Publié le 6 Sep 2019 - 04:50
VILLE DE SAINT-LOUIS

Paradis perdu

 

L’image de l’ancienne capitale du Sénégal, réputée être la plus belle ville du pays, est en train d’être ternie par des dépôts sauvages d’ordures ménagères. Dans les quartiers comme Diamaguene, Khor, notamment la route de Khor, Pikine et Guet-Ndar, c’est l’insalubrité et les eaux stagnantes qui dictent leur loi.

 

Il est 10 h passées de quelques minutes, en cette matinée du jeudi 29 août, le véhicule de type 7 places emprunte la route de Khor, en partance pour Richard-Toll. Surprise par l’insalubrité qui règne le long de cette berge, une des passagères se met à prendre des photos. ‘’Madame, vous êtes en train de prendre des images d’un endroit dégueulasse, sale’’, lance une autre passagère assise à côté d’elle. ‘’Est-ce qu’il y a des endroits propres à Saint-Louis ?’’, questionne une vieille dame assise devant. ‘’Pourtant si’’, rétorque le conducteur. ‘’En ville, il y a des endroits très propres. Tout Saint-Louis n’est pas sale’’, ajoute-t-il.

Au fait, sur cet axe, le fleuve qui longe la route de Khor sert de dépotoir d’ordures qui ont fini par changer la couleur de l’eau devenue verdâtre. Les chiens y pataugent à la recherche de cadavres d’animaux, les charognards rodent aux alentours et, de l’autre côté de la route où sont les habitations, les agents s’attèlent à l’évacuation des eaux pluviales. Celles-ci sont versées à l’autre bout de la route, directement dans le fleuve où des enfants se baignent.

Et Khor n’est pas le seul quartier de cette ville touristique surnommait la ‘’Venise africaine’’ et classée au répertoire du patrimoine mondial par l'Unesco depuis l'an 2000, où l’insalubrité règne en maître. A Pikine aussi, les populations vivent avec les eaux stagnantes et les ordures ménagères. ‘’Nous vivons vraiment dans des difficultés, surtout durant la période des pluies. S’il pleut, c’est tout un problème pour qu’on sorte de chez nous. Nous n’avons pas où vider nos fosses septiques. Or, nous devrions bénéficier d’une canalisation pour évacuer l’eau des fosses et nous soulager des inondations. Mais rien n’est fait. C’est notre casse-tête’’, raconte Salimata Thiam, résidante non loin du Cem pikinois.

En cette matinée du samedi, cette vieille dame, assise devant sa porte, épluche les légumes pour le déjeuner, en face des eaux. A côté d’elle, de jeunes filles font le linge. D’après elle, des agents leur ont demandé de payer une certaine somme pour l’assainissement de leur zone. ‘’Ils nous avaient proposé des cotisations pour bénéficier d’un réseau d’assainissement d’un montant de 36 700 F Cfa, au mois de mai dernier. Jusqu’à présent, nous n’avons eu de leurs nouvelles. C’était des agents d’une Ong qui étaient de passage dans le quartier. Nous avons tous versé l’argent et nous sommes à leur écoute’’, narre-t-elle.

Cette vieille habite ce quartier depuis 1976. Selon Salimata Thiam, avant, les ruelles étaient toutes ‘’propres’’, avec un sable blanc. Après la pluie, c’était vraiment le beau temps, si on balaie sa maison. Mais depuis la brèche, ils souffrent d’inondations. ‘’La nappe phréatique est plus proche de la surface de la terre. On ne peut même pas creuser un mètre sans atteindre l’eau. Les voitures ne peuvent pas accéder à certains endroits du quartier, faute de lotissement. Nous n’avons nulle part où verser les ordures ménagères. Chaque jour, on se cherche des endroits où les déverser, mais dès qu’on veut les déposer quelque part, on nous crie dessus. A la longue, on est déboussolé’’, se désole-t-elle d’un air triste. Avant d’ajouter : ‘’Qu’ils fassent venir donc les camions de ramassage d’ordures, comme c’est le cas à Dakar. Mais tant qu’on vit avec les ordures, nous n’allons jamais nous débarrasser des mouches et de la saleté. La salubrité, on va juste en entendre parler. Les camions ne passent jamais par ici ; ils passent par la route centrale.’’

Une amende de 6 000 F à payer, si on dépose ses ordures dehors

A sa droite, Alpha tient son commerce de légumes, de condiments et de poissons sur une table en bois. Et sur sa marchandise, c’est la foire aux mouches qui couvrent tout. De temps en temps, la dame les chasse d’un geste de la main. Mais c’est peine perdue, car elles ne bougent presque pas. Prêtant attention à notre discussion sur les ordures, Alpha intervient. ‘’Dans les normes, les camions doivent faire la ronde. Depuis la grande route, même si le camion klaxonne, nous n’allons pas l’entendre d’ici. Nous payons les talibés qui vont chercher de gauche à droite où déposer les ordures. Parfois, nous nous levons à l’aube pour aller les verser dans le fleuve qui est un peu loin d’ici. Donc, ce n’est pas évident pour nous’’, témoigne-t-elle.

D’après ces dames, si elles laissent les ordures dehors, les agents des services d’hygiène ‘’marquent’’ leurs maisons. De ce fait, elles sont tenues de payer une amende de 6 000 F Cfa. ‘’Or, nous n’avons pas d’endroit où déposer les ordures. On se demande, si on ne les met pas devant nos portes, où est-ce qu’on va les mettre, en attendant qu’on ait quelqu’un qui les ramasse ?’’, renchérit la vieille Salimata Thiam.

