‘‘Ibrahima Sarr’’, la décadence d’un mythe
L’école primaire qui porte le nom du célèbre secrétaire général du Syndicat des cheminots de l’Afrique occidentale française (Aof), El Hadj Ibrahima Sarr (1915-1976) croule sous le poids de l’âge. Malgré son état de dégradation avancée, cette école enregistre de bons résultats au Certificat de fin d’études élémentaires (Cfee) et à l’entrée en 6e.
Juste à l’entrée de la porte principale, se dresse, à notre gauche, une direction qui n’existe que de nom. Le plafond, l’armoire, la peinture, les murs, les deux chaises (une pour le directeur et l’autre pour le visiteur)… de ladite bâtisse, qui fait office de direction générale, sont tous dans un état piteux. La cour de l’école est pourtant propre, enfin pas trop sale en cette période de vacances, excepté les feuilles d’arbres qui y tombent. Mais, derrière cette propreté de façade, se cache une situation invivable, à la limite. Pour se rendre compte du délabrement de l’école primaire Ibrahima Sarr (ex-Ballabey) il suffit de contourner en diagonale la direction générale pour se retrouver en face des salles de classe. Accéder aux lieux où sont dispensés les enseignements-apprentissages requiert d’arpenter de ‘‘soi-disant’’ escaliers que la protection civile aurait intérêt à venir inspecter.
Une fois à l’intérieur des salles, les tables-bancs sont complètement mités ou le sont à moitié, ou tiennent de manière bancale sur trois pieds. La véranda, les tableaux, les fenêtres, les portes, les carreaux… sont tous complètement délabrés. C’est le cas dans les classes qui abritent le C2/A, Cm2/A, Cp/B, le C1/A… Ce qui s’explique peut-être par son ancienneté bientôt centenaire : 88 ans. Le mythe est resté intact pour autant, puisque l’ex-école Ballabey avait le privilège de participer à la formation du citoyen modèle français d’abord (enfants des cadres européens de la Régie des chemins de fer). Puis, cette formation s’étendra aux Sénégalais.
Ibrahima Sarr continue toutefois de faire courir. L’établissement a accueilli 1 226 élèves durant l’année scolaire 2017-2018. Dans quel environnement étudient-ils, vu la vétusté des lieux ? ‘’Ce que nous voyons ici, c’est tout sauf une école. En tout cas, moi, je ne peux pas la considérer comme telle. Je n’ai jamais vu un endroit aussi délabré’’, déplore le vigile de l’école, Gaoussou, qui assure depuis 2001 la sécurité des lieux. Ce dernier, qui nous servait de guide, estime que l’école se trouve dans une situation ‘’catastrophique’’. A l’école primaire El Hadj Ibrahima Sarr, tous les bâtiments sont en ruine.
Cependant, la visite, samedi dernier, d’une délégation d’anciens élèves qui ont fréquenté cet établissement 42 ans plus tôt, a apporté réconfort, soulagement et dynamisme au directeur de ladite école. Ces derniers entendent participer, à leur manière, au rayonnement de l’école où ils ont fait, pour la plupart, leurs humanités.
D’après le directeur Assane Guèye, cette visite est venue à son heure et va permettre à toute l’équipe pédagogique de se donner à fond pour maintenir les ‘’bons résultats’’ qu’enregistre l’école primaire Ibrahima Sarr. ‘’Depuis mon arrivée, je suis en train de faire des correspondances pour que les gens nous aident à réhabiliter l’école. J’ai même reçu d’anciens élèves européens des années 1950. Mais, avec la visite de la génération 76, je suis rassuré. Ces anciens élèves ont compris qu’on ne peut pas tout attendre de l’État. Je les ai trouvés très émus. J’ai plus confiance en eux, au vu de tout ce qu’ils ont dit. Ils m’ont promis de nous revenir très vite. Car ils ont été très sensibles à la situation de l’école (…)’’, espère l’ancien adjoint au directeur de l’école primaire, Alé Lô (Diamaguène).
De bons résultats dans des conditions exécrables
Cet établissement compte seulement 14 salles physiques et 21 groupes pédagogiques. Il est facile d’imaginer la densité d’occupation. Ici, une salle de classe peut abriter au minimum 75 élèves. Pire, les pensionnaires s’assoient à trois par table-banc. Cette situation est valable du Ci au Cm2. En dépit du poids de l’âge, Ibrahima Sarr s’illustre par ses résultats. Muté à la tête de cet établissement depuis le mois d’octobre 2015, Assane Guèye précise que cette école fait partie désormais des meilleurs établissements de la ville de Thiès. En attestent ses résultats scolaires au Certificat de fin d’études élémentaires (Cfee) et à l’entrée en 6e. En 2016, l’école a enregistré un pourcentage de 93 % avant d’enchaîner sur les 100 % à l’entrée en 6e. Sur les 126 candidats qui ont été présentés par l’école, 119 élèves ont été reçus au Cfee. Pour ce qui concerne l’entrée en 6e, Ibrahima Sarr a fait carton plein la même année, c’est-à-dire 100 %. L’année suivante, 143 candidats ont été issus de cette école pour 139 admis et seulement 4 échecs.
Pour l’année 2018, les résultats qui ont été publiés le lundi 6 août maintiennent encore Ibrahima Sarr en tête de peloton des établissements de la circonscription. Sur 156 candidats au Cfee, 138 ont été reçus. Des performances qui ne laissent pas indifférent le directeur dudit établissement. ‘’Au vu de ces résultats, on peut dire que l’école est au sommet’’, s’enthousiasme Assane Guèye. Avant de demander aux bonnes volontés de s’atteler davantage à les aider et à régler certains de leurs problèmes auxquels ils sont confrontés. A cet effet, l’école a reçu un bon de coupure de la Senelec pour un montant de 78 535 F Cfa. De l’avis de Saliou Diop, la réhabilitation de cet établissement où il enseigne depuis trois ans, doit être l’affaire de tous.
L’école primaire Ballabey se rappelle ses beaux jours. Durant son âge d’or, plusieurs cadres sénégalais ont fréquenté cette école coloniale. Il s’agit, entre autres, de Mame Coumba Kane, un ancien de la génération 40 et préfet à la retraite, de l’actuel médecin du chef de l’État, du Pr. Issac Yankhoba Ndiaye, de l’ancienne sénatrice Ndèye Khoudia Khole, de l’imam Pape Kanté, de l’actuel directeur général de la Protection de l’enfance au ministère de la Bonne gouvernance et de la Protection de l’enfance, Alioune Sarr… Une énumération qui ressemble, à s’y méprendre, à un appel du pied pour que tous ses pensionnaires regardent le rétroviseur et aident l’école à se relever de son délabrement.
GAUSTIN DIATTA (THIES)