Haro sur la dette et le multilatéralisme !
Le hasard du calendrier aura voulu que deux mondes diamétralement opposés se retrouvent dans le même temps à Dakar. Pendant que Macky Sall insistait à Diamniadio sur l’urgence de revoir le mode de fonctionnement des règles du multilatéralisme, des intellectuels hétérodoxes venus de plusieurs coins de la planète tirent à boulets rouges sur le système capitaliste et requièrent des États africains un refus de payer une dette qu’ils sont nombreux à considérer comme ‘’odieuse’’.
Ils sont des dizaines d’intellectuels, venus de plusieurs coins du globe, à se pencher, à Dakar, sur les goulots qui étranglent le continent africain dans sa longue quête du développement. Des flux financiers illicites aux politiques monétaires, en passant par les balances commerciales constamment déficitaires, plusieurs sujets sont passés au peigne fin.
Hier, les participants à la 2e édition de la Conférence internationale sur la souveraineté économique et monétaire, initiée par la fondation Rosa Luxembourg et ses partenaires, se sont penchés sur la dette des États africains. Une dette que beaucoup qualifient d’odieuse, parce qu’illégitime.
Deux critères, explique Dr Éric Toussaint, permettent de qualifier une dette ‘’d’odieuse’’. D’abord, il faut que cette dette soit contractée contre les intérêts des populations. Ensuite, que les créanciers soient au courant. ‘’Il faut constater que tous ces deux critères sont réunis dans le cadre de l’endettement des pays africains, au moins pour une bonne partie contractée pour favoriser un modèle contraire à l’intérêt des peuples d’Afrique’’, souligne le porte-parole du Réseau mondial du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes.
En conséquence, estime M. Toussaint, il faut que l’Afrique refuse de payer cette dette. Il peste : ‘’Durant la crise de la Covid-19, j’ai entendu le président Macky Sall demander l’annulation totale ou partielle de la dette. D’autres présidents et décideurs ont eu à dire la même chose. Moi, je pense que ce qu’il faut maintenant, c’est que toutes les forces sociales mondiales se joignent à cette déclaration pour exiger l’effacement de cette dette qui est illégitime, contractée contre les intérêts des populations africaines au vu et au su des créanciers.’’
Cela passera par quatre étapes. D’abord, les États vont devoir arrêter de payer la dette ; ensuite, il faudra faire un audit de la dette, son identification, avant de passer à l’ultime phase qui est celle de la répudiation de la dette.
Saisissant la balle au bond, Dr Demba Moussa Dembélé synthétise : ‘’L’Afrique doit purement et simplement refuser de payer la dette. Il faut annuler cette dette odieuse.’’
Refusez de payer la dette
Dans leurs diatribes contre la dette africaine, ces intellectuels, comme s’ils se sont passé le mot, ont ruminé tout leur désaccord envers les institutions de Bretton Woods. A les en croire, toutes les politiques de ces organisations se résument à booster les profits des pays du Nord, enfoncer les pays du Sud dans le sous-développement et la dépendance. ‘’La Banque mondiale et le FMI dictent aux États les règles du jeu. Toutes ces deux institutions savent que ces règles telles que définies ne vont pas favoriser le développement. En fait, ce qui les intéresse, c’est la pérennisation de ce système façonné selon les intérêts des pays dominants’’, fulmine Éric Toussaint, non sans fustiger les précédentes initiatives allant dans le sens de l’annulation de la dette. ‘’Toutes les initiatives d'effacement de la dette ont eu pour but de rendre la dette soutenable, tout en veillant à ce que les pays puissent continuer de rester dépendants de ce système. Elles n’ont pas été mises en place pour soulager les pays’’.
Selon le spécialiste belge qui intervenait sur le thème ‘’L’application de la doctrine de la dette odieuse dans le contexte de l’Afrique d’aujourd’hui et des pistes alternatives pour un développement endogène’’, il faut nécessairement changer de paradigme pour mener le continent vers la prospérité. Et cela va au-delà de la question de la dette. Il déclare : ‘’Il faut également se départir de ce dogme selon lequel les pays du Sud ont un problème de développement, parce qu’il n’y a pas assez d'épargne interne. La conséquence d’une telle conception est cette course effrénée vers les capitaux externes, les investissements directs étrangers...’’
Quand le système et l’antisystème se retrouvent
Avec un tel postulat de départ, insiste le spécialiste, ‘’les gens pensent que la solution, c’est l’attractivité, tout faire pour attirer les investissements étrangers, les biens et les services. Mais tout cela va produire un profit qui échappe aux États où ils sont produits. C’est un système pervers qui n’est pas à même de favoriser le développement. Ce qui constitue un potentiel d’épargne important se trouve rapatrié ailleurs.’’ De ce fait, l’Afrique, si les politiques actuelles sont maintenues, ne cessera d’être qu’une terre de production de matières premières pour les industries étrangères. Et c’est cela ce que veulent les puissances, fait remarquer Éric Toussaint très passionné. ‘’Ce système profite essentiellement aux créanciers, privés comme publics. Pendant que les premiers cherchent le profit, les multilatéraux et les États, eux, visent surtout à pérenniser leur influence, afin d'imposer le modèle qu'ils veulent’’.
Dans un tel modèle, les puissances surtout, en particulier l’Europe et les États-Unis dictent leurs lois à tout le monde, à travers les institutions multilatérales que sont la Banque mondiale et le FMI, où la quarantaine de pays africains membres ne disposent que de 4 % des voix, 3 % pour l’Arabie saoudite, 4 % pour la Chine. ‘’Vous remarquerez que tout cela est insignifiant pour peser sur les décisions’’.
Des propos qui font écho à ceux tenus par le président de la République, il y a deux jours à Diamniadio, lors du Sommet sur la paix et la sécurité. ‘’Pour inspirer confiance et adhésion de tous, déclarait le président sénégalais, le multilatéralisme doit servir les intérêts de tous. Autrement, il continuera de susciter la méfiance des uns, la défiance des autres et il finira par perdre la crédibilité et la notoriété attachée à son autorité’’. Invoquant le récent livre du pape François ‘’Je vous demande au nom de Dieu…’’, il constate, avec le St Père que ‘’le multilatéralisme tel qu’il fonctionne ne répond plus aux nouvelles réalités. Il faut des réformes pour faire retrouver aux organisations internationales leur vocation primordiale de servir la famille humaine.’’ Le président de la République d’ajouter : ‘’Il faut espérer que le Conseil consultatif de haut niveau sur le multilatéralisme efficace mis en place par le secrétaire général des Nations Unies fera œuvre utile, en examinant les problématiques majeures telles que la paix, la sécurité, le climat, l’architecture financière internationale et l’espace numérique’’.
MOR AMAR