A quelques pâtés de maisons de chez Salimata Thiam, Khoudia Gaye, assise sur un petit tabouret adossé au mur de sa maison, les pieds posés sur un autre. Autour d’elle, l’odeur est immonde. Au fait, il s’agit d’une maison écroulée et dont l’autre partie sert de dépôt sauvage d’ordures. Elle a juste aménagé un coin où elle tient son activité. Cette dame, la cinquantaine, est écailleuse de poissons qu’elle met dans un petit sceau de 5 litres à côté d’elle. Interpellée sur la question, elle parle à cœur ouvert. ‘’Vous voyez par vous-même l’état du quartier. Ici, nous sommes laissés à nous-mêmes. Mais nous rendons grâce à Dieu. Pendant l’hivernage, nous souffrons le martyre. Vous avez constaté, j’ai les pieds enflés, à cause de la cohabitation avec les eaux verdâtres. Ma maison est remplie d’eau’’, fait-elle savoir.

Ici, Khoudia renseigne que les camions de ramassage d’ordures font la ronde, même s’ils ne sont pas réguliers. ‘’Le problème, c’est qu’ils ne klaxonnent pas. Mais pour garder la devanture de ma maison propre, je n’hésite pas à me battre. Je ne laisse personne y déposer des ordures ou y verser des eaux usées. Personne ne peut imaginer notre souffrance. Si les autorités nous offraient au moins des bouteilles d’eau de javel pour désinfecter nos pieds, ce serait mieux’’, narre-t-elle. 

Le mea culpa

Vendeur de paille, Alassane Diop habite aussi Pikine, mais juste à quelques mètres du collègue d’enseignement moyen (Cem) de la localité, en face de la grande route qui est bien goudronnée et dégagée. Selon ce vieux, ‘’ce sont les populations qui détruisent leur quartier’’. ‘’Parce que si on dit que le véhicule va passer lundi et qu’on sort ses ordures le dimanche dans la rue, on est fautif. On n’a pas dit que le camion sera là le dimanche. On doit garder les ordures chez soi jusqu’au passage du véhicule. Mais elles versent les ordures dans les rues ou les donnent aux talibés qui les déversent partout. Donc, on ne peut rien reprocher aux autorités. Nous sommes fautifs’’, affirme-t-il.

En fait, l’affirmation du vieux Diop n’est pas fortuite. Ici, les canaux d’évacuation des eaux usées sont remplis d’ordures. ‘’Vous voyez, c’est l’œuvre des populations. Or, c’est construit uniquement pour évacuer les eaux usées. Je reconnais que le gouvernement a une part de responsabilité concernant cette situation. Les voitures ne se signalent plus. Parce que les gens ne les attendent plus. Ils donnent leurs ordures aux talibés’’, déplore-t-il.  

Toutefois, M. Diop indique que les habitants ont commencé à lutter contre ces pratiques. ‘’Il y avait un dépôt d’ordures juste de l’autre côté de la route, en face du Cem. Il n’existe plus. Si le gouvernement est responsable à 1 %, les populations en sont à 10 %. Avant, c’était des charrettes qui assuraient le ramassage des ordures. Quand ils ont supprimé les charrettes pour les remplacer par des véhicules, c’était le début du désordre’’, dit-il.

Pour sa part, son ami Pape Niang pense qu’il faut que chacun y mette du sien. ‘’Si on voit qu’il y a des ordures devant chez soi, on doit au moins y mettre un peu du sien, en nettoyant, sans pour autant attendre la mairie. Les gens disent tout le temps que c’est l’Etat qui doit tout faire. Mais nous savons comment ça se passe. Je pense que ce que les autorités peuvent faire, c’est que, chaque année, elles essayent d’apporter un soutien aux populations. Parce qu’ici, les gens ne sont pas aussi nantis. Ils essayent de joindre les deux bouts’’, soutient-il.

D’après lui, c’est du temps d’Abdoulaye Wade qu’ils ont bénéficié de cette canalisation.

‘’Les ordures sont notre casse-tête’’

Si Pape Niang prône pour le partage des responsabilités pour lutter contre l’insalubrité à Saint-Louis, c’est tout le contraire, pour Amadou Ba. Ce jeune homme, la trentaine, est gérant de ‘’Tangana’’ (cafétéria) depuis 10 ans, derrière le stade Me Babacar Sèye, sis à Diamaguene, non loin du ‘’Garage Bango’’. Originaire de Passy, dans la région de Kaolack, Amadou est catégorique. ‘’On ne peut pas payer nos taxes au Trésor, chaque mois 3 000 F et débourser encore notre propre argent pour nous occuper de l’hygiène des lieux. En plus, je paie 30 000 F Cfa pour la location de mon ‘Tangana’. Et pendant l’hivernage, c’est plus compliqué. Ça a été comme ça pendant les 10 années que j’ai passées ici. Ce sont les riverains qui versent leurs ordures autour du garage et du stade’’, confie-t-il. 

Devant son restaurant, les eaux stagnent avec un dépôt sauvage d’ordures. ‘’Les ordures sont notre casse-tête. Ils nous empêchent de travailler convenablement. Et s’il y la présence des eaux verdâtres et des ordures, la plupart des clients ne vont pas venir. Ce qui veut dire que notre business ne va pas prospérer comme il le faut. Les autorités municipales doivent y veiller pour faire revivre le garage. Depuis la fête de la Tabaski, les agents de la mairie ne sont pas passés par là pour ramasser les ordures. Avec les eaux stagnantes, les moustiques et les mouches ne quittent jamais les lieux’’, explique ce jeune.

Il convient de noter que, lors de notre passage dans ce ‘’Tangana’’, aucun client n’était sur place, bien que le décor prouve qu’il y a des gens qui y ont déjà pris leur petit-déjeuner.

MARIAMA DIEME

 

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