Le Pds fait son show devant un public clairsemé
Ce qui était annoncé comme un «grand rassemblement» contre le pouvoir n'a pas mobilisé beaucoup de monde. Mais les chefs libéraux ont quand même réussi le pari de l'unité face aux menaces judiciaires qui planent sur leurs têtes. Reportage.
Du haut d’un podium, Lamine Dia, ancien député, harangue le public clairsemé venu assister à la manifestation du Parti démocratique sénégalais (PDS). Très en verve, l’ancien maire de la commune de Biscuiterie, en maître de cérémonie, entretient à cœur joie les slogans biffés sur les banderoles accrochées aux baffles. «Halte aux auditions sélectives !» ; «non à la justice des vainqueurs !», etc. Le décor est ainsi campé à la Place de l’Obélisque.
Mais le «grand rassemblement» promis par les libéraux tarde à démarrer. Il est 16h 30mn déjà. Il n'y a pas encore grand monde. Les militants, à bord de cars Ndiaga Ndiaye, débarquent par petits groupes. Certains tiennent entre leurs mains soit le drapeau du PDS, soit le drapeau national, ou encore un portrait de Me Abdoulaye Wade. En attendant l’arrivée des dignitaires du parti, les militants ont droit à une détente musicale. Mais tous les morceaux ne sont pas autorisés à ce rendez-vous.
Le Dj, qui a commis l’«erreur» de mettre une chanson de Youssou Ndour, par ailleurs ministre du Tourisme, l’apprend vite à ses dépens. «Enlevez-moi ce morceau, nous ne voulons pas de musicien hypocrite», vocifère Lamine Dia qui réclame plutôt l’opus de Pape & Cheikh, Gorgui dolignou. De quoi exciter les militants qui, manifestement, sont gagnés par la nostalgie du pouvoir. Anne Ndoye, une militante libérale de Sangalkam, soliloque : «Le PDS est fort ; il va revenir au pouvoir».
17h00. Les choses «sérieuses» ne démarrent toujours pas. Lamine Dia demande aux gens situés aux abords de la Place de l’Obélisque de «se rapprocher» pour créer l’effet de masse.. 15 minutes plus tard, c’est l’arrivée des responsables du parti dont Madické Niang, Ousmane Ngom, Oumar Sarr, Modou Diagne Fada, Karim Wade, Souleymane Ndéné Ndiaye, Awa Diop, Aïda Mbodj, etc. Ils sont accueillis en grande pompe par les militants. Ils se dirigent vers la tribune où ils s'asseyent côte à côte. L’image n’est pas anodine. Il s‘agissait pour les responsables libéraux dont certains commençaient à ne plus être en odeur de sainteté dans le parti, de montrer leur unité face à la traque des biens mal acquis. Babacar Gaye, porte-parole du PDS, prend le relais au micro et supplie les militants de baisser les pancartes. Mais la présence massive des gardes du corps des dignitaires libéraux n’est pas pour faciliter les choses.
Farba Senghor leur demande de débarrasser le plancher en vain. La manifestation va malgré commencer sur les chapeaux de roue. «Chacun a deux minutes de temps de parole», indique le chargé de la propagande du PDS.
Et c’est Abdoulaye Faye, administrateur du parti, qui ouvre les hostilités. «Le PDS est plus fort que jamais, il ira à la reconquête du pouvoir avec résistance comme par le passé». De quoi requinquer Me Ousmane Ngom qui a tenu à répondre au pouvoir qui taxe le PDS d’«usurpateur». «Ce lieu (Obélisque) doit son nom à Abdoulaye Wade», dit l’ancien ministre de l’Intérieur. «Lorsque le président Diouf a qualifié la jeunesse sénégalaise de malsaine, c’est ici qu'Abdoulaye Wade a décidé d’amener cette jeunesse-là au pouvoir.»
