AVIS D’EXPERTS
UN COMMISSAIRE DE POLICE, SOUS L'ANONYMAT
''Il faut sensibiliser les Sénégalais, les éduquer à la culture de la dénonciation’’
''Ce n’est pas une question professionnelle, mais culturelle. Les gens préfèrent toujours tout régler à l’amiable. C’est rare de voir des personnes prendre leurs responsabilités, pour dénoncer ces genres de cas. En général, ce sont les voisins qui le font. Le Sénégalais n’a pas une culture de la dénonciation. Il préfère toujours étouffer les affaires de viol. En essayant de couvrir les auteurs de viol, il encourt un grand risque juridique. Les cas de viols sont sensibles. Les parents disent souvent qu’ils veulent en parler, mais pas à la police, pour garder l’union de la famille, préserver l’intimité de l’auteur, histoire de pas le faire stigmatiser par la population.
Et pendant ce temps, ils oublient la victime qui souffre dans sa chair. Le viol est, à mon avis, un fait de société dont la population n’a pas encore totalement pris conscience de la gravité. Il faudra la sensibiliser, l'éduquer à la culture de la dénonciation. On n’a pas le droit de protéger un malfaiteur. La victime ne peut se libérer de ses souffrances que si l’auteur du viol a été jugé et sanctionné par la justice. C’est aussi un peu dangereux de ne pas dénoncer l’auteur, car à chaque fois que la victime le voit, elle est capable de faire une infraction grave.''
ALY KHOUDIA DIAW, PSYCHOLOQUE
''La sauvegarde des apparences, au risque du mensonge et du silence''
''Le viol est devenu monnaie courante et est la résultante d’une élasticité du lien social et un recul des valeurs positives. Le viol sur mineur est appelé agression sexuelle et les auteurs, en terme criminologique, sont appelés délinquants sexuels, et on parle de psychopathes sexuels ou de pervers sexuels, en terme psychiatrique. La société sénégalaise a sacrifié énormément de femmes et d’enfants victimes de viol, à cause de la fameuse ''sutura'' sénégalaise. Mais, cela avait une certaine raison, car l’éducation est du ressort parental d’abord, la communauté ensuite, et éventuellement l’école plus tard. Ce qui fait que le silence que les victimes et leurs parents gardaient, cachait plus la faillite des parents que la préservation de la victime. Les parents doivent avoir une mainmise sur leur progéniture. C’est cela leur rôle, c’est cela leur responsabilité. La famille est un lieu de protection, d’éducation et de sécurité. Ensuite, dans tous les cas, dès qu’il s’agit d’un membre de la famille (oncle, ami proche des parents, voisin, etc.), le premier réflexe était de demander à la fille de se taire, parfois même sous la menace. Ainsi, la famille et la victime vont se terrer dans un silence coupable, pour sauver les apparences, ce qui n’est pas tellement indiqué car les rancunes sont tenaces et risquent d’exploser à tout moment.
D’autre part, il y a le fait que c’est la victime elle-même qui refuse de démasquer son bourreau. Là aussi, le contexte jouait beaucoup. Il y a de cela vingt à trente ans, les choses n’étaient pas perçues avec leur clarté d’aujourd’hui. Avant, la société avait une telle emprise sur les individus que l’écart n’était pas permis. Si une fille se faisait violer, c’est parce que c’est elle qui l’avait cherché. Soit par son port, soit par ses manières et attitudes qui ont donné au violeur des raisons de le faire. Ensuite les parents, oncles, voisins devenus ''mbokk'', amis de longue date, étaient considérés comme des membres de la famille et avaient aussi une certaine autorité sur les enfants et les jeunes femmes. Ce qui fait que les victimes n’osaient pas en parler, car c’était un ami du père ou de la mère, un oncle ou un proche parent. La menace était aussi une forme de terreur appliquée à la victime.
Le plus souvent, on disait à la fille de se taire, au risque de voir sa vie écourtée. Mais dans tous les cas, la forme d’éducation était tellement rigoureuse que même si on en parlait aux parents, c’est la victime qui risquait de subir une correction. Enfin, les victimes avaient toujours peur de raconter leur mésaventure, pour ne pas être la risée du quartier et hypothéquer pour toujours leurs chances de trouver un mari. A ce niveau, même les parents étaient pour cette solution, car cela pouvait jeter l’opprobre sur la famille qui risquait ainsi d'être stigmatisée à vie. Pour tout cela, on ne parlait que de ''sutura''. En définitive, il faut comprendre que le silence adopté par les victimes de viols est une blessure secrète qu’elles gardent à vie. Parce que l’environnement familial avait ses valeurs à sauvegarder et des apparences à maintenir. Parfois même au risque du mensonge et du silence.’’