Du désordre mondial au chaos malien
Aminata Dramane Traoré et Nadine M’Dela-Mounier signent avec leur 2e collaboration littéraire, «L’Afrique mutilée», un essai averti et plein d’indignation sur la situation actuelle de l’Afrique et, plus particulièrement, du Mali.
Mettant à nu les maux qui rongent le continent noir telle une gangrène ou, comme elles disent, «une excision», ces deux altermondialistes sans concession parlent de la douleur de leurs semblables mais aussi de l’espoir, jamais éteint, de voir émerger une Afrique plus juste et sereine.
«L’Afrique mutilée» est un essai engagé, centré autour de la vision des femmes africaines, et plus particulièrement des femmes maliennes, sur le monde qui les entoure. Plusieurs chapitres débutent à cet effet sur une onomatopée, «Ko, Ko, Ko!», qui traduit grâce une imagerie locale le désir des Africaines d’aujourd’hui, «se tenant au seuil du monde», d’être impliquée dans les changements géopolitiques et macroéconomiques dont elles sont encore exclues, même (et surtout) quand ces derniers ont des conséquences directes sur leurs vies et sur celles de leurs enfants.
En signant ce léger feuillet d’à peine une soixantaine de pages, Nadine M’Dela-Mounier et Aminata Dramane Traoré réalisent paradoxalement la prouesse de livrer un texte fort exhaustif de l’indignation de centaines de milliers d’Africaines sans voix qui vivent dans le dénuement, subissant souvent en silence le couperet de la «démocratie des hommes» qui, néanmoins, resteront toujours leurs fils, frères et époux…
Divisés en 4 chapitres respectivement intitulés «Excision économique», «Le Développement : un projet civilisationnel», «Démocratie : de la Baule à Bamako» et «Femmes, éthique et politique», le livre parle avec une grande aisance, et parfois même un brin de poésie, de la conscience naissante ou peut-être séculaire que les femmes d’Afrique ont de la source de leurs maux.
Au sujet du néolibéralisme, par exemple, les deux altermondialistes dénoncent l’hypocrisie du modèle démocratique occidental qui «se préoccupe plus de ce qui se passe sous nos pagnes (NDLR : la croisade médiatique mondiale contre l’excision) que de l’ajustement structurel qui nous mutile et nous tue ainsi que les nôtres». De même, quand il s’agit d’élections, que ce soit au Mali ou dans le reste de l’Afrique, les auteures savent dénoncer de manière fort juste (et même drôle) la «générosité ponctuelle de ces dirigeants corrompus pour qui nous constituons du bétail électoral dont la désinformation, la dépolitisation et la diversion leur permettent d’accéder au sommet de l’Etat et de se servir».
«Débat national de fond»
A propos de ce qu’elles voient comme la marche à suivre par les peuple d’Afrique, et particulièrement les femmes, sur le chemin d’un développement durable et respectueux de leurs valeurs socioculturelles, Aminata Dramane Traoré et Nadine M’Dela-Mounier appellent à se défaire du «mythe» d’une économie de marché basée sur un système d’exportation intensif, détaillant par le menu les dizaines de raisons pour lesquelles les populations ne pourront jamais bénéficier du fruit de leurs efforts que leurs promettaient les puissants de ce monde par effet «trickle down*»… En tête de liste, la corruption, l’assimilation de nos élites par les pays développés, les guerres orchestrées et le système usurier du marché mondial des matières premières...
A propos de la situation malienne, les deux auteurs prennent le temps de se pencher sur les vrais enjeux de cette crise, qu’elles estiment déformés, ou souvent occultés, par la communauté internationale. «Voici venu le tour du Mali brutalement amputé de 2/3 de son territoire par les rebelles touaregs du MNLA (NDLR : et ensuite par les islamistes du MUJAO et d'Ansar Dine). Jamais, de mémoire de Maliens, nous n’avions été confrontés à une telle souffrance et à tant d’humiliation. Les défis à relever sont considérables mais le lien entre le chaos malien et le désordre mondial est parfaitement clair. Il impose un débat national de fond sur les enjeux macro-économiques, géopolitiques et stratégiques qui tendent à faire de la région sahélo-saharienne une poudrière : nous n’avons plus le droit de nous tromper de défis économiques, politiques et culturels», écrit ainsi Aminata Dramane Traoré.
Bien que fortement engagé, cet essai reste avant tout le premier jalon d’une voie que ses auteures espèrent salutaire pour le continent. Une voie déjà séculaire, faite de valeurs traditionnelles de consensus, de partage et de non-violence. Une voie de «badenya» (NDLR : fraternité utérine, en langue bambara), pour un Mali uni et une Afrique nouvelle et prospère.
* La théorie économique du ruissellement
Sophiane BENGELOUN
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