Publié le 14 Feb 2014 - 14:20
PAULO GOMES – CANDIDAT À LA PRÉSIDENTIELLE BISSAU-GUINÉENNE

«Le crime organisé est de nature régionale»

 

De passage à Dakar en précampagne pour les élections présidentielle et législatives bissau-guinéennes du mois prochain, Paulo Gomes, économiste, ex-administrateur de la Banque mondiale et membre de nombreux conseils d'administration, a livré à EnQuête quelques détails de ses ambitions pour le (quasiment) «premier Etat narcotrafic» au monde. Entre les réformes d'une armée problématique, une pauvreté endémique et son ambition de créer une zone de co-prospérité en Casamance, Gomes, optimiste malgré son statut de candidat indépendant, promet une «direction capable» assurée par un leadership nouveau.

 

Comment justifiez-vous votre candidature ?

J’ai eu l’opportunité de présenter ma motivation en tant que candidat, le 12 septembre dernier. J’ai clairement souligné que mon pays m’a tout donné. Il m’a donné l’éducation. Il m’a exposé à un environnement international avec l’opportunité de porter haut l’étendard de la Guinée-Bissau.

Il est temps pour moi de payer la dette à mon pays et de mettre à sa disposition cette expérience et les opportunités qui m’ont été données pour aider à tourner la page d’une vingtaine d’années d’instabilités et de violences, et aussi celle d’une mauvaise réputation sur le plan international. On est un pays qui est considéré comme fragile, narcotrafiquant, et que sais-je.

Je crois fortement que mon expérience, ma façon d’opérer, mon réseau international et régional et la compréhension de mon pays et de ses défis me permettent maintenant d’être un arbitre et de créer un environnement de dialogue et de réconciliation pour faire de la Guinée-Bissau, dans les 10 ans à venir, un pays riche et prospère.

Etat narcotrafic, comme dit le Pentagone. Est-ce irréversible ?

Non ! D’abord ce sont les hommes qui font un pays. Et les prochaines élections vont faire émerger en Guinée Bissau un nouveau leadership, tant au niveau du président de la République qu'à celui du Premier ministre. Ce sera un leadership qui donnera l’exemple au pays pour une réforme crédible de ses forces de sécurité et de son monde politique afin de rendre possible la reconstitution de l’Etat, en faisant de la Guinée-Bissau un interlocuteur important dans la sous-région. Le problème du crime organisé est de nature régionale.

Il a peut-être en ce moment son épicentre dans notre pays, mais pour ceux qui connaissent ce phénomène, il n’est pas isolé à la seule Guinée-Bissau. Le fait que notre Etat soit faible, peu structuré avec une relation incestueuse entre le politique et le militaire, a fait que la gravité du phénomène est particulièrement criante chez nous. Mais c’est une situation qui changera. Le nouveau leadership après les élections y travaillera sérieusement et vous verrez la différence.

Ce que l’on appelle le «système» n’est-il pas plus fort que la volonté d’installer un leadership ?

Non, puisque ce n’est pas toute la population qui est impliquée dans cela. Ce ne sont pas toutes les forces de sécurité. Ce n’est pas un phénomène qui est élargi à tous les acteurs de la Guinée-Bissau, il est bien identifié. Donc, il est possible de l’aborder avec intelligence et avec des dirigeants qui donneront l’exemple et qui ne soient pas partie prenante de ce phénomène.

Quand vous dites «avec intelligence», cela renvoie à quoi ?

Cela renvoie à : ce n’est pas du ‘’sensationnalisme’’. Ce n’est pas quelque chose qui se fait avec tambours et trompettes. Il ne s’agit pas de ce que j’appelle parfois l’Etat bling-bling. Il s’agit de le faire à tête froide, d’identifier la problématique de ce phénomène, de voir pourquoi nous sommes l’épicentre de cela. Il y a un devoir de vérité à faire. Mais ça ne se fera pas sans l’implication d’autres partenaires, de nos voisins, pour une résolution durable de ce phénomène.

Au cœur de cet Etat narcotrafic, il y a l’armée. En tant que candidat, pouvez-vous nous citer deux ou trois réformes la concernant ?

Si vous voulez une armée, il faut avoir les moyens de l’organiser, de l’équiper. Pas seulement la gloire ! Il faut avoir les moyens de le faire. Il s’agit de réfléchir et de voir quel genre d’armée nous pouvons nous offrir. Nous sommes un pays d’un milliard de dollars de produit intérieur brut.

C’est une toute petite économie, avec 1,6 million habitants. Les menaces que nous avons, nous les avons parce que nous sommes un pays océan. C’est ce que j’appelle réfléchir. Il faut une stratégie. On n’improvise pas une réforme de l'armée, et surtout il ne faut pas laisser les autres déterminer le rythme et les modalités de cette réforme.

Si vous faites une sous-traitance de cette réforme parce que vous souhaitez avoir des ressources, vous risquez non seulement de vous tromper mais aussi de mal mesurer l’appui dont vous avez besoin pour son succès. Je pense que la connaissance de ce problème est un atout essentiel en amont. Je suis passé par les écoles militaires de mon pays.

Je connais beaucoup de ces acteurs qui sont dans les forces de sécurité. Il faut engager un dialogue réfléchi, non improvisé et qui, très souvent, doit être mené de façon dépassionnée.

