pas produire autant que les gens disent. Ces graines ne servent pratiquement à rien. Nous pensons qu’il y a des gens qui ont intérêt à ce que cela continue. Il y a sûrement des maillons de la chaine que cela arrange. Au cas contraire, que l’Etat supprime cette subvention, puisqu’on n’en a pas besoin. Qu’on l’oriente vers la recherche de l’Isra et des services qui sont au niveau de l’Etat dépourvus de moyens, pour faire le contrôle de ce que nous faisons. Que cet argent revienne également à l’Ancar (Agence nationale de conseil agricole et rural) qui est là pour nous accompagner. Cet argent, qu’il l’oriente vers les services régionaux de développement rural.
Chacun de ces départements peut bénéficier d’un milliard sur les 11 milliards qu’ils nous ont donnés et le reste peut servir au volet engrais. C’est beaucoup plus rationnel et tout le monde y gagne. Si toutes ces structures sont dotées de moyens, elles seront capables d’encadrer tous les paysans du Sénégal. S’il y a suffisamment d’engrais, ce sont nos champs qui vont montrer les résultats, la production va augmenter, parce que je le disais tantôt, on ne peut pas manger cet engrais, on ne peut que l’utiliser sur nos terres.
EMMANUELLA MARAME FAYE