A mesure que les minutes passent, la foule grossit. Certains étaient là juste par curiosité. «Je suis venu accompagner mon ami», avoue Matar Diop, un jeune garçon, qui s’était auparavant fait passer pour un membre du Mouvement des élèves et étudiants libéraux (MEEL). A quelques mètres de là, la Police, lourdement armée, veille au grain. Un véhicule 4x4 noir de la Brigade d’intervention polyvalente (BIP) fait le tour de la Place de l’Obélisque pour parer à toute éventualité. Ce qui ne semble pas tempérer l’ardeur de Aziz Diop, leader de la Fédération nationale des cadres libéraux (FNCL), déterminé à faire face à «l’acharnement» dont ils font l’objet. Par contre, Gnagna Touré joue la carte de l’apaisement en apostrophant le président de la République. «Macky Sall doit laisser tomber cette affaire et revenir à la maison de son père Abdoulaye Wade», dit l’ex-députée.
«Lorsqu’on a voulu l’auditer alors qu’il avait planqué de l’argent, nous étions intervenus pour arrêter le processus.» Une révélation qui suscite la surprise de plus d’un. «Donc, elle reconnaît qu’ils ont volé», commente-t-on dans la foule. Mesurant la «gravité» de sa bourde, Gnagna Touré tente de se rattraper. «D’ailleurs, nous n’avons rien à nous reprocher», ajoute-t-elle.
De l’autre côté de la Place de l’Obélisque, une dizaine de jeunes de Colobane se font entendre. Banderole à la main sur laquelle ont peut lire «Non à l’injustice», ils demandent la libération de leurs camarades accusés d’avoir tué le jeune policier Fodé Ndiaye au cours des manifestations préélectorales en début d'année. Également, ils sensibilisent les manifestants sur l’insécurité à laquelle ils font face. Autant de messages qu’ils ont voulu faire passer à la tribune. Mais c’est sans compter avec les gros bras préposés à la sécurité.
Le spectre de l’infiltration planant sur la manifestation, la méfiance est de rigueur. Tous ont les nerfs à fleur de peau. Un quinquagénaire faillit d'ailleurs se faire tabasser pour avoir osé tenir des propos hostiles aux Libéraux. Il est rapidement évacué par un autre monsieur. Le lutteur Khadim Ndiaye, lui, ne prend aucun risque et joue le jeu. A bord d’une voiture Mercedes, le garde du corps de l’avocat Me El Hadji Diouf klaxonne à tout rompre en brandissant le signe de la victoire en soutien au PDS. Une parade pour ne pas s’attirer les foudres des Libéraux.
18h 30. La manifestation tire à sa fin. Les artistes pro-Wade se succèdent sur le podium. Demba Dia, auteur de «boum boum», retient l’attention du public en offrant, à la fin de sa prestation, tout ce qu’il portait sur lui (blouson, casquette, montre, chaussure). Idrissa Diop, de son côté, n’a pas l’opportunité de jouer son «nobel» (amour) au public qui commence à prendre froid. Ils doivent écouter le discours de l‘ex-Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, qui appelle ses «frères» à l’unité. «Nous devons plus que jamais nous montrer solidaires, dit le député maire de Guinguinéo.
Demain (NDLR : aujourd'hui), Oumar Sarr et Samuel Sarr sont convoqués (à la Section de recherches de la gendarmerie de Colobane), et après, ce sera certainement le tour d’un autre d’entre nous.» Le coordonnateur du PDS et ancien ministre de l’Habitat, pour sa part, se veut serein et demeure convaincu que «Macky Sall n’ira pas loin» dans la traque des biens mal acquis. Karim Wade, comme d'habitude, n’a pas souhaité s’exprimer. Sur insistance des militants, il se lève de son siège pour leur faire un clin d’œil. De quoi le doper pour son prochain face-à-face avec les enquêteurs. Mais à peine la manifestation finie, les responsables du Pds se laissent aller à quelque bain de foule, debout sur leur véhicule, accompagnés par leurs partisans...
DAOUDA GBAYA