Envisagez-vous par exemple d'envoyer à la retraite des officiers qui ont fait 30 ou 40 ans de carrière ?

C’est un problème. Vous savez, tous ceux qui doivent éventuellement être réformés ou changés ne sont pas des vieux. Ce n’est pas un problème d’âge mais une question de formation, de capacité. Nous avons, bien entendu, commis l’erreur de ne pas démobiliser après notre indépendance.

Il s’agit maintenant de voir qui doit être démobilisé, quelles sont les conditions acceptables pour parvenir à cette démobilisation, pour eux et pour leurs familles. Il y a toute une batterie de mesures à étudier. Il y a des programmes de réformes qui avaient été élaborés, nous allons les revisiter et voir dans quelle mesure les ressources qui sont estimées par ces programmes sont réalistes. Le reste, je pense, dépendra du leadership que le président de la République et le Premier ministre seront capables de démontrer.

Qu’attendez-vous de la Cedeao et de l’Union africaine ?

L’Union africaine est une organisation qui n’a pas beaucoup de moyens. C’est un forum de concertations, une plate-forme de discussions. Elle a joué un rôle en Somalie. Peut-elle jouer un rôle en Guinée-Bissau ? Ça  dépend des moyens. Il est clair que la Cedeao toute seule ne peut pas faire face à tous ces défis. Je m’engagerai moi-même avec l’Union africaine pour rétablir la confiance et les placer comme élément important de cette réforme.

Ne craignez-vous pas son inefficacité souvent décriée ?

C’est vrai. Il faut la connaître et je crois la connaître suffisamment. Être réaliste sur ce qu’elle peut faire et savoir dans quelle mesure elle a l’avantage comparatif.

L’implication remarquée de l’Angola ne complique-t-elle pas la situation ?

Avec l'Angola, nous avons en commun la culture et la langue. Géographiquement, nous sommes un pays Cedeao. Je crois aussi que les Angolais sont venus avec beaucoup de bonnes intentions. Mais ils n’ont malheureusement pas eu des interlocuteurs pour les guider sur la façon de nous aider.

Nous avons soutenu l’Angola dans le passé, je crois qu’il a voulu le faire maintenant pour nous. Les Angolais sont venus avec de bonnes intentions mais ils n’ont pas d’interlocuteurs pour appuyer la Guinée-Bissau. Après les élections, ils auront les interlocuteurs qu’il faut. Et je pense que nous pourrons avoir un pays comme l’Angola actif pour la résolution des problèmes en Guinée-Bissau.

Politiquement, vous comptez sur quelle alliance pour les élections ?

Actuellement, il y a plusieurs partis qui ont déjà exprimé leur appui parce que je vais me présenter comme candidat indépendant, pas parce que je maitrise les partis mais parce que notre constitution recommande d’ailleurs un allié indépendant pour pouvoir jouer un rôle d’arbitre et être au-dessus des batailles de partis. Il y a beaucoup de partis politiques qui souhaitent m’appuyer et je vais continuer à discuter avec d’autres.

C’est quels partis ?

Il y a le Padec, le PDT, le PCB, et au sein du Paigc. Il y a tout un mouvement qui souhaite m’appuyer pour avoir été moi-même un enfant du Paigc car mon père en était un acteur. Le parti a fini son congrès et je pense que c’est une bonne chose pour la Guinée-Bissau. Je suis en discussion avec beaucoup d’éléments.

Le retrait de Kumba Yalà est-il un bon signe pour vous ?

Je crois qu’il a ses raisons et qu’il était temps pour lui de se retirer. Maintenant, il appuie un autre candidat (NDLR : Nuno Gomes, autre candidat indépendant). Ce qui est son droit. Cela n’affecte pas ma stratégie de travailler sur le terrain sérieusement pendant plusieurs mois. Je souhaite bonne chance à l'alliance qu’il est en train de construire. Mais le mouvement que j’ai mis en place est maintenant plutôt actif, plus solide et il mobilise une diversité d’acteurs. Il prend en compte l’arc-en-ciel des cultures et des ethnies bissau-guinéennes et c’est la force par rapport à ce qu’il est en train de mettre en place.

Quelle place pour la Casamance dans votre programme de campagne ?

Importante. J’ai été le candidat qui s’est le plus penché sur cette question. Je proposais l’idée d’une création d’une zone de co-prospérité qui sera un des chantiers que je souhaite mettre en œuvre avec le (futur) Premier ministre. Je compte proposer ça au Président Macky Sall officiellement après l’élection.

Cette stratégie de co-prospérité aidera à compléter les efforts que le président de la République du Sénégal est en train de dérouler sur ce dossier avec les mouvements de rébellion en Casamance. Il est de l’intérêt de la Guinée-Bissau d’avoir une zone au sud qui soit prospère. Et c’est ce que nous allons proposer dans cette zone de co-prospérité au Sénégal.

La Guinée-Bissau, l'un des pays les plus pauvres au monde. Qu’est-ce que cela vous fait en tant que candidat ?

Cela me chagrine parce que c’est un pays riche qui a été mal dirigé. Ça ne se dira plus après les élections, je peux vous le garantir. Ce sera un pays riche avec une direction capable, un leadership fort. Je crois que ce sera à l’avantage de toute la région d’avoir une Guinée-Bissau prospère et optimiste. C’est ça mon objectif.

PAR MOMAR DIENG 

 

